Ancienne ministre des Sénégalais de l’extérieur, maire de Rufisque-Est, Mme Ngoné Ndoye est une actrice engagée dans la promotion de l’éducation. Le Conseil national des aînés lui a rendu hommage pour services… rendus à l’école. Si elle s’est éloignée du monde politique depuis une décennie, Mme Ndoye a fondé l’Ong Femidec (Femmes, enfants, migration et développement communautaire) qui est dans la lutte contre la migration irrégulière devenue un phénomène tragique dans notre pays. Dans cet entretien, elle partage ses convictions actuelles sur ces sujets, sur les logements sociaux et les nominations familiales dans les structures publiques.Le 6 juillet dernier, le Conseil national des aînés vous a rendu hommage pour services rendus à l’éducation ? Peut-on savoir quel est le sens d’une telle initiative ?

Je voudrais remercier le Conseil national des notables du grand Cap Vert dirigé par M. Maodo Malick Ngom, qui m’a sacrée ambassadrice de la femme léboue du grand Cap Vert. Je voudrais très chaleureusement remercier les populations du grand Cap Vert à Ziguinchor de m’avoir choisie en tant qu’ambassadrice de la femme léboue. C’était en 2023. En 2024, jour pour jour, le 6 juillet, le Conseil national des aînés du Sénégal m’a fait aussi un grand hommage, en présence du ministre de l’Education nationale, pour services rendus à l’école. Ils avaient même dit «services rendus à l’éducation» : «Je leur ai dit que c’est trop fort. (rires). Disons juste services rendus à l’école.» Notre conviction est que l’éducation est à la base de tout.

Nous avons été très honorée par ces aînés, qui sont des retraités de l’Administration centrale, des enseignants, des chercheurs, dirigés par M. Insa Laye Séye. Si vous me le permettez, je vais lire textuellement ce qu’il a dit : «En reconnaissant le droit à l’instruction comme un droit fondamental, Mme Ngoné Ndoye a œuvré pour que ce droit soit effectivement garanti à tous. Elle a su mobiliser les ressources nécessaires et créer des partenariats stratégiques pour améliorer l’accès à l’éducation, rendant ainsi un service inestimable à notre société.» Cela me donne du baume au cœur.

Concrètement, qu’avez-vous avez fait pour mériter cette consécration ?
Nous avons prôné l’égalité des chances à Rufisque-Est de 2002 à 2009 (en tant que maire de la commune). Nous avions 13 mille enfants éparpillés dans 21 établissements scolaires. Vous le savez, Rufisque-Est est le vieux Rufisque, donc c’est la partie la plus fournie en infrastructures sociales de base telles que les établissements scolaires. Par conséquent, beaucoup d’élèves de Rufisque-Ouest ou de Rufisque-Nord venaient à Rufisque-Est pour faire leurs cours et étaient à la charge du maire de Rufisque-Est exclusivement. Nous avons pu leur donner l’uniforme. Ce geste est important à cause des inégalités sociales, des railleries à l’endroit des enfants qui n’ont pas un habillement adéquat, des complexes pour des enfants intelligents, dégourdis mais pauvres. En plus des uniformes, nous avons donné, et c’est la partie la plus importante, des fournitures scolaires complètes et gratuites aux élèves. C’est cela réellement pour moi le «Ubbi tey, diangue tey», parce qu’il ne s’agit pas que de salles de classe. Bien sûr, c’est important que le maître soit là, mais si l’enfant n’a pas d’outils, il va être difficile pour lui de faire ses cours correctement. Donc nous avons donné des fournitures aux 13 mille enfants durant cette période. C’était énorme comme budget, mais c’était rempli d’espoir.

Pourquoi ?
Pour démarrer effectivement les cours tous ensemble, décomplexer l’enfant démuni afin qu’il se sente valorisé, promouvoir l’excellence et l’éclosion des talents. Et sur un autre registre qui est la création d’emplois, nous avons valorisé les entreprises locales et stimulé l’économie locale. Il y avait une entreprise textile à Rufisque qui nous fournissait le tissu. Il y avait aussi des entreprises de tailleurs qui confectionnaient les uniformes et qui recrutaient de la main-d’œuvre locale pour les boutonnières et autres accessoires. C’était un marché annuel pour aussi tous les entrepreneurs afin de vendre des fournitures scolaires. Et cela tournait autour de 100 millions de fournitures scolaires. Et ça, c’était un marché annuel acquis pour la valorisation de l’économie locale. 22 ans après, je suis valorisée par les anciens.

