Entre deux avions, l’ancien diplomate reconverti dans l’agro-industrie a bien voulu échanger avec Le Quotidien. Au moment où sa société est sous les feux des projecteurs, avec le rapport de l’Igf qui l’accable, Daniel Pinhasi a débarqué à Dakar, le temps de rencontrer quelques autorités politiques et se fixer sur la poursuite de l’aventure avec la construction des Domaines agricoles communautaires dont son entreprise a la charge. Les accusations contre sa société, il y répond posément, mais sans concession, ni langue de bois. Même si le souci de ne pas impliquer nommément ses partenaires transparaît fortement.

De quand date le contrat de Green 2000 pour la réalisation des Dac ?
Nous avons signé le contrat en septembre 2015, et après plusieurs mois de négociation avec le Prodac, l’ordre de service a été déposé en mars 2016, et le premier virement, partiel, est intervenu 3 mois plus tard.
Qui a signé le contrat, du côté sénégalais ?
Le ministre de la Jeunesse, Mame Mbaye Niang, ainsi que nous-mêmes, avec l’autorisation de la Dcmp.
Pourquoi dit-on que le contrat a été passé de gré à gré ?
Le contrat a été passé sans appel d’offres, mais cela pour deux raisons. D’un, Green a présenté un modèle unique de Cœur de Dac, ou de Centre de formation et des services agricoles, qui était justement le genre de chose que le Prodac voulait développer avec le Dac, pour gérer l’activité des petits producteurs. Il faut comprendre que les petits producteurs qui se lancent dans l’activité agricole sans l’appui d’une structure quelconque qui les assiste, ont des chances de réussite très marginales. Cela se vérifie dans plusieurs pays d’Afri­que, dont le Sénégal d’ailleurs. C’est pour cela que le Prodac a cherché le modèle que nous offrons.
L’autre raison était l’expérience que Green a présentée, que nul autre ne pouvait offrir.
Un modèle unique alors…,
Un modèle unique, ainsi que l’expérience d’avoir géré par ailleurs, des projets similaires ailleurs, au Nigeria, en Angola, en Israël,… L’autre motif était la limite de temps. A cette période, on pensait que la Présidentielle allait se tenir en 2017, et l’idée était d’installer et de faire fonctionner les 4 Dac dans les huit mois. Il fallait donc des capacités techniques, professionnelles et financières du côté de l’entreprise, en même temps que de l’autre côté, il fallait pouvoir mobiliser l’argent nécessaire dans les 8 mois.
Le projet était de 25 milliards pour les quatre Dac. Il fallait donc mobiliser toute cette somme dans les 8 mois. Et du point de vue du Prodac et du ministère de la Jeunesse, cela n’est pas un petit projet.
A ce jour, combien d’argent Green a reçu, aussi bien en avance de démarrage que pour les travaux ?
L’avance de démarrage était de 20% de la totalité des quatre projets. En juin 2016, nous avons reçu 5%. Le paiement de l’avance de démarrage a été retardé pendant quatre mois. En réalité, nous n’avons jamais reçu un paiement pour le montant en bloc. Le bailleur le cassait pour les différents projets, et cela a sans doute été une erreur de notre part d’avoir accepté ce mode de paiement, parce qu’à l’origine, le financement comprenait l’ensemble des 4 projets. Mais, comme je l’ai dit avant, on voulait tous que le projet aille vite. Alors, par bonne volonté, nous avons accepté le morcellement du financement, et entamé le projet avec le virement qui venait d’être fait. Nous avons reparti le projet sur les 4 sites, de Sefa, Keur Momar Sarr, Keur Samba Kane et Itato. Plus tard, environ un an plus tard, pour faciliter les choses, nous avons signé un avenant au projet qui formalisait ce morcellement.
Est-ce le besoin d’aller vite qui a justifié que vous ayez entamé les travaux avant que le contrat soit enregistré ?
Non ; l’enregistrement du contrat, est une histoire à part. Il était clair, dans notre accord avec le gouvernement, qu’il fallait enregistrer le contrat. On nous a promis que cela allait être fait par la société qui finance le projet (Ndlr. Locafrique). Quand nous nous sommes rendu compte qu’elle ne l’avait pas fait, c’est nous-mêmes qui avons opéré à cet enregistrement, sans retard. Et si vous vérifiez la date d’enregistrement du contrat, vous vous rendrez compte que c’est au plus, une erreur technique de notre part, et non une intention malhonnête.
