Propos recueillis par Ousmane SOW – La condamnation à 2 ans de prison ferme de Ousmane Sonko a été suivie de violentes manifestations les 1er et 2 juin derniers. Des violences qui se sont soldées par des actes de pillage et d’incendie sur de nombreuses stations-service. Avec l’accalmie notée, l’heure est toujours à l’évaluation des dégâts. Dans cet entretien, le Secrétaire général de l’Association des gérants de stations-service du Sénégal, Ibrahima Fall, apporte des précisions et insiste sur l’aspect sécuritaire pour éviter une «catastrophe».Pouvez-vous faire le point sur les dégâts occasionnés par le pillage des stations-service lors des récentes manifestations ?

Faire le point actuellement, ce ne serait pas véridique, d’autant plus que nous sommes jusqu’à présent à l’état d’évaluation. Et il y a aussi des stations qui sont toujours fermées, des dégâts matériels assez importants et la quasi-totalité des documents comptables détruite. Si les gens rentrent dans nos sites, cassent nos matériels de service et brûlent nos documents comptables, ce serait difficile de recouper tout ça. Mais jusqu’à l’instant où je vous parle, nous en sommes à l’évaluation, et nous n’avons pas encore terminé parce que des documents comptables ont été détruits. Mais on va y arriver. Pour rappel, en 2021, 54 stations-service avaient été touchées. Mais en 2023, on en est à 50 pour le moment qui sont atteintes très gravement même. Le matériel de service a été cassé et brûlé. Et tout ce qui se trouvait comme marchandise dans ces stations-là, a été pillé. 2023 est pire que 2021 parce que quand les gens rentrent, enlèvent des fils, coupent des climatiseurs, cassent des vitres, à la limite, c’est de l’acharnement. Et nous, nous sommes des commerçants. Nous achetons et nous revendons. Pourquoi nous ?

Est-ce qu’on peut quantifier les pertes engendrées ?
En tout cas, une chose est sûre : ce qui nous était arrivé en 2021, on l’avait évalué à 1 milliard 102 millions de Fcfa. Et je pense qu’en 2023, ce sera pire. Il n’y a pas l’ombre d’un doute parce que si vous voyez les dégâts occasionnés par les manifestations, vous verrez que c’est pire qu’en 2021. Mais nous en sommes jusqu’à présent à l’état d’évaluation. Et après cela, on va donner les documents nécessaires aux ministres du Pétrole et des énergies, et du Commerce, de la consommation et des petites et moyennes entreprises, et voir ce que l’Etat peut faire par rapport à cette situation-là.

Dans un courrier que vous avez adressé à la ministre du Pétrole et des énergies, Madame Sophie Gladima, vous protestez contre une non-assistance face à la destruction et le pillage de vos marchandises et outils de travail…
On veut juste plus de sécurité pour nous-mêmes, notre personnel et pour l’ensemble des Sénégalais qui entrent dans nos stations. La sécurité d’abord ! C’est la sécurité qui prime sur tout. Ensuite, le reste viendra. Et la ministre du Pétrole et des énergies nous a très bien reçus. On a discuté de la sécurité dans les stations et de ce qu’il va falloir faire pour qu’à l’avenir, de telles choses ne se répètent plus. Mais en ce qui concerne le ministère du Commerce, aucune réponse n’a été notée jusqu’à l’instant où je vous parle.

Mais est-ce que les pertes sont prises en compte par les assurances ?
Les pertes ne sont pas prises en charge par l’assurance. Et nous, on s’est dit que l’Etat, étant le garant des biens et des personnes, devrait se substituer normalement à ces assureurs-là et pouvoir aider le Sénégalais à maintenir des emplois. Là où les gens se démènent pour créer des emplois, les autres les détruisent. Ne serait-ce qu’en 2021, il y avait 1454 emplois directs perdus. Je ne parle même pas de tout ce qui tourne autour d’une station-service. Je parle juste des emplois directs, parce que pour qu’une station fonctionne, il va falloir qu’il y ait des fournisseurs. Si cette station s’arrête, non seulement le personnel de la station s’arrête, mais les fournisseurs également.