Dans votre discours, vous avez évoqué la question de la redevabilité de l’enfant par rapport à la Nation ?
Pour moi, la redevabilité de l’enfant vis-à-vis de la Nation est le point le plus important. Elle va permettre aux enfants de reconnaître l’Etat comme donneur principal. L’enfant doit se dire : «Qui qui me donne des fournitures, des uniformes, paie l’enseignant, ouvre les écoles, entretient les écoles, c’est qui ?» Ce qui-là, c’est un ensemble, c’est la Nation représentée par l’Etat du Sénégal. Ce qui va susciter une redevabilité dans la tête de l’enfant vis-à-vis de cette institution.

Il faut inculquer aux enfants la culture de redevabilité, les pétrir au ciment de la Nation. Si aujourd’hui nous connaissons la migration irrégulière, c’est parce que ce ciment de la Nation est en train de s’effriter, de se casser. Et le «moi» prend la place du «nous». Il faut que nous revenions à ces valeurs fondamentales. Cette chute des institutions civiques et citoyennes est une question importante pour moi. Et en 2002 déjà, nous avons prôné cela. Aujourd’hui, si nous avions été suivis, accompagnés, je pense que les enfants, 22 ans plus tard, seraient moulés justement à cette instruction.

Vous avez évoqué des questions très importantes. Comment définir, exiger cette redevabilité de l’élève par rapport à la Nation ? Parce qu’on perd la plupart de nos cerveaux qui vont à l’étranger et ne reviennent jamais.

C’est comme si vous disiez pourquoi un enfant est redevable à son père ou à sa mère ou à sa communauté. C’est à la société de s’organiser de sorte que cela soit quelque chose d’inné, cela doit venir du cœur de l’individu, de son moi intérieur. Et cela doit retracer sa personnalité. Parce que nos parents ne nous ont jamais dit : «Donnez-nous à manger ou à boire». Ils nous ont juste instruits, éduqués, accompagnés, inculqué des valeurs, et en retour, nous savons que nous devons leur être redevables. Je pense qu’il s’est cassé quelque chose dans la société et la communauté. (…). L’argent s’est impliqué dans ce que nous faisons et l’individualisme est en train de gangréner notre société. Et c’est notre devoir à tous d’accompagner, d’aider, d’appuyer en donnant nos idées et en montrant nos convictions. Ce que je suis en train de dire, je ne l’ai pas seulement dit, je l’ai fait. Cela veut dire que moi, je crois en cela. Je pense que nous gagnerions à beaucoup plus investir dans l’école. Par exemple, un enfant qui naît dans une famille, qui fait la petite section, la moyenne section et la grande section, il fait trois ans avant d’entrer à l’école publique. Il va y faire six ans, cela fera 9 ans de la vie d’un enfant. Or, il a une mémoire fertile, retient tout ce qu’il apprend. Imaginez que cet enfant-là n’a même pas d’instruction religieuse. Pour moi, c’est trop de temps. Alors si nous arrivons à intégrer l’éducation religieuse au début de son parcours plutôt que de faire petite, moyenne et grande sections, ce sera tout bénéfique. Ça n’exclut pas tous ceux qui sont dans le secteur, au contraire, ça les renforce. Et ça nous permet de répondre à cette question d’école arabe. Je ne parle pas de daara, je ne parle de ceux-là qui ont fait de l’instruction du Coran un rêve, ce sont des écoles à part qui ne vont jamais changer. Mais au niveau de l’école primaire, il faut qu’on mette trois années durant lesquelles l’enfant devra étudier tout le Coran, le réciter et le comprendre. Bien entendu, ceux qui veulent faire du catéchisme le feront parce que chacun ira du côté de sa religion, mais qu’on intègre cette base. Et maintenant, ce sera suivi de quatre années au maximum. L’enfant n’a pas besoin de plus de temps. Tous les enfants qui sont dans les daaras, quand ils intègrent l’école française, l’école coloniale, on leur fait sauter des classes parce qu’ils ont l’esprit ouvert, fertile. Je pense que cela va diminuer les charges de l’éducation nationale. Il n’est plus normal qu’on ait des abris provisoires, qu’on ait des enseignants qui ont des difficultés à avoir leurs indemnités, leurs rappels. Toutes ces charges financières sont dues au fait qu’on n’a pas assez redéployé toute cette matière grise pour servir à l’éducation et à l’enfant.

