Président du Mouvement panafricain des leaders (Mpl) représenté dans 45 pays d’Afrique et de la diaspora, Dr Landing Biaye est un Sénégalais résidant au Canada. En terre canadienne, dans le cadre d’une reconversion professionnelle dans le domaine géospatial, il revient dans cet entretien sur la propension des jeunes Africains à quitter le continent pour rejoindre les côtes européennes au péril de leur vie, tout en interpellant les Etats africains face à leurs responsabilités. Il aborde en outre la question de la libre circulation des personnes et des biens en Afrique, notamment dans la zone Cedeao, la récurrence des coups d’Etat en Afrique depuis un certain temps, en passant par la responsabilité de la jeunesse africaine face aux enjeux de développement et de la prévention des conflits. Il n’a pas manqué de revenir sur l’organisation du 5ème Forum panafricain (18 au 22 octobre) à Maroni aux Comores.L’actualité est dominée depuis un certain temps par les vagues de départs de jeunes Africains vers les côtes européennes. Avec quel regard analysez-vous cette situation ?

Malheureusement, la migration irrégulière grandit, notamment en Afrique subsaharienne. On constate avec amertume que des jeunes quittent l’Afrique pour l’Europe malgré les risques, alors que l’Afrique a tout pour réussir. Certes, l’immigration remonte depuis longtemps et les hommes vont à la recherche du meilleur profit, mais la forme actuelle de la migration est très dangereuse. J’ai le cœur meurtri quand je vois, à travers des images, des migrants africains qui tentent de passer les hautes et multiples barrières de barbelés des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla au Maroc. Ces images ont profondément marqué les esprits, sans oublier les milliers de migrants qui périssent en pleine mer. Il y a un autre aspect très inquiétant que j’aimerais souligner : c’est le fait que des migrants endurent d’extrêmes violations des droits humains, au cours de leurs voyages clandestins entre l’Afrique de l’Ouest, de l’Est et les côtes africaines de la Méditerranée. Je suis sans voix quand j’attends des témoignages sur les indicibles brutalités et les barbaries vues ou endurées par la plupart des migrants durant leur périple aux mains des passeurs, des trafiquants et des milices. C’est triste !

Certains estiment que c’est un échec de nos politiques, notamment des relations de coopération qu’entretient l’Ua avec l’Ue. Quel est votre avis en tant que président d’un mouvement de jeunes panafricains ?
Les coopérations migratoires entre l’Europe et l’Afrique ne datent pas d’aujourd’hui. L’Europe a un ancrage systématique sur le vécu du continent africain, notamment de la traite négrière au néocolonialisme, en passant par le colonialisme. Ces coopérations sont toujours négatives pour l’Afrique. Face à la vague de politiques anti-migratoires dans leurs pays, les dirigeants européens ont pensé à une nouvelle politique migratoire avec l’espoir de juguler la migration irrégulière vers l’Europe. Les dirigeants africains ont, de leur côté, cherché à tirer parti du sentiment d’urgence véhiculé par l’Europe pour obtenir des investissements, servant leurs priorités nationales. C’est pourquoi le Mpl rappelle l’obligation des pays, au regard du Droit international, de traiter tous les migrants avec dignité et de prioriser leur sécurité et le respect de leurs droits fondamentaux, en s’abstenant d’utiliser contre eux une force excessive. Il faut évaluer cette coopération, car les résultats sont loin d’être satisfaisants.

Quelle est, selon vous, la meilleure approche pour une meilleure gestion de la migration, tenant compte du fait que la migration africaine vers l’Europe est moins im-portante que celle qui se fait à l’intérieur du continent ?
Tous les jours, des milliers de jeunes Africains quittent le continent par vagues, dans des embarcations de fortune. L’Océan atlantique est devenu le cimetière de milliers de migrants africains qui s’y noient en tentant de regagner l’Europe. Ils laissent derrière eux, familles, femmes, enfants pour se lancer dans une aventure non seulement risquée, mais aussi incertaine. Il faut illico presto arrêter l’hémorragie. C’est inacceptable de laisser continuer cette saignée. La jeunesse africaine, si ingénieuse avec ses bras si forts, disparait dans les abîmes d’une mer qui dicte sa loi. Une prise de conscience africaine, accompagnée de mesures fortes permettant aux jeunes gens de s’en sortir dans leurs pays respectifs, est appelée de tous nos vœux.

