Recueillis par Woury DIALLO – Rappelé par la Fédé de handball pour entraîner les Lions après avoir été sur le banc des Lionnes, la nomination de Fred Bougeant fait toujours débat. Ancien Lion et joueur de l’Us Rail de Thiès, Jules Dia dénonce le mépris vis-à-vis des techniciens sénégalais, absents des staffs techniques, autant chez les Garçons que chez les Filles. Celui qui a été coordonnateur des équipes nationales déplore aussi le manque de considération des joueurs locaux et la mise à l’écart par l’instance fédérale des anciens internationaux. Entretien.Comment avez-vous ac­cueilli la nomination de Fred Bougeant à la tête de l’Equipe nationale masculine, après celle féminine ?

D’abord, disons que je suis très content que la sélection masculine reprenne enfin du service. Depuis 2014, après quelques problèmes en Algérie, cette sélection a été laissée en rade par le président de la Fédération. C’est donc une bonne chose que les Lions puissent reprendre avec des compétitions en ligne de mire. Maintenant sur la nomination Fred Bougeant chez les Gar­çons, il faut d’abord noter qu’il est reconnu comme étant un bon entraîneur. On a travaillé ensemble. Donc la question de ses compétences ne se pose pas. Mais personnellement, je ne suis pas surpris par sa nomination puisqu’avant la Can féminine de Yaoundé, il y avait déjà des rumeurs qui disaient que Bougeant allait atterrir chez les Garçons et laisser la sélection féminine à quelqu’un d’autre. C’est donc quelque chose qui était acté depuis longtemps. Et c’est dommage parce que cela voudrait dire qu’avant la débâcle de Yaoundé, Bougeant savait qu’il allait entraîner les Garçons. Du coup, il ne pouvait pas s’occuper à 100% des Filles par rapport aux dates internationales. Il aurait peut-être valu mieux faire les choses beaucoup plus tôt. C’est vrai que c’est un entraîneur novice chez les Lions. Mais c’est quelqu’un qui est connu et reconnu dans le handball féminin.

Naturellement les réalités chez les Filles ce ne sont pas les mêmes chez les Garçons. Est-ce qu’il faut avoir des craintes à ce niveau ?
Effectivement, au niveau africain, le handball féminin n’a rien à voir avec le handball masculin. Ce sont deux choses complètement différentes. Ce qui me pose surtout problème, c’est que, concernant le handball masculin, en Afrique il y a une domination des équipes maghrébines qui ont pris de l’avance. Ces pays-là ne sont pas allés chercher des joueurs expatriés pour monter leurs équipes. Ils ont travaillé à la base, ils ont monté des sélections cadettes, juniors, espoirs, pour aller faire les championnats d’Afrique et du monde chez les jeunes. L’Egypte est championne du monde chez les jeunes. Ce qui veut dire qu’on ne va pas mettre en place tout de suite une sélection pour aller rivaliser avec ces gens-là. Ce n’est pas possible. Au niveau des Filles, c’est possible parce que c’était le désert derrière l’Angola et le Sénégal est arrivé. Mais chez les Garçons c’est différent.

Qu’est-ce qui explique qu’on en arrive à prendre celui qui était chez les Filles pour l’amener chez les Garçons ? Où sont les techniciens sénégalais ?
Justement c’est le vrai débat. J’étais dans les sélections nationales avant l’arrivée du président Seydou Diouf. Cela a commencé avec l’ancien président Charles Diaw qui nous avait mandatés, Feue Safiétou Diatta et moi, pour mettre en place les sélections en faisant venir des expatriés. L’objectif était autre. Ce qu’on voulait faire, c’était de mettre en place une vitrine. Une fois que la vitrine est connue et devient belle, on s’attaque maintenant au développement du handball sénégalais. Le problème aujourd’hui, c’est qu’on se limite à ne faire que la vitrine. C’est cela qui me dérange.

Est-ce la faute aux an­ciens internationaux ou à l’équipe fédérale en place ?
Ça incombe un peu à tout le monde. Le problème du handball sénégalais est que c’est une des rares disciplines désertées par les anciens internationaux ou qu’on a fait déserter. Au niveau du Comité directeur de la Fédération ou dans les autres instances, on ne voit aucun ancien international. Je peux citer les Bamba Diallo, Djibril Diop, Feu Fallou Ndongo, etc. La dernière personne qui était là-dedans, c’est Tiguida Cama­ra. Et aujourd’hui elle n’y est plus (elle a été débarquée de la présidence de la Ligue de Thiès).