Vous prônez juste une réforme ou bien une refonte totale de notre système éducatif ?
De toute façon, ce sont deux mots qui ne disent pas la même chose, même s’ils vont vers le même sens. Si on réforme l’éducation nationale, c’est pour avoir une meilleure vision pour nos enfants. Si on fait une refondation, le plus qu’il y aura, c’est la valorisation de notre culture, parce qu’on va refonder en tenant compte de nos cultures. J’ai entendu le ministre de l’Education nationale dire, lorsqu’il est venu présider la cérémonie, parler d’une société éducative, et j’étais tellement heureuse. Parce qu’il y a la Cellule des filles et mamans au Camp Marchand en 2002. Mme Maguette Diallo Traoré Ndiaye, lorsqu’elle a monté la Cellule des filles et mamans, a travaillé en parfaite collaboration avec la commune de Rufisque-Est, parce qu’elle est non seulement enseignante, mais aussi nous avions le même désir d’impliquer les populations, les parents dans l’instruction de leurs enfants. Au Camp Marchand de Rufisque, cette société éducative est une réalité. Et Mme Awa Guèye Kébé, en tant que ministre de la Famille de l’époque, était venue jusque-là pour valoriser ce que nous étions en train de faire, parce que nous avons impliqué ce qu’on a appelé en ce temps-là la Cellule école-milieu et les parents étaient même plus enclins à venir à l’école demander des informations, s’impliquer, prolonger les cours avec les jeunes qui venaient de l’université et autres pour accompagner l’école. Donc, la société éducative, comme je le disais l’autre jour à M. le ministre de l’Education nationale quand je lui avais donné une passerelle entre le troisième âge ou les aînés, je préfère les aînés moi, entre les aînés donc et les plus jeunes, parce que les aînés ont intégré la sagesse, ont acquis la sagesse, ont des connaissances, ont des compétences, mais surtout ils sont déjà passés par là… Et quand on est déjà passé par là, on sait où se trouvent les écueils, les manquements, les difficultés, mais on sait tout autant comment faire pour sortir de ces difficultés-là. Et on ne peut jamais éclore son talent si on n’est pas bien enraciné, bien fixé dans ses valeurs et dans sa culture.

Est-ce qu’on peut y arriver en réduisant tout de suite le nombre d’années que l’enfant doit faire pour obtenir son Bac ?
Il faut aller à l’essentiel, c’est trop de temps perdu. Il faut toujours profiter du temps où l’enfant n’a pas encore un esprit surchargé par autre chose, il faut capitaliser toute sa mémoire au moment opportun, pendant qu’il n’a pas encore des soucis d’adulte. Mais ici, on fait traîner les enfants. (…)

Le ministre n’a pas encore totalement défini où il voudrait en venir avec cette société d’éducation, notamment la réforme du Bac. Est-ce que ce ne sera pas un saut dans le vide ?
Je ne le souhaite pas, je trouve que nous avons un ministre de l’Education nationale très ambitieux, qui connaît le secteur. Nous avons un ministre ancré dans valeurs traditionnelles de sa localité, de sa communauté. Je pense que le fait que M. Moustapha Mamba Guirassy actuellement, en sortant pour parler à toutes les franges de la société, c’est pour recueillir toutes les idées et puis susciter même la réflexion dans les foyers, les communautés, dans les grand’places, partout où il passe, les gens parlent. Je pense que dans un futur très proche, cela va déboucher sur quelque chose de très intéressant.

Aujourd’hui, il y a le drame de la migration irrégulière. Au-delà d’avoir été ministre des Sénégalais de l’extérieur, vous habitez un milieu confronté à cette situation tragique. Qu’est-ce que ça vous fait ?
Au-delà d’avoir été ministre en charge du secteur, au-delà d’avoir été maire, j’ai été sollicitée par les populations de Thiawlène (Rufisque), avec leur porte-parole Saliou Bâ dit Sougou. Ils sont venus à plusieurs, une forte délégation d’adultes, d’aînés d’un âge très avancé, hommes comme femmes, des jeunes vigoureux, me trouver dans mon bureau à Rufisque-Est en 2004, pour me dire que les jeunes ne pouvaient plus avoir de poissons et qu’ils sont en train de faire la migration irrégulière. J’ai dit : qu’est-ce que c’est que ça encore ? Ils m’ont dit : «Nous n’arrivons plus à donner la dépense quotidienne. Nous ne pouvons plus avoir accès aux cartes B qui nous permettent d’être des navigateurs dans les grands bateaux. On ne peut plus travailler, et nous sommes obligés de gagner notre vie.» J’avais saisi alors le ministre de l’Environnement, M. Djibo Ka, qu’Allah l’accueille dans son Paradis céleste, qui m’avait donné des pirogues en verre. Et la première fois qu’on a offert des pirogues en verre à des pêcheurs avec des filets, on leur a ouvert aussi une mutuelle d’épargne et de crédit pour leur permettre de travailler.

