Deux opposants au second tour de l’élection présidentielle de 2019 ? Habib Sy juge très probable cette éventualité. Dans cet entretien, le président du Parti de l’espoir et de la modernisation place Me Abdoulaye Wade comme la clé de l’issue des joutes de févier prochain.

Est-ce que vous étiez au courant d’une démarche de Souleymane Ndéné Ndiaye pour obtenir une grâce présidentielle en faveur de Karim Wade ?
J’avoue que je n’ai jamais été au courant d’une telle démarche de Souleymane Ndéné Ndiaye. Je crois que c’est une déclaration qu’il faut mettre dans le cadre du combat politique. En tout état de cause, elle n’enrichit pas le débat politique national. En revanche, la question du retour de Karim Wade au Sénégal doit être un débat national, dans la mesure où son séjour au Qatar est un exil. Pour Karim Wade, le pouvoir utilise une méthode de gouvernance colonialiste. A l’époque de la colonisation, le colon appliquait la politique de l’exil ou de la déportation contre certains des adversaires ou ennemis pour les mettre «hors d’état de nuire». Ainsi, des chefs religieux, des rois ou d’autres personnes en ont été victimes. Mais après l’accession à la souveraineté internationale, cette pratique a été bannie. Même dans les Etats de dictature, après l’indépendance, je ne connais pas de président qui l’a appliquée contre ses adversaires politiques. On a plutôt connu des opposants politiques qui se sont exilés d’eux-mêmes, craignant pour leur vie. Cette pratique de l’exil d’un opposant politique pose un problème de droit de l’Homme et de liberté fondamentale, la liberté de mouvement. Au-delà de toute considération politique, nous devons nous mobiliser pour le droit et la liberté de Karim Wade de revenir au Sénégal. Il y va du respect de la dignité humaine. Les menaces de contrainte par corps à son retour, non autorisé par le pouvoir, sont d’une extrême gravité car elles confirment la thèse de l’exil, pour ne pas dire de la déportation.

Pour vous, qu’est-ce qui retient Karim Wade au Qatar ?
Ses avocats ont bien dit qu’il est en exil. Je pense d’ailleurs qu’il ne serait pas superflu de mettre sur pied une large coalition nationale pour le droit et la liberté au retour de Karim Wade. Il ne s’agit pas de soutien à sa candidature mais, de combat pour l’exercice d’un droit. Aucun homme politique, aucun membre de la Société civile ou citoyen épris de justice ne doit rester indifférent à la question de l’exil de Karim Wade. Je suis prêt à aider les mouvements karimistes pour la mise en place de cette large coalition.

Souleymane Ndéné Ndiaye déclare avoir quitté le Pds à cause de Karim Wade. Est-ce votre cas ?
Non. J’ai quitté le Pds parce que je n’avais plus les mêmes orientations avec la direction du parti. Lorsque j’ai créé mon mouvement, certains n’ont pas compris. On m’a accusé de vouloir transhumer. Je me rends compte que ceux qui le disaient ont rejoint Macky Sall.

A qui faites-vous allusion ?
Je ne vais pas vous citer des noms. Vous les connaissez, ces transhumants. Je suis dans l’opposition, avec honneur et patience.

Vous ne transhumerez jamais ?
Avec honneur et patience, inlassablement, je continuerai à mener le combat dans les rangs de l’opposition. Je ne voudrais pas être absent au rendez-vous de ceux qui auront le privilège d’avoir aidé les populations sénégalaises à se débarrasser du pouvoir oppresseur de Benno bokk yaakaar. Je paraphrase mon grand-père maternel qui avait tenu de tels propos au Président Senghor, qui voulait le faire transhumer de la Sfio au Bds.

Est-ce que vous croyez réellement que Macky Sall va perdre en 2019 ?
Tout dépend de la façon dont nous allons nous organiser. Si nous sommes bien organisés, nous pouvons y arriver. On est en train de le faire dans le cadre du Front de résistance nationale, qui mène une lutte d’envergure. On a rencontré des chefs religieux, l’Union européenne et l’ambassadeur des Usa. On organise des marches et la dernière en date a eu lieu dimanche dernier. Nous allons accentuer la pression sur le régime de Macky Sall pour qu’il revienne à la raison. Maintenant, il faut passer à l’autre étape, relative à l’organisation des candidatures. En tout état de cause, je ne vois aucune possibilité pour Macky Sall de gagner l’élection. Même par la fraude, dont les mécanismes sont en train d’être mis en place, le candidat Macky Sall ne doit pas pouvoir y arriver.

Mimi Touré dit que le problème de l’opposition, c’est que sa locomotive, le Pds, n’a pas de candidat. Etes-vous d’accord avec elle ?
Je ne voudrais pas donner l’impression de parler au nom du Pds que j’ai quitté, mais je pense ce sont des propos qui n’ont pas de sens, dans la mesure où le Pds a investi Karim Wade comme son candidat à la prochaine élection présidentielle. En le disant, Mimi Touré pense certainement au plan diabolique mis en place par le pouvoir pour empêcher cette candidature. Macky a dit que l’opposition ne connait pas à qui elle a affaire, mais je crois que c’est lui qui ne connait pas suffisamment Abdoulaye Wade et le Pds, quand bien même il fut numéro 2 de ce parti.