Au vu des décaissements que vous avez reçus, le niveau de travail que vous avez réalisé correspond-il au montant que vous avez reçu jusqu’à présent ?
Non, malheureusement. En octobre 2017, nous en sommes arrivés à un point tel que notre rythme de travail et d’achat était beaucoup plus important que le paiement que nous avions reçu. Il faut comprendre que dans le contrat que nous avons signé, les échéances de paiement sont très clairement spécifiées. Et nous avions précisé au Prodac que nous ne sommes pas en position de financer l’installation. C’est-à-dire que le paiement devrait être fait au fur et à mesure que l’on fait le travail. Il faut comprendre que pour ce type de projet, on pourrait avoir environ une quarantaine de containers pour chaque site. Le premier niveau, d’étudier, planifier et vérifier que le modèle économique est correct, ensuite, acheter l’équipement et l’envoyer, exige une logistique très importante. Alors, les 3 premiers mois, on ne voit quasiment rien sur le terrain, parce que l’équipement n’est pas encore là. Mais, nous, de notre côté, nous avons déjà dépensé pour acquérir ledit équipement et embauché le personnel.
C’est pour cela qu’à cette période, nous avions diminué l’activité dans 3 sites, pour nous concentrer sur Sefa. Et ce n’est que la semaine dernière que le dernier virement est arrivé. Pendant 10 mois nous n’avons rien reçu comme financement, jusqu’à la semaine dernière, où nous avons reçu un paiement pour redémarrer l’activité.
Combien d’argent avez-vous reçu ?
Nous avons eu 1,5 milliard de Cfa. Je sais que le gouvernement a approuvé 4 milliards, mais nous n’avons reçu que 1,5 milliard. Il y a encore environ 3,6 milliards de factures impayées, que nous avons déposées depuis huit mois. J’espère que cela va être payé dans les prochaines semaines, ou après.
Est-ce que ce défaut de paiement ne serait pas dû à l’enquête de l’Inspection générale des finances qui était en cours ?
J’espère que ce n’est pas le cas. Et d’ailleurs, ce serait contradictoire, parce que c’est après, la semaine dernière, que nous avons reçu confirmation du gouvernement de nous payer 4 milliards, même si nous n’avons reçu que 1,5 milliard. Moi, je n’ai jamais reçu copie du rapport du ministère des Finances. J’ai lu quelques articles dans la presse sénégalaise, mais c’est tout. Personne ne nous a envoyé formellement le rapport, et donc, je ne peux pas réagir sur cela.
En ce moment-ci, après le dernier paiement, combien d’argent l’Etat vous doit-il encore ?
Après le virement de la semaine dernière, nous avons reçu environ 57% du montant total. Il reste à nous payer encore, avec factures ouvertes, c’est-à-dire, avec des justificatifs, environ 5,5 millions d’euros, soit 3,5 milliards de francs. Mais au fur et à mesure que le travail se fera, il y aura d’autres factures qui vont s’accumuler encore. Mais s’il y a la volonté de terminer les 4 projets de Dac, et l’accompagnement politique nécessaire, l’Etat devrait alors mobiliser 10 milliards de Cfa en plus.
On a parlé de surfacturation sur ce projet. Avez-vous une explication sur cela ?
Le projet a été analysé et confirmé aussi bien pour le Prodac que pour le ministère des Finances. Je pense que ce qui pousse à dire cela, c’est que les gens ne comprennent pas que l’on fait un projet clé en mains, on ne fait pas un projet de vente d’équipements. Et dans notre facture, il n’y a pas de coût pour chaque élément, c’est un coût total. C’est peut-être à ce niveau que se situe l’erreur, parce que certains pensent qu’ils peuvent acheter des équipements moins chers, ou des services moins onéreux. Mais ce projet, vendu dans un autre pays, coûterait plus cher. Et même au Sénégal, quand la Banque islamique du développement (Bid) a financé la phase suivante des Dac, les coûts prévus sont plus chers que les nôtres. Donc, cet argument de surfacturation, soit il n’est pas sérieux, soit il découle d’une mauvaise compréhension de la part de professionnels qui essaieraient d’analyser le projet. Ceux qui vont sur le terrain voir le projet, pourraient se rendre compte qu’il y a beaucoup de choses dedans, sauf de la surfacturation. Au contraire, pour un projet qui devait faire 8 mois, et qui en est déjà à sa troisième année, cela signifie que tout le coût opérationnel doit être financé à partir d’un montant qui était calculé en septembre 2015. Dans ces conditions, il ne reste pas beaucoup d’argent à gagner, et ceux qui pensent le contraire, devraient venir voir la réalité sur le terrain. L’Etat a payé pour une qualité de services qui n’existe quasiment nulle part en Afrique.