Avec la migration irrégulière, nous avons traversé des moments hyper difficiles, cela avait commencé à baisser, mais a repris de plus belle. Il faut qu’on remette les choses à l’endroit : qu’on inculque à l’école ces valeurs-là. Ensuite, il faut rebâtir la société en tant que communauté.

On ne peut pas demander à des gens de rester pour rester. Il faut qu’il y ait des mesures afin que les populations se sentent valorisées, impliquées dans ce qui se passe. Il y a aussi ce qu’on appelle un «djoganté» (Ndlr : affrontement et concurrence) incroyable entre coépouses. (…) La migration est associée à la pauvreté alors que d’autres facteurs en sont à l’origine, comme le changement climatique et l’urbanisation. Et les gens ont le droit de voyager.

Aujourd’hui, nous avons un secrétariat d’Etat, mais la Direc­tion est l’élément essentiel. Je pense vraiment qu’il nous faut avoir un ministère de plein exercice où on mettrait un Secrétaire général qui va être l’épine dorsale sur qui tout doit reposer et qui ne va pas être changé au bon vouloir des hommes politiques. Il faut qu’on puisse avoir des directions techniques fortes, bien outillées, avec un pouvoir de décision et aussi des ressources humaines de qualité.

Il nous faut avoir un ministère adossé à des Sénégalais de l’extérieur parce qu’ils ont eux-mêmes leur organisation comme le Conseil des Sénégalais de l’extérieur. Et bien entendu, avoir une banque parce que les Sénégalais de l’extérieur envoient beaucoup plus que l’aide publique au développement, mais eux ils donnent à manger. Ce n’est pas un investissement. On ne peut pas revendiquer ce qu’on a donné pour mettre dans le ventre de sa famille et dire voilà ce que nous apportons. Si c’était dans une banque, on aurait pu utiliser cet argent pour des investissements, mais surtout les impliquer dans ce travail. Et donc, j’aimerais bien aussi donner quelques recommandations : mettre une politique migratoire appropriée. Il faut favoriser et faciliter la migration légale. Il faut avoir accès au visa. Dans les négociations, il faut qu’on mette cette question sur la table. Il faut un très bon quota de visas.

Aujourd’hui, il y a le manque de données fiables sur les statistiques liées aux migrations…
Nous n’avons aucune statistique. Combien de migrants avons-nous à l’extérieur ? Est-ce que nos frontières nous donnent les bonnes informations ? Dans l’Uemoa et la Cedeao, on dit la libre circulation des personnes et des biens : comment les personnes peuvent circuler librement ? Et dans ce dossier, nous travaillons surtout sur l’exploitation des enfants. Les enfants traversent les frontières, et en Afrique de l’Ouest, on ne sait pas pourquoi et comment les retenir. Nous pensons demander un amendement ou en tout cas un encadrement, parce qu’on dit qu’un enfant accompagné doit pouvoir quitter un pays pour un autre. Il faut revoir cela et mettre des garde-fous pour protéger les enfants.

La migration professionnelle et la fuite des cerveaux représentent la plus grande inquiétude. La fuite des cerveaux au Sénégal m’inquiète, même les enfants ne veulent pas rentrer après avoir fini leurs études parce que le pays ne les accueille pas correctement. Je pense qu’il nous faut vraiment donner du respect au secteur de la migration.