De véritables curricula d’éducation à la citoyenneté doivent être inscrits dans les programmes scolaires et universitaires pour inciter les jeunes à rester pour se frayer un chemin dans nos pays afin de contribuer au développement de notre milieu. C’est aux Etats de favoriser le climat des affaires, en commençant par soutenir les initiatives de création d’entreprise des jeunes.

La libre circulation pose problème, même en Afrique et au sein de régions comme la Cedeao, malgré le Protocole de 1979. Cela n’est-il pas dû à un manque de volonté politique ?
Je pense que les obstacles majeurs à la libre circulation des personnes et des biens dans l’espace Cedeao sont, entre autres, le terrorisme, les tracasseries routières de certains agents de sécurité au niveau des frontières. Mais, les difficultés s’expliquent également par les pesanteurs politiques et institutionnelles, elles sont aussi d’ordre structurel. Il faut beaucoup travailler pour l’intégration sous-régionale, car c’est une voie indiquée pour sortir de l’immobilisme économique du continent. C’est à travers la libre circulation des personnes que l’on parviendra au décloisonnement des échanges et au brassage des peuples et de leurs cultures, ce qui constitue certainement une étape déterminante vers la réalisation de l’Union africaine, laquelle reste encore un défi pour l’ensemble des Etats africains. Imaginez-vous le profit qu’auront les citoyens des Etats membres à aller et venir au sein de la zone Cedeao et Cemac, sans contraintes ni restrictions particulières. Imaginez-vous que les marchandises franchissent sans obstacles les frontières des pays membres, notamment pour le Mali et la Rdc, à titre d’exemple, qui sont frontaliers à 7 pays. Dans ce cas de figure, on assistera à un véritable co-développement. Je m’interroge toujours sur l’ineffectivité de ces mesures dans l’espace sous-régional.

Dans un contexte assez mouvementé en Afrique, vous organisez le 5e Forum panafricain des leaders aux Comores, sous le thème : «Agenda 2063 : Le rôle de la jeunesse africaine.» Qu’est-ce qui a motivé le choix d’une telle thématique ?
C’est très important de parler de l’Agenda 2063 de l’Union africaine, car il reflète la manière dont l’Afrique entend réaliser un développement socio-économique inclusif et durable sur une période de cinquante ans allant de 2013 à 2063. L’Agenda 2063 ne se réduit pas à une planification à long terme, trop longue pour certains observateurs : il se décline en plans à court, moyen et long termes. Ce qui permet une adaptation constante aux brusques accélérations de l’histoire et aux profondes mutations économiques et sociales d’un continent qui connaît une explosion démographique sans précédent. C’est pourquoi il est opportun d’en savoir davantage sur cet agenda, l’évaluer sur le court terme (2013-2023), tout en montrant le rôle de la jeunesse africaine, qui représente environ 70% de la population du continent, dans l’atteinte des objectifs dudit agenda. Ainsi, durant 5 jours, les jeunes de divers horizons seront outillés sur l’Agenda 2063 de l’Union africaine, tout en déclinant leur rôle pour l’atteinte des objectifs. Des échanges et débats s’en suivront à travers des ateliers, des conférences-débats, des exposés et des échanges pour mieux discuter de l’Agenda 2063 de l’Union africaine. A l’issue des travaux, nous formulerons des recommandations qui seront publiées et adressées aux chefs d’Etat et de gouvernement, à l’Ua, aux partis politiques, aux organisations régionales et sous-régionales, aux Ong d’Afrique et de sa diaspora.

Quel doit être le rôle de la jeunesse dans la réalisation de l’Agenda 2063 ?
L’Agenda 2063 est un instrument stratégique ayant pour but de repositionner l’Afrique comme une puissance dans l’avenir. C’est un agenda qui vise à faire du continent africain, un continent totalement intégré, prospère et dominant sur la scène internationale. Pour réaliser les aspirations contenues dans l’agenda, il importe de comprendre les besoins, intérêts, difficultés et possibilités des jeunes d’Afrique. Les jeunes Africains sont la clé d’une renaissance africaine. Ils sont l’essence de l’Agenda 2063, sans leur participation concrète, il serait difficile, voire impossible de réaliser l’agenda. C’est pourquoi je pense que les jeunes Africains peuvent jouer deux rôles fondamentaux pour contribuer à la réalisation de l’Agenda 2063. Le premier rôle est de promouvoir l’agenda en passant non seulement par l’appropriation du contenu de l’agenda, mais également sa diffusion en collaborant avec les ministères de la Jeunesse afin de promouvoir une meilleure compréhension du contenu de l’agenda par le biais de sa traduction dans les langues locales. Le Mpl a compris l’efficacité de cette stratégie, c’est pourquoi il organise, du 18 au 22 octobre, un forum aux Comores afin d’outiller la jeunesse africaine et de la diaspora à l’Agenda 2063.