A l’image des techniciens sénégalais, les joueurs locaux aussi ne sont pas bien représentés au sein des sélections. Est-ce un problème de niveau ou de choix du sélectionneur ?
On a quand même des techniciens sénégalais de haut niveau qui sont en France. Il y a l’ancien sélectionneur, Cheikh Seck. Son frère Douta Seck aussi entraîne comme Djiby Diagne qu’on vient de remplacer chez les Garçons par Bougeant. Ils sont nombreux. Ce que je ressens au niveau de la Fédération c’est une certaine peur de travailler avec les Sénégalais. Ils préfèrent travailler avec des personnes qui ne connaissent pas les réalités locales. Le technicien sénégalais va quand même regarder ce qui se passe au Sénégal. Alors que le technicien étranger, cela ne le dérange nullement. Il est donc temps qu’on donne leur chance à certains techniciens sénégalais, en mettant en place des processus de formation pour qu’ils aillent voir ce qui se passe dans le très haut niveau, pour apprendre et pouvoir s’occuper des sélections. Ce n’est pas pour rien qu’on a un entraîneur local au niveau du foot, et que le Sénégal soit classé premier en Afrique. Il suffit de donner leur chance à nos nationaux et de les mettre dans les conditions de performance. Si tu donnes tout l’argent à un entraîneur étranger pour qu’il soit dans de bonnes conditions de travail, tu dois faire la même chose pour un entraîneur sénégalais pour qu’il y arrive. La preuve est là avec Aliou Cissé. Il est temps qu’on respecte les entraîneurs sénégalais et qu’on les aide à se former comme le font tous les pays qui se respectent.

Comment voyez-vous les chances des Lions à la prochaine Can, au Maroc en janvier prochain ?
Au-delà de l’objectif de remporter la Can, l’enjeu de se qualifier au Mondial est très possible. Parce que les six ou cinq premières équipes se qualifient pour les championnats du monde. Ce qui veut dire que le Sénégal peut y aller. Et si les Lions se qualifient, Fred Bougeant va bomber le torse en se glorifiant d’avoir été le premier à qualifier et les Filles et les Garçons à une Coupe du monde. Et c’est dommage que ces honneurs ne soient pas accordés à des Sénégalais qui ont les mêmes compétences.

Avec autant d’idées, êtes-vous écouté par l’équipe fédérale en place ?
Du tout. Au contraire, on fait tout pour écarter les anciens internationaux. Je suis entre la France et le Sénégal. Mais quand je regarde ce qui se passe autour du handball sénégalais, je suis très déçu. Si je prends l’exemple des sélections nationales, celle masculine est dirigée par Fred Bougeant, son adjoint c’est Ibrahima Diallo qui est entraîneur en France, le kiné est un préparateur qui vient de France. Quand on prend la sélection féminine, le sélectionneur est un Franco-Algérien qui entraîne en France. Son adjoint sera certainement quelqu’un qui vient de France. Du coup, il n’y a aucune chance pour les entraîneurs sénégalais d’intégrer ces staffs techniques. C’est un manque de respect vis-à-vis des techniciens sénégalais. Pourquoi prendre un entraîneur étranger et lui coller un adjoint étranger ? Là est toute la question.

Comme les entraîneurs sénégalais, les joueurs lo­caux sont aussi snobés par la Fédération. D’ailleurs dans la liste de Bougeant, il y a un seul local…
Pour ce qui est des joueurs locaux, si on va prendre des joueurs qui évoluent en Na­tional 3 en France, mieux vaut prendre des joueurs de Divi­sion 1 au Sénégal. C’est peut-être pour des problèmes économiques avec un stage pas cher à partir de la France. Des considérations qui ne tiennent pas la route. Il est temps que les joueurs locaux soient respectés parce qu’il ne faut pas oublier que ce sont ces joueurs-là qui toute l’année se battent sous un soleil à 45 degrés à Iba Mar Diop ou à Gaston Berger pour espérer une sélection. Main­tenant s’ils savent qu’on prendra toujours ceux qui jouent en France, ça peut les décourager et cela peut avoir une répercussion sur le niveau du handball local.

Dans l’ensemble, comment voyez-vous l’avenir du handball sénégalais ?
Je crois qu’il y a un gros chantier au niveau de la formation de cadres. Je connais les entraîneurs sénégalais et il n’y a pas plus motivés qu’eux. Ces gens-là ne demandent qu’à être aidés. Il faut que la Direction technique nationale mette des projets de formation pour ces jeunes et qu’on leur confie la petite catégorie. Aujourd’hui, avec tout ce qui se dit sur le handball sénégalais, il n’y a aucune sélection de jeunes qui va à la Can. Ce n’est pas normal !

Que devient Jules Dia ?
J’ai créé mon entreprise depuis deux ans. Je suis quasiment tous les 15 jours à Dakar. J’ai une licence d’agent de joueurs de handball depuis 2017. Ce qui me permet de rester en contact avec le milieu du handball. Je travaille plus avec le Brésil et aussi la Turquie. De même qu’avec certains pays de l’Europe de l’Est.
wdiallo@lequotidien.sn