Ces derniers mois, ces dernières années, on a constaté une féminisation du phénomène. Vous avez une explication, ou c’est carrément le dénuement qui pousse les femmes à partir avec leurs enfants ou même en état de grossesse ?
La migration elle n’est même pas économique, c’est le «djoganté» (Ndlr : l’affrontement social) qui nous fatigue. Ça fait briller beaucoup de personnes. Je dis maintenant c’est le «moi». Moi, ma maison, mon appartement, ma voiture, mon luxe, mon paraître. Qu’est-ce qu’on ne dit pas des filles qui vont à Dubaï ? Qu’est-ce qu’on ne dit pas dans leurs dos ? Même si elles travaillent d’arrache-pied pour vendre de la marchandise, etc. Mais, elles sont traitées de tous les noms d’oiseaux. Moi, je vois le problème de manière très vaste. Si vous regardez autour de vous, les foyers avec un papa, il n’y en a pas beaucoup. Maintenant, beaucoup de femmes sont des cheffes de famille. Elles ont en charge leur personne, leurs enfants, parfois même leur mère, elles doivent donner la dépense quotidienne, payer l’électricité, l’eau. Je dis simplement qu’elles ont les mêmes charges que les hommes.

Là où il y a l’irresponsabilité de l’homme, rarement c’est le veuvage, parfois ça peut être le divorce, mais la plupart du temps c’est l’irresponsabilité de l’homme vis-à-vis de la femme. Alors qu’on était encore dans une société où la femme était protégée. On ne laissait jamais une femme sans mari une ou deux années successives. Si on n’avait pas de prétendant, on demandait à l’oncle de l’épouser. C’était pour éviter justement ces phénomènes. Mais, toutes ces barrières-là sont cassées. Les frères n’ont plus de chambre pour leur sœur. Ce n’est pas de leur faute, c’est la conjoncture.

Que faire ?
C’est très malheureux qu’elles partent maintenant en famille, avec leurs enfants. Parce qu’on leur a dit : «Si les enfants arrivent là, ils pourront avoir des papiers parce qu’ils sont mineurs.» Mais pourquoi décider de mettre son enfant dans une pirogue et partir à l’étranger ? L’exode rural a toujours poussé les femmes vers les centres urbains pour être lavandières ou piler le mil ou préparer le couscous, etc. Mais aujourd’hui, elles vont ailleurs. Ce ne sont plus les capitales qui les épatent parce qu’elles n’ont plus rien non plus, donc les gens vont ailleurs.

Est-ce que les collectivités territoriales ont un rôle à jouer dans la lutte contre la migration irrégulière ?
Il y a la budgétisation sensible à la migration pour permettre aux collectivités territoriales, chacune dans sa zone, d’ouvrir une fabrique ou alors des unités pour permettre de mettre en place un système d’élevage ou une activité économique qui va permettre d’absorber 200, 300, voire 500 ou 1000 migrants afin de leur donner un emploi. Pour y arriver, il faut changer la nomenclature budgétaire des collectivités locales et leur donner la force de travail.