On a dit que Green 2000 a eu des ennuis pour un projet similaire au Tchad…
Je suis en charge du développement de la société partout en Afrique. Je peux vous dire que nous n’avons jamais signé un accord au Tchad, jamais fait un projet au Tchad…
Et vous n’avez pas été chassés du Tchad ?
Non.
Qu’est-ce que pourraient apporter les Dac dans l’économie des régions et même du pays ?
La grande difficulté avec les petits producteurs, c’est l’adaptation à de nouvelles méthodes de production. Il n’y a pas plus facile que d’arriver avec des équipements d’irrigation et de mécanisation. Mais la réalité en Afrique est que tous ces projets-là ne réussissent pas beaucoup. Il doit y avoir un contact durable pour une période assez longue, pour permettre ce changement. C’est le grand avantage des Dac. Les cœurs des Dac donnent une possibilité de donner ce type de service ou de formation aux paysans. Le producteur qui commence une activité aujourd’hui, il sait que le projet l’encadre pour toujours. En première saison, quand les choses sont assez faciles, à la deuxième saison quand c’est plus difficile, à la troisième saison, quand les nématodes menacent son champ… on fait ça parce que dans le projet-même il y a une unité commerciale qui finance toute cette activité. C’est-à-dire que si le projet fonctionne bien, l’Etat n’a pas besoin d’injecter de l’argent dans la maintenance de l’activité.
Il vous a été reproché le fait que vous ayez décidé de loger l’argent, les paiements des Dac en Israël. Certains ont vu ça comme un détournement de capitaux….
C’est vraiment un argument que je trouve bizarre. Nous sommes une société israélienne et la majorité d’achats qu’on effectue se font en Israël. Il n’y a pas d’achats qu’on fait en Europe ou en Afrique du Sud. Alors c’est naturel que l’argent que le gouvernement nous paye arrive en Israël. Je ne comprends vraiment pas l’argument. Si l’argument est que nous avons caché l’argent en Israël, c’est peut-être la dernière place où une société israélienne doit cacher l’argent. Parce que chaque dollar ou chaque Cfa qu’on fait entrer en Israël, nous, on paye l’impôt dessus. Je ne trouve pas sérieux cette critique.
Ils disent que c’est pour éviter les moyens de pression de la part de l’Etat….
Il n’est pas question de pression. On fait un contrat. On démarre le contrat. C’est nous qui achetions l’équipement et faisions l’installation. La grande pression aujourd’hui, ce qu’il n’y a pas d’argent. L’activité a été payée par nous. La grande pression est qu’il n’y a pas de paiement pour financer l’activité. Ils nous ont bloqués ici.
Justement aujourd’hui si l’activité des Dac est ralentie ou arrêtée, quelles seraient les conséquences ?
Premièrement on n’aime pas ne pas terminer une mission. Notre société a pour philosophie que même si on gagne moins, ou même si on perd de l’argent, on aime finir notre projet. Ça ce n’est pas bon pour la société. Parce qu’on aime faire du bon travail. Je pense que celui qui va visiter le site de Sefa, qui est le seul site déjà opérationnel, va comprendre très bien que nous ne sommes pas une société qui est venue pour gagner de l’argent seulement. Et de l’autre côté, c’est justement le problème que nous avons depuis octobre 2017. Si on voudrait offrir aux clients un bon service, on ne peut pas continuer dans cette situation où le paiement est bloqué. Depuis octobre 2017 jusqu’à la semaine dernière, le paiement était complétement bloqué. Les coûts de gestion sont très lourds chaque mois. Il n’y a pas de paiement, et c’est nous-mêmes qui finançons cette activité. Le montant des factures justifiées, à payer sur la base du contrat, que nous avons déposé, est vérifié. Dans le contrat, il y a les conditions de présentation de la facture, nous avons des factures impayées même depuis 12 mois. Avec ça on ne peut pas gérer un projet.
Quels sont les coûts opérationnels de ce projet ?
Ça dépend de quelle étape, mais le minimum c’est 70 mille euros par mois. Quand le projet est complétement opérationnel et productif, ça peut être beaucoup plus cher, mais de l’autre côté vous avez une activité rentable. Et quand la formation pour le producteur ou la communauté commence, le coût est encore plus cher. C’est pour ça que la mobilisation de l’argent dès le début, est très importante. Il est important de terminer le projet le plus vite possible, démarrer l’activité pour être rentable. Cette semaine nous avons jeté près d’une tonne de produits frais de très haute qualité. Parce que personne n’était pas là pour vendre ça. Parce que les gens qui doivent être formés pour promouvoir ces activités ne le sont pas encore. C’est un prix direct qu’on paye.
