Diplômé en chargé d’accompagnement social et professionnel, Mady Gassama est le président de l’association Alternative Ile de France pour la solidarité et l’intégration (Alifsi) qui accompagne les étrangers (sénégalais) en situation irrégulière en France. Assis sur deux piliers que sont l’accompagnement et l’encadrement pour l’obtention du titre de séjour d’une part et d’autre part, l’accompagnement pour l’intégration en terre française, le président d’Alifsi n’est pas tendre avec le gouvernement du Sénégal, estimant qu’il n’accorde pas trop d’importance à sa diaspora. Il est revenu sur la situation des Sénégalais en France, les relations entre la France et le Sénégal en matière d’émigration et d’immigration, avant de plaider en faveur de l’instauration d’une carte verte pour faciliter le flux migratoire.Propos recueillis par Pape Moussa Diallo – Quelle est la situation des compatriotes sénégalais établis en France ?

Il faut le dire pour s’en offusquer. Aujourd’hui, les immigrés souffrent énormément en France dans leur majorité. L’Europe n’est plus l’eldorado comme beaucoup d’entre nous le pensaient. Je suis bien placé pour en parler. Aujourd’hui, la France est dans une dynamique de durcissement des conditions, un fait qui se matérialise à plusieurs niveaux. En effet, cette politique se manifeste par les contraintes pour entrer dans son territoire, mais aussi par la délivrance des titres de séjour qui permettent à toute personne étrangère de s’établir durablement en France et d’y vivre dignement. Sur le territoire français, on peut rencontrer des immigrés qui ont à leurs actifs 10 à 20 ans d’existence sans détenir ce sésame (le titre de séjour). En fait, on parle du titre de séjour puisque c’est lui qui ouvre le droit, l’accès au travail, au logement social, à la formation professionnelle, entre autres. Le titre de séjour est la clef de tout en France. Après l’obtention du titre de séjour, le calvaire n’est toujours pas terminé parce qu’on va devoir faire face à d’autres situations difficiles. Il s’agit par exemple du logement décent. Le logement social en France est très problématique. Les Français de souche en souffrent. Pour dire qu’on n’est pas les bienvenus en Europe, précisément en France. Comme vous pouvez le constater, la question migratoire est devenue un fonds de commerce pour les politiques français. A l’approche de chaque élection ou enjeu électoral, notamment présidentiel comme ce fut le cas dans les dernières élections, c’est une thématique qui a occupé la préoccupation des différents candidats en lice.

La théorie de grand remplacement est théorisée par certaines personnes en Europe, particulièrement en France. Est-ce que les Africains envahissent l’Europe ?
Non ! Pas du tout et il ne faut même pas gober de pareilles inepties. Nous sommes largement minoritaires et cela est constatable dans certaines régions où on voit que peu d’Africains. D’ailleurs Jean-Luc Mélenchon, candidat malheureux de la Présidentielle, le rappelle toujours. Quelles que soient les venues massives, on ne peut jamais remplacer les blancs en France. Ce n’est ni possible, ni imaginable, encore moins envisageable. On voit très bien que si ce n’est pas la main d’œuvre étrangère en France, l’économie allait s’effondrer. Beaucoup de travaux pénibles sont faits par les africains. L’accompagnement des personnes âgées en est une illustration parfaite. Ce n’est pas facile d’accompagner une personne âgée. Accompagner une personne âgée chez elle ou dans une maison de retraite n’est pas du tout chose aisée. S’y ajoute qu’il y a des personnes qui ne sont pas faciles à gérer. Beaucoup de Français et Françaises ne font pas ou ne veulent pas faire ce travail. Seuls les étrangers acceptent de faire ce métier. C’est-à-dire le métier d’auxiliaire de vie. S’il n’y avait pas tous ces Africains immigrés pour accepter de faire ce travail, en même temps s’occuper de la crèche, comment les français allaient s’en sortir ? Surtout qu’il n’y a pas beaucoup de crèches en France. Je crois que des gens comme Zemmour n’ont pas compris comment est-ce que la France fonctionne. Il doit avoir l’humilité d’aller se renseigner auprès des chefs d’entreprises qui détiennent le moteur de l’économie française et qui emploient ces personnes. Si l’économie tourne, c’est grâce à la main d’œuvre que constituent les immigrés. Malgré le fait que les immigrés soit nombreux en terre française, qu’ils soient africains, asiatiques ou que sais-je encore, ils ne sont pas visibles. On ne représente qu’une infime partie de la population française. Même à Paris, il faut se rendre dans certaines agglomérations pour croiser des immigrés. On est en France pour occuper des postes que les Français eux-mêmes n’acceptent pas de faire. Donc, on n’est pas en France pour prendre la place de quelqu’un, fut-il français.

