La 18e édition du festival Image et vie s’est achevée mercredi dernier après avoir consacré le long métrage documentaire de la réalisatrice Mame Woury Thioubou «Fifiré en pays cuballo». Ce film a décroché le Prix spécial du jury tandis que la Burundaise Mireille Niyonsaba a obtenu le Prix du meilleur documentaire pour son film «Trésor tissé», Zandro de la France, celui de la meilleure fiction pour «Ramdam». Ibrahima Mbaye Sorano a pour sa part récolté le Prix de la meilleure interprétation pour le rôle de Kader dans «Ordur» (un film de Momar Talla Kandji). La réalisatrice Mame Woury Thioubou a exprimé toute sa satisfaction au lendemain de sa consécration et réaffirmé son engagement pour la culture de son terroir.

Fifiré en pays cuballo a obtenu la mention spéciale du jury au festival Image et vie. Quel est votre sentiment, étant donné que c’est votre premier long métrage documentaire ?
C’est très encourageant de recevoir ce prix. C’est un projet que je porte depuis 2009. De 2009 à 2014, j’ai frappé à toutes les portes pour avoir un financement, je ne l’ai pas eu. Je n’avais qu’une aide d’un fonds canadien. C’est avec le Fopica qu’on a eu les moyens de le faire. J’ai pendant tout ce temps porté ce projet. C’était important pour moi de le faire parce que c’était ma communauté, ma famille et je tenais à en parler. Ce film est une des raisons pour lesquelles je me suis lancée dans le cinéma, parce que je voulais exprimer une frustration. Je voulais parler des conditions de vie de mes parents à Matam. Nous vivons dans un quartier assez déshérité, un quartier pauvre où les maisons sont encore en banco. Quand, après avoir entendu toutes les histoires que mon père écoutait et où on parlait de héros, j’arrive dans ce quartier et que je vois que les gens peinent à vivre au jour le jour. Quand ils mangent le matin, ce n’est pas sûr qu’ils aient de quoi manger à midi. Cela m’a frustrée, a créé une colère en moi. Je voulais partager cette histoire avec les autres. Ce film m’a permis de le faire.

Etait-ce facile de filmer le pays cuballo, de plonger dans l’eau ?
Evidemment, il y a toujours des soucis quand on tourne. Mais la chance que j’ai eue avec Fifiré c’est de filmer mes amis, ma famille. Tenez par exemple le personnage principal, Aboubacry Diao, je le connais ! Ceci dit, je reconnais qu’il y a parfois des réticences parce que les gens ont peur d’être filmés, mais c’est au réalisateur de déjouer ces obstacles. Et je précise que nous ne sommes pas seulement restés dans la ville de Matam. Nous sommes allés à Djella, un village où la tradition cuballo est très respectée. Les gens y vivent encore comme vivaient leurs grands-parents. Ils vivent de la pêche et habitent le long du fleuve, sur les berges. C’était assez illustratif de cette culture que je voulais montrer. Et quand je suis allée là-bas, les gens étaient désireux de partager cette vie.

On voit que dans beaucoup de films sénégalais, la voix off se fait généralement en français. Vous, vous avez opté pour le puular. C’est fait exprès ?
Généralement quand les gens font un film dans une langue locale, la voix off est en français. Mais ce film s’adresse d’abord à la communauté. Nous ne faisons pas nos films pour les gens d’ailleurs. Nous les faisons pour ceux et celles qui sont ici. Et ce sont ces personnes à qui on adresse des films qu’il faut d’abord essayer de les faire comprendre. Il n’est pas normal qu’un film soit en puular et que la voix off soit en français. C’est comme arracher une partie du film à ce public qui ne parle pas français. Cela m’a semblé tout naturel de faire ce film en puular. Même si c’est ce puular très académique (rire).

Aujourd’hui que Fifiré a remporté cette distinction d’un jury au Sénégal, avez-vous en tête de le faire voir ailleurs ? Dans la sous-région par exemple, dans d’autres festivals ?
On a déjà commencé à le déposer dans d’autres festivals. En décembre, il y a le festival Nature et environnement (Masuku) du Gabon qui va le projeter. Et le film est déjà passé à un festival au Cameroun. On va continuer de déposer, mais pour le moment ce qui est plus important, c’est de le montrer dans la vallée du fleuve Sénégal. Je veux que ce film soit vu dans la vallée du fleuve. Nous sommes en train de réfléchir sur les moyens d’organiser une caravane dans la vallée du fleuve, de le montrer aux Cuballo, pour justement leur faire prendre conscience de l’intérêt qu’il y a à préserver les ressources du fleuve. Et surtout de mettre en place les moyens de survivre. Cette survie passe par l’aquaculture. On en a fait un secteur prioritaire, mais on n’a pas mis en place les financements qu’il fallait. A Matam, l’Agence nationale de l’aquaculture n’a pas les moyens de sa politique. Ils ont mis un agent, chef de centre… Dans ces conditions, les populations ne sont pas en mesure de s’en sortir. Il faut que l’Etat aide. Il faut que l’Etat prenne des mesures rendant plus accessibles les conditions de développement.
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