Mais l’inscription de Karim Wade sur les listes électorales a été rejetée…
Je crois que Macky Sall n’apprécie pas très bien l’engagement et la détermination de Karim Wade à se présenter à cette élection présidentielle. Il fait une erreur d’appréciation et l’histoire va nous le prouver, connaissant Karim Wade. Je crois que Karim sera candidat. Macky sera surpris.

Justement, le président de la République estime que l’opposition s’agite parce que la plupart d’entre eux ont perdu leurs privilèges. Est-ce votre cas ?
Le Président Macky Sall communique mal. Cela veut dire que lui s’accroche à des privilèges. C’est pourquoi il fait tout pour garder ce pouvoir en éliminant des adversaires. Pour lui, le pouvoir est une question de privilèges. Macky Sall a un problème de communication verbale et gestuelle. Il doit faire de gros efforts et chercher de bons conseillers. Malheureusement, il n’a pas compris les leçons de Me Abdoulaye Wade qui nous disait qu’en matière de communication, peu importe ce que vous dites, ce qui est important, c’est ce que les autres comprennent. A chaque fois que Macky Sall parle, les gens le comprennent de façon négative. C’est mal parti pour lui s’il continue dans cette forme de communication. D’ici à l’élection présidentielle, il sera au bas des sondages. Je suis un spécialiste ès sondages.

Que disent vos sondages ?
En tant qu’homme politique qui pratique les masses, avec des visites à l’intérieur du pays, on reçoit le feed-back des populations. A partir de là, nous pouvons nous faire une idée de ce que la majorité des Sénégalais pense de Macky Sall. Dans les transports publics, les taxis, chez les cultivateurs, il y a cette perception de malaise générale de la population par rapport à ce pouvoir, de ras-le-bol et d’une volonté de s’en débarrasser en 2019. L’opposition gagnerait à mieux s’organiser parce que toutes les conditions sont réunies pour une alternance en février 2019. Un second tour entre candidats de l’opposition est possible. Vu la situation, il ne faut pas écarter l’éventualité de voir Macky Sall ne pas accéder au second tour. C’est très probable.
Lors de cette élection, est-ce que vous serez candidat ?
Je l’estime, le pense et le veux. Je suis en train d’y travailler. J’ai déjà déclaré ma candidature. J’ai un programme que je vais présenter aux Sénégalais. Je ne dis pas que j’ai le meilleur profil mais je pense que le mien devrait intéresser les Sénégalais, dans la mesure où je connais l’Adminis­tration de notre pays. Je l’ai pratiquée pendant plus de 30 ans. Je fus ministre pendant 10 ans. Je suis un élève du grand homme d’Etat et homme politique, Me Abdoulaye Wade. Durant mes fonctions dans l’Administration et dans le gouvernement, mon nom n’a jamais été mêlé à un scandale, quel qu’il soit. Je revendique mes origines de fils de paysan et je ne suis pas riche. J’ai parcouru le pays pour constater les situations que vivent les Sénégalais. J’ai fait un programme pour proposer des solutions qui vont aider à sortir les Sénégalais de la pauvreté, de la misère, du manque d’eau, etc. Je suis un homme du Peuple, donc je sais le discours qu’il faut tenir pour convaincre mon Peuple. Mais je pense que la clé de l’élection présidentielle de 2019 est entre les mains du Président Wade
.
Comment ?
Il a le parti le plus représentatif. Il faut attendre qu’il revienne. Il va revenir bientôt. Wade a la capacité de brouiller toutes les fréquences. Il a un don pour cela. Il sera là avant l’élection présidentielle.

Excluez-vous de soutenir un autre candidat ?
Pour amoindrir la souffrance des Sénégalais, je suis prêt à tous les sacrifices. Je ne suis pas un homme politique qui met en avant son ego. Contrairement à Macky Sall, je ne pense pas à des privilèges. Maintenant, je travaille pour être le prochain Président du Sénégal.

Etes-vous le plan B du Pds en cas de non-validation de la candidature de Karim Wade ?
Je ne peux pas être le plan B du Pds parce que je ne suis plus membre de ce parti. D’ailleurs, le Pds dit qu’il n’y a pas de plan B.

Que pensez-vous de l’affaire Cheikh Bamba Dièye ?
En ce qui me concerne, je ne tiendrai jamais de pareils propos à l’endroit des juges. Mais les magistrats, qui sont de bons juristes, devraient aussi chercher à en connaitre davantage sur les enjeux politiques. L’atmosphère politique actuelle peut être source de certains propos que l’on peut juger diffamatoires, mais qu’on pourrait verser au nom de la marche vers une démocratie pérenne.

Vous dites qu’il n’y a plus d’espoir pour la jeunesse, mais la Der a récemment octroyé des financements pour 15 mille jeunes ?
Cette Der est une escroquerie politique. Le «budget social» de 2018-2019 est en réalité un budget de guerre, pour la campagne électorale. La Der sert à financer des électeurs pour voter en faveur du candidat du pouvoir. Mais c’est du temps perdu. Les carottes sont déjà cuites.

Quel est l’impact des visites du Frn aux chefs religieux et dans les représentations diplomatiques ?
Le pouvoir sait bien ce que nous faisons. Il réagit après chaque audience qui nous est accordée. Après notre audience avec l’Union européenne, le président de la République a qualifié notre action d’«enfantillage».