Qui perd dans ces conditions, Green, le gouvernement ou le paysan ?
Le paysan n’a pas encore perdu. Pour le moment, c’est nous qui perdons. C’est pourquoi nous sommes arrivés à un point que l’on ne peut continuer. La réaction à nos demandes, a été une attaque contre Green. Je ne peux pas l’accepter. Dans ce contrat qui nous lie au gouvernement, on a la conscience tranquille. Nous avons donné beaucoup plus que ce qui était prévu dans le contrat. Chaque fois que nous avions fait des changements qui peuvent être justifiés au niveau technique, on l’a expliqué. Un contrat qui devait terminer en un an, si on doit le faire en 4 ans, cela veut dire que nous allons perdre beaucoup d’argent. Mais nous sommes toujours loyaux vis-à-vis de notre client.
Est-ce que le fait que le projet ait pu prendre plus de temps que prévu, a imposé Green de modifier la partie financière du contrat ?
Cela ne peut pas modifier le contrat. Mais cela cause des pertes pour la société. La prochaine fois qu’on va négocier un contrat au Sénégal, on va prendre cela en compte. Je ne peux pas changer l’image que nous colle cette opinion qui ne sait pas ce qu’on fait. Durant ces semaines que nous sommes critiqués, le gouvernement, qui connait bien le projet, a approuvé un paiement de 4 milliards.
Mais vous n’avez reçu qu’un 1,5 milliard francs Cfa…
Ça, c’est autre chose. Mais le gouvernement qui connait bien ce projet, a autorisé ce paiement. Il connait bien la réalité.
Le fait que vous soyez restés 7 mois sans financement, n’a-t-il pas posé suscité des questions à votre niveau ?
La société qui a paraphé le contrat de financement avec le gouvernement du Sénégal a des difficultés. Quel type de difficultés, on ne le sait pas. C’est la réalité. Tout le reste relève de justifications a posteriori. Notre contrat est très simple et très clair. Dès que je dépose une facture, elle doit être justifiée techniquement et cela est facile à vérifier. A ce jour, aucune facture que j’ai déposée, n’a été rejetée. Mais elles peuvent rester là-bas, 10 ou 12 mois avant d’être payées.
Des voix s’élèvent aujourd’hui dans l’opinion, pour demander l’arrêt du projet de Green. Si cela devait arriver, quelle serait la réaction de Green 2000 ?
Economiquement, je ne pense pas que c’est une mauvaise chose pour Green d’arrêter. Si les choses devaient continuer à ce rythme, on perdrait plus d’argent qu’on en gagnerait. Sur le plan de la réputation, nous n’aimons pas quitter un projet qui n’est pas fini.
C’est déjà arrivé quelque part ?
Non, jamais.
Vous avez déjà connu des difficultés de ce type ailleurs ?
Oui, ce n’est pas un problème. C’est pour cela que nous faisons preuve de patience avec nos partenaires. Mais ici, ce n’est pas une question de difficultés financières. C’est presque de la méchanceté. Pas contre Green, mais contre le projet. Il y a des gens au Sénégal, qui ne voudraient pas que le Prodac réussisse. Parce que ce n’est pas eux qui l’ont fait, mais d’autres. Et le groupe qui a dirigé ce projet depuis le début, au Prodac et au ministère de la Jeunesse, ce sont des gens très professionnels, très engagés. Ils ont peut-être fait des erreurs, mais tout le monde en fait. Mais aujourd’hui, on se rend compte que le projet de Sefa est le meilleur de tous les projets de lutte contre la pauvreté, lancés par l’Etat. La question n’est pas les conséquences pour Green, car ce n’est pas cela l’important. Notre ambition est que dans quelques années, le Sénégal soit en mesure de faire et dupliquer des projets de ce type. La question doit être que si les gens qui travaillent pour le gouvernement ne comprennent pas l’importance de ce projet pour les petits producteurs, le secteur rural du Sénégal aura du mal à se développer. Si on vient dans ce projet, on doit avoir pour ambition d’améliorer les conditions du monde rural et pas autre chose.
Avec les conditions de travail et des difficultés de ressources, avez-vous encore la motivation pour terminer le projet ?
Si le paiement est disponible, dans huit mois, on aura les 4 Dac achevés.