En tant que Sénégalais, quel est le sentiment qui vous anime ?
Nous avons le sentiment d’avoir été totalement abandonnés. On nous l’a fait en 2021. Les gens ont récidivé en 2023 alors que nous avions eu à communiquer dessus en faisant comprendre au Sénégalais lambda que nous sommes des Sénégalais et que ce qui se trouve dans ces stations-là appartient à des Sénégalais, qui ont eu à contracter soit des crédits, soit sur fonds propres, soit en collaboration avec d’autres personnes pour mettre en place ces structures-là et embaucher des Sénégalais. On a été surpris de voir que ce qui nous était arrivé en 2021, nous arrive encore en 2023, d’autant plus qu’on a eu à communiquer sur cela à maintes reprises. Et malheureusement, nous n’avons pas reçu de soutien, ni de l’Etat du Sénégal ni de l’opposition. Personne ne nous a soutenus. Il y a eu des gérants qui ont fermé boutique et qui sont partis.

Au Sénégal, les stations-service sont construites de façon un peu anarchique, et souvent même confondues aux lieux d’habitation. Les règles en la matière sont-elles respectées ?
Ça, je ne saurais le dire. Mais tout ce que je peux vous dire, c’est qu’il y a une réglementation en vigueur concernant ces établissements classés.
Maintenant, ce n’est pas de mon ressort. C’est du ressort de l’Etat du Sénégal de réglementer un secteur aussi dangereux. Mais quand même, j’ai tenu à mettre en avant la sécurité quand la ministre du Pétrole et des énergies, Mme Sophie Gladima, nous a reçus. Je lui ai dit : «Madame la ministre, moi, je vais intervenir dans deux sens. Au premier plan, je parlerai d’abord de droit, d’autant plus que nous sommes des commerçants, et quand notre existence est menacée, on a le droit de dire attention, je m’arrête. Et sur un second plan, je parlerai de devoir.
Et ce devoir de protéger le Sénégalais, parce que nous qui travaillons dans les stations, nous manipulons des produits extrêmement dangereux et inflammables. L’emplacement des stations n’a pas été tellement respecté, elles ont pignon sur rue. Elles sont dans des marchés, dans des zones tellement fréquentées. Mais vous imaginez si les gens mettent le feu, c’est la catastrophe.» J’ai tenu à interpeller l’Etat sur ça. Attention, attention ! Certes l’aspect pécuniaire est important, mais le mot d’ordre chez moi, c’est la sécurité d’abord. Et ça, je tiens à le rappeler à tout le monde. Une fois encore, il faut que les gens soient informés de la dangerosité de ce qu’ils sont en train de faire. Il ne faut pas mettre le feu.

Justement, face à cette recrudescence des manifestations à Dakar, les populations ont exprimé leur crainte de voir un jour une station exploser. Quel est le risque ?
Il y a un risque d’explosion et j’en ai discuté avec les délégués du marché de Dior. C’est une station qui est fréquemment attaquée, saccagée. Je leur ai fait comprendre que peut-être ça vous laisse indifférents, mais attention. Parce qu’il y a au moins 50 mille litres ici. Et si jamais ça pète, je ne parle même pas du marché, tout le quartier peut être dévasté. Maintenant, vous imaginez les habitations tout autour, Hlm Grand Médine, Dior, U19, U20… Vous imaginez les dégâts que ça peut occasionner ? Nous allons organiser des campagnes de communication pour au moins sensibiliser les gens et leur faire comprendre : «Attention, ne mettez pas le feu ici parce que même vous qui mettez le feu, vous pouvez ne pas échapper à cette situation. Ne mettez pas le feu. Si jamais ça pète, ce sera la catastrophe, Walahi Azim.» Je ne le dis pas pour faire peur aux gens. Mais si jamais ça pète, ce sera la catastrophe. Et je me tue à le répéter. Il faudrait que les gens comprennent, parce que ce sont des choses qui peuvent arriver.

Il y a quand même des mesures de sécurité ?
Oui, nous avons eu à installer non seulement des caméras, mais aussi des systèmes qui peuvent arrêter le flux de carburant allant vers les pompes à tout instant. Mais ce sont des choses que nous ne montrons pas parce qu’il y va de la sécurité-même de la station. Mais il y a un système qui a été mis en place justement pour protéger tout le monde.