La budgétisation sensible à l’habitation permettra aussi à l’Etat de régler cette question de logements sociaux. Pour moi, aucun Etat ne pourra s’occuper de logements sociaux s’il ne délègue pas aux collectivités territoriales. On ne peut pas prendre le foncier dans une commune, imposer des entrepreneurs ou des bailleurs ou des partenaires et faire des logements sociaux et les vendre à on ne sait qui. Le logement est dit social parce que le maire s’occupe des questions sociales.
C’est le maire qui sait qui est pauvre, qui peut ou ne peut pas payer un logement, qui doit payer un prix fort ou la moitié et qui doit être subventionné…. Me Mbaye Jacques Diop (ancien maire de Rufisque) a donné plus de 4000 terrains sur le territoire de sa collectivité locale. Et il a donné aux gens de Rufisque parce qu’il sait que ce sont des Rufisquois qui ont besoin de se loger. Mais si vous le donnez à quelqu’un d’autre, il va commencer par sa famille, ses amis, ses camarades de promotion, d’école, avant de penser aux autres.
Je pense donc que ce n’est que justice que de faire du logement social, une affaire de collectivité territoriale. Cette politique permettra aussi aux petites entreprises de construction, de carrelage, d’électricité, de jardinage, de pavage de la localité d’avoir du travail et de stimuler l’économie locale. Il faut que l’Etat se désintéresse de ces logements sociaux. Je le dis depuis 2002, un Etat doit laisser les terres tranquilles, permettre aux locaux de booster l’économie locale. On ne se développera que de cette manière. Mais c’est l’Etat central qu’on attend pour nourrir les gens, nous allons tous vivre et mourir pauvres. Et nous n’atteindrons jamais cette vitalité économique que nos pays sont en droit de réclamer.
En vérité, les logements sociaux ne sont sociaux que de nom parce que les prix sont exorbitants
Non seulement il y a la question des prix, mais on ne sait pas qui va venir habiter. Alors que dans la localité, les gens n’ont pas où habiter. On a mis en place des plateformes pour s’inscrire, est-ce que les gens sont en possibilité de le faire ? Tout le monde ne sait pas le faire, n’est pas au courant. Alors que vous habitez Mérina, Léona, Thiawlène ou Arafat. Dans les maisons, il y a maintenant trois générations, ce sont les aînés qui nourrissent les familles. Les jeunes ne peuvent pas avoir accès à la terre, au foncier, à un logement. Puis, ils se lèvent un matin et voient qu’on a des programmes de logements sociaux après que les gens ont déjà fini d’habiter. Mais, ils deviennent quoi ? C’est frustrant. Et vous demandez à un gosse de ne pas plonger dans la mer, ce n’est pas cohérent.
Aujourd’hui, il y a le débat sur les nominations népotiques dans les administrations publiques. Il est récurrent d’ailleurs…
Quand vous êtes élu ou nommé, toute la famille est soulagée après cela. Même les voisins, la communauté, bref tout le monde est content. On va dire : «Notre enfant y est parvenu.» Ils attendent quelque chose, c’est pour cela qu’ils le disent. Et ceux qui vous ont élu et qui ne sont pas proches de vous, vont vous contrôler pour voir si vous mettez quelqu’un de votre famille dans votre cabinet ou si vous l’associez à votre travail. Vos proches s’attendent à être impliqués ou à ressentir les retombées de votre nomination. Et les autres disent : «Ah non, on ne vous a pas mis là pour vous, mais pour le pays.»
Par contre, si vous quittez cette fonction sans avoir mis un seul membre de votre famille, on va vous accuser de «Samba Allaar». Vous êtes parti sans nous, maintenant buvez votre vin seul. Si vous vous mettez à impliquer, intégrer votre famille, on va dire que c’est du clanisme, du népotisme.
C’est un vrai dilemme ?
Il faut que nous sachions ce que nous voulons et qu’on en parle. Il faut éviter, à chaque fois quand on veut accéder au pouvoir, de critiquer pour critiquer, mais il faut plutôt faire des critiques constructives qui pourront nous accompagner. C’est tombé aujourd’hui sur l’actuelle équipe gouvernementale parce qu’elle avait critiqué cela. Moi, je n’avais personne de proche dans mon cabinet. Ça me retombe dessus aujourd’hui. Je pleure et je me tais. Mais, je pense que, ne serait-ce que pour ne pas couper le cordon ombilical entre la personne élue et sa base d’origine, sa famille, sa société, il faut qu’un membre de son cabinet, ou en tout cas autour de lui, puisse être le trait d’union entre lui et sa famille, son quartier, sa ville. Parce que sinon, quand elle aura fini ses charges, elle sera damnée, seule, houspillée. D’autant que durant cette période, vous n’avez pas le temps d’y aller. On peut vous excuser que si on sent votre main… Moi je pense qu’il faut légiférer sur la question pour dire qu’on autorise chaque élu, en tout cas à certaines responsabilités, à garder le cordon ombilical avec sa famille par un membre du cabinet. Ce n’est pas possible autrement. Maintenant, les gens sont libres de dire oui, parce qu’on est en train d’appliquer ce qui se passe à l’international. Nous ne sommes pas pareils. Là-bas, les gens, avant d’arriver à des postes nominatifs, ne vivent plus chez leurs parents depuis l’âge de 18 ans, n’ont plus de relations assez directes avec leurs populations. Maintenant, il faut bien sûr de la compétence.
Quand quelqu’un sait faire quelque chose, il faut lui demander de le faire. Dans votre propre maison, parfois votre cuisinière ne sait pas cuisiner quelque chose, vous dites à votre fille de le faire. Alors que normalement il y a une personne payée à le faire, mais elle ne sait pas le faire. C’était dans mon cœur depuis l’affaire Karim Wade. C’était resté dans mon cœur, ça me tuait. Je me disais, mais c’est une injustice. Et c’est arrivé à Aliou Sall. Et 12 ans après quand Aliou Sall a pris la parole, les gens ont eu honte.