Sur quel levier agir par les deux pays pour arriver à une migration sûre, ordonnée et régulière ?
Il y a déjà plusieurs accords de coopération en matière de migration entre la France et le Sénégal. On se souvient de l’immigration choisie, proposée à l’époque par Nicolas Sarkozy, alors que le Sénégal avait choisi de parler d’immigration concertée. Cet accord a beaucoup aidé dans le cadre surtout de la migration de travail entre le Sénégal et la France. Cependant, un ami du nom de Malick Bouti, ancien président de Sos racisme, avait proposé que la France instaure la carte verte. Cette dernière devrait être délivrée pour permettre à toute personne étrangère de faire des va-et-vient sans qu’elle ne puisse s’établir en France. La mise en œuvre d’une telle idée pourrait aider à réguler un peu le flux et à diminuer l’émigration irrégulière. Il y aurait non seulement moins de problèmes pour les pays d’origine, mais les pays d’accueil pourraient mieux gérer les immigrés chez eux. L’instauration d’une carte verte permettrait aussi à l’immigré de rentrer chez lui en toute tranquillité lorsqu’il se rend compte qu’il ne peut pas rester en terre étrangère. Tout le monde y gagne (l’Etat d’origine, d’accueil et le migrant). La France doit changer sa politique d’immigration. Ensuite, il faut le dire, non seulement le visa est cher, mais on le donne au compte-goutte. Cela n’aide pas à encourager l’émigration légale d’une part et d’autre part participe à encourager l’émigration irrégulière.

Après toutes ces difficultés décriées, sentez-vous la présence du gouvernement à vos côtés ?
Ah ! Non pas du tout, et c’est ce qui est regrettable. Il n’y pas de politiques fortes dans nos pays africains, notamment le Sénégal envers sa diaspora. Nous sommes laissés pour compte. On se débrouille avec nos maigres moyens et faisons face à nos propres difficultés sans soutien de l’Etat. Pourtant, fréquemment on arrive à être confronté à de graves problèmes (maladie, décès). L’accompagnement de l’Etat est orienté pour la plupart du temps vers les proches du pouvoir et les familles, amis et proches du régime. L’aide ne se fait pas parce-que c’est un citoyen sénégalais comme les autres. C’est ce patriotisme qu’on ne retrouve pas dans l’actuel gouvernement et même le précédent. Je donne l’exemple de la pandémie lorsque qu’une forte somme d’argent a été dédiée à la diaspora sénégalaise en France. Plus d’un milliard d’euros, tout le partage s’est fait en copinage. Et ceux qui en ont bénéficié, ont perçu une somme dérisoire (300 euros). De l’argent a été distribué comme ça sans que les véritables ayants droit soient concernés. Beaucoup de Sénégalais avaient perdu leur travail lors de la pandémie et l’argent était destiné à accompagner ces derniers à faire face en cette douloureuse circonstance. Lorsqu’on m’a approché pour recueillir mon avis sur la distribution de cet argent, j’ai plaidé auprès du Consul général de Paris, M. Amadou Diallo, la prise en compte des sans-papiers. A ma grande surprise, ce dernier m’a fait savoir que l’Etat n’était pas là pour des gens en situation irrégulière et que l’argent avait été destiné aux personnes en situation régulière en France. J’ai fait savoir à ce dernier qu’il était en France pour s’occuper des Sénégalais en situation irrégulière plutôt que pour des personnes qui sont déjà en règle. Le devoir de l’Etat est de s’occuper de tous les Sénégalais sans exception. Ensuite, ces Sénégalais en situation irrégulière devraient être les premiers à bénéficier de cet appui. En cela, je vous rappelle que la France est un pays très bien organisé. L’Etat français avait pris la décision de payer tous les salariés qui avaient vu leurs entreprises être fermées. C’est ce qu’on appelle le chômage partiel. Tant qu’on n’est pas en situation régulière, on ne peut pas en bénéficier. C’est vrai qu’il y a beaucoup de sans-papiers qui travaillent, mais ils ne sont pas reconnus par la sécurité sociale. Il y en a aussi des sénégalais qui travaillent avec des papiers d’emprunt et ceux-là ne peuvent malheureusement pas en bénéficier aussi. Ce sont ces gens qui devraient être privilégiés. J’ai été choqué par le comportement de ce dernier. Cela montre parmi tant d’autres exemples qu’on pourrait donner, que le gouvernement ne fait pas d’une priorité les ressortissants sénégalais à l’étranger.

