Et de six ! C’est le nombre d’albums à l’actif de Grand Corps Malade. Enregistré avec Angelo Foley, son vieux complice musical, ce «Plan B» nous mène du collège de Saint-Denis à l’Olympia, de l’écriture au cinéma. Instantané d’un conteur hors pair qui «affiche l’esprit d’équipe comme un emblème» et une sacrée résilience.

Dans l’une de vos anciennes chansons, Funambule, vous disiez que vous êtes autant dans les Mjc qu’à l’Olympia. Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?
L’année dernière, j’ai fait un cycle d’ateliers slam dans mon ancien collège à Saint-Denis. A chaque fois que je peux, j’essaye de le faire. C’est de plus en plus dur, parce qu’il y a une sortie d’album, une grosse tournée, le cinéma, et deux enfants à la maison. Du coup, j’aime aussi être avec eux, mais on parlait d’équilibre dans Funambule. J’ai besoin de cet équilibre-là. J’ai l’impression que l’un met en valeur l’autre. Quand tu vois des gamins, tu prends du recul sur ton écriture, et quand tu fais l’Olympia, tu repenses à ces moments.

L’éducation, c’est un peu votre credo parce que déjà, adolescent, vous étiez éducateur sportif. Qu’est-ce qui vous plaît là-dedans ?
J’aime bien l’idée de transmettre quelque chose que tu aimes. Avec les ateliers slam, c’est l’idée. Je n’apprends à écrire à personne, mais je leur montre que ça peut être ouvert à tous et agréable. Tu es là pour créer une espèce de confiance, pour qu’ils se lâchent et qu’ils se mettent à écrire. C’est la transmission d’une passion. Je ne sais pas si elle est bonne, mais je dois avoir une petite fibre pédagogique.

Venons-en à votre nouvel album. Les Plans B, c’est l’histoire de votre vie. Vous rêviez d’être basketteur, vous avez eu cet accident dans une piscine qui vous a laissé «tétraplégique incomplet», et puis vous avez été révélé par votre écriture. Qu’est-ce que vous mettez dans cette notion de Plan B ?
Ce n’est qu’un exemple parmi plein d’autres. Mais ce plan B n’est pas adressé qu’à moi, il s’adresse à tout le monde. A de grandes ou à de petites échelles, on passe notre temps à passer d’un plan A à un plan B, voire même d’un plan B à un plan C. La vie, c’est une succession de choix qui n’étaient pas prévus au départ. Un plan B, c’est revoir son projet.
Sur La syllabe au rebond, on est entre le plan A et le plan B. Pourquoi écrire des textes personnels dont certains, comme Le langage du corps, font écho à votre premier disque ?
Déjà, je n’avais jamais écrit sur le basket. Dieu sait pourtant que c’est ma passion, mais je n’avais jamais trouvé l’angle d’attaque. Du coup, avoir cet angle, entre le basket et l’écriture, avec plein de termes qui zigzaguent entre les deux, je trouvais cela marrant. Et puis après, il y a toujours eu une part de nostalgie. Dans Acouphènes, je parle des bruits du passé. J’ai coutume de dire que ce n’est pas une nostalgie qui te plombe. Bien au contraire, elle t’aide à avancer…

Votre chanson Au feu rouge évoque le sort des migrants en France. Pour son clip, vous faites des portraits de ces personnes. Vous donnez leur nom, leur profession. Etait-ce important de donner une existence à ces migrants, en plus d’un visage ?
Evidemment ! C’est dans la continuité du texte. D’habitude, on croise juste un regard au feu rouge et on trace sa route. L’idée de ce texte est de s’arrêter, de se rappeler la vie qu’il y a derrière ce regard. Cette vie est effroyable. Yana a tout quitté, elle a risqué sa vie. Elle a pris le bateau, connu les centres de rétention pour arriver à un eldorado : un carton sous un pont. Le texte, c’est de se rappeler quelle vie elle a, cette femme qu’on appelle «migrant» parmi tant d’autres. Dans le clip, voir les professions, ça te met une claque parce que tu te rappelles que ce n’est pas juste quelqu’un qui est réfugié comme 100 mille autres. C’est quelqu’un qui a un métier, comme toi et moi.

Votre film Patients, tiré du récit que vous avez fait de votre rééducation, a été plébi­scité au cinéma. Il est nommé quatre fois pour la prochaine cérémonie des César, notamment dans la catégorie «Meilleur film». Pour vous et votre co-réalisateur Mehdi Idir, c’est une grande satisfaction, j’imagine…
C’est une grande satisfaction, mais c’est surtout une satisfaction collective. Quand on parle d’esprit d’équipe, il n’y a pas plus collectif que le cinéma. J’ai écrit le scénario seul, mais si ce film est une réussite, c’est grâce à tellement de personnes. Je n’ai pas fait d’études de cinéma, on a appris sur le tas. Pour tous ces gens-là avec lesquels on a partagé le projet, on est fier. Il y a cinq jeunes acteurs qu’on a mis en avant et qui tiennent tout le film. Ils sont beaux, émouvants et il y en a un qui est nommé dans la catégorie «Meilleur acteur». C’est grâce à eux que ce film marche.

Au début des années 2000, quand le slam est arrivé, il y a eu un retour de la poésie. Est-ce que, grâce au slam, vous vous êtes dit qu’il était possible d’écrire ?
Via le slam, j’ai en tout cas redécouvert la noblesse du mot poésie. Quand j’étais à l’école primaire, le mot «poète» n’était pas loin d’être une insulte. La poésie telle qu’on me l’a enseignée à l’école n’était pas très excitante, c’était vieillot. Il faut faire écrire les élèves pour apprendre à manier la langue française. Moi, on ne m’avait jamais demandé d’écrire un poème dans toute ma scolarité. Quand le slam est arrivé, les mecs se disaient poètes. Et d’un seul coup, j’ai dit : «Mais ouais, c’est class’ la poésie.» Aujourd’hui, quand on me dit que je suis une sorte de poète, j’en suis super fier.
Rfi