Le deuxième rôle sera celui de plaidoyers pour le respect des engagements pris par les Etats, notamment sur l’investissement considérable dans l’éducation des jeunes, l’emploi, la santé et l’entreprenariat. Ces plaidoyers doivent se faire en collaboration avec des parlementaires. La réalisation de l’Agenda 2063 n’est possible que lorsque les jeunes s’engagent à bâtir l’Afrique que nous voulons.

Que faut-il pour permettre à la jeunesse africaine de bien jouer son rôle dans la consolidation de la paix et le développement de l’Afrique ?
Je pense que les jeunes sont des pionniers et des agents de changement essentiels, et leur contribution doit être activement soutenue, sollicitée et considérée comme faisant partie intégrante de l’édification de communautés pacifiques et de l’appui à la gouvernance et la transition démocratiques. Plusieurs pays d’Afrique sont actuellement plongés dans des conflits armés majeurs, tandis que d’autres font face à diverses formes de violence et d’instabilité politique qui sapent le tissu social des sociétés africaines. Malgré ces situations, de nombreux jeunes Africains ont trouvé des voies constructives afin de promouvoir la paix, une gouvernance efficace et des réformes. Le Mpl, à travers ses fédérations, utilise le sport afin de reconstruire les liens sociaux, d’encourager le dialogue et de faciliter l’apaisement et la réconciliation.

L’Afrique est frappée depuis un certain temps par des coups d’Etat répétitifs. Comment analysez-vous cette situation qui ne laisse aucun pays africain à l’abri ?
C’est toute la colonne vertébrale de l’Afrique qui est paralysée à cause des tensions politiques, militaires et sécuritaires. Du Burkina Faso au Soudan, en passant par le Mali, la Guinée, le Gabon et le Tchad, nous avons été témoins de crises et de divergences politiques distinctes. Mais, dans tous ces cas, le corps militaire a confirmé son emprise sur le champ politique, tout en s’autoproclamant défenseur légitime des intérêts du peuple social. Je persiste et signe que les coups d’Etat ne peuvent être une réponse à l’incapacité des Etats à assumer les prérogatives de Justice, d’égalité et de sécurité. La logique qui consiste à valider et à légitimer les coups d’Etat militaires sous prétexte de la faillite de l’Etat et de ses carences à gouverner, est plus qu’éculée, improductive et surtout irréaliste. Je suis désolé de le dire, mais on ne peut pas justifier un coup d’Etat par le fait que les gouvernements, les organisations sous-régionales ou l’Union africaine n’arrivent pas à traduire politiquement et institutionnellement les demandes de paix, de stabilité, de justice socio-économique et d’éducation formulées par les populations.

Quel doit être le rôle de la jeunesse dans l’établissement de l’Etat de Droit et du respect des institutions ?
Je pense que la jeunesse doit jouer le rôle de fer de lance et d’avant-gardiste dans l’établissement de l’Etat de Droit et du respect des institutions. La jeunesse doit obliger les institutions à rendre des comptes, à protéger les droits de l’Homme, à être justes et transparentes, et à donner aux citoyens les moyens de participer de manière constructive à la société. Je pense qu’elle a compris sa mission. Elle est devenue un lanceur d’alertes et elle est toujours au-devant de la scène pour mener des combats, tout en prenant des initiatives. Nous avons devant nous désormais une jeunesse consciente et «conscientisante», une jeunesse éveillée et réveillée qui surveille comme l’huile sur le feu l’Etat de Droit, l’équité dans l’application de la loi, de la séparation des pouvoirs, de la participation à la prise de décisions, du refus de l’arbitraire et de la transparence des procédures et des processus électoraux. Maintenant, rien ne peut se faire sans l’implication des jeunes.
Propos recueillis par Pape Moussa DIALLO