Qu’est-ce que vous attendez de l’Etat sénégalais ?
C’est déjà nous permettre d’investir chez nous. Les immigrés nourrissent tous ou l’écrasante majorité, l’ambition d’investir dans leur pays d’origine et cet investissement doit être accompagné, encouragé et garanti par l’Etat. Il y a une réticence parce-que les devanciers ont eu des déceptions, mésaventures qui n’encouragent pas les autres à revenir investir. Un gouvernement responsable se doit d’inciter, d’encourager ses compatriotes établis à l’étranger à revenir investir et veiller à ce que ces derniers ne soient par arnaqués. On en a besoin. Nous sommes laissés à nous-mêmes. Par exemple, un fonds de garanti aurait pu être créé pour encourager l’investissement des immigrés et mettre au point un bon mécanisme. On pourrait faire voter une loi pour sanctionner toute personne qui déposséderait les immigrés de leurs biens.

Est-ce que vous sentez l’existence de fonds comme le Fongip, le Fonds d’appui à l’investissement des sénégalais de l’extérieur (Faise) ?
J’ai eu écho de ce fonds qui est un fonds politique. Ils se partagent l’argent du contribuable entre eux. D’ailleurs, il est rare de voir un immigré qui a un bon projet sous la main en bénéficier. Encore que le fonds est fait pour ça. C’est-à-dire d’accompagner des immigrés qui ont des projets banquables et pouvant apporter un changement. Ce fonds ne bénéficie qu’aux militants et sympathisants de l’Apr et de la Coalition Benno bokk yaakaar. Le fonds est mal géré par une dame (Sokhna Nata Mbaye). Je crois qu’il faut changer l’administration et le mode de fonctionnement. Mais, le changement doit se faire à la tête, depuis le président de la République. Je prends l’exemple du Consul général de Paris, même si je dois rappeler que je n’ai rien contre lui. La durée dans un poste de nomination diplomatique c’est 5 ans normalement. Ce dernier, depuis que Macky Sall est élu, il n’a pas changé. Il est resté à la même place. Son frère est un proche collaborateur pour ne pas dire ami du Président Macky Sall, en l’occurrence Abdoulaye Daouda Diallo. Il a fait 10 ans ou plus, mais il n’est pas inquiété. Depuis que je suis en France, tout Consul général qui est arrivé a fait 5 ans sauf lui. Juste pour dire qu’on est en face d’un Etat qui a failli par rapport aux engagements qu’il avait pris envers la population sénégalaise.

La diaspora est passée 15e région quand même ?
Même avec Abdoulaye Wade c’était mieux qu’aujourd’hui. La diaspora comme 15e région n’a aucun sens. C’est de la poudre aux yeux. Il n y a aucun changement. A Paris, dans certains quartiers, tu vois des Sénégalais qui dorment au dehors. D’autres tombent dans l’addiction parce qu’ils n’ont plus aucun espoir et qu’ils galèrent. Pendant ce temps, l’Etat est là à se tourner les pouces. Sinon, ils ont les moyens de convoquer les associations sénégalaises d’abord pour discuter du cas de nos compatriotes. Ils ne peuvent pas dire qu’ils ne sont pas au courant de la souffrance de nos compatriotes en France. Mais, ce n’est pas leur affaire. La vérité est que beaucoup de Sénégalais sont en train de perdre la tête en France. Souvent les accords de coopération entre le Sénégal et la France sont critiqués, idem pour les conditions d’obtention de visa, entre autres.