Papa Ibrahima Senghor, membre du Mocap (Mouvement des cadres du parti Pastef), revient, dans cet entretien, sur les 100 premiers jours du Président Bassirou Diomaye Faye à la tête du pays. Pour M. Senghor, le bilan ne saurait être fait, car les tenants du pouvoir ont été élus pour 5 ans. Pour autant, il a rappelé volontiers les premières mesures du duo Diomaye-Sonko. Au moment où il a été noté plus de 80 nominations, ce jeudi en Conseil des ministres, pour Senghor, l’appel à candidatures pour les postes à pourvoir doit être revu, car il estime qu’il faut nommer «des gens politiquement engagés et techniquement compétents». Il est pour des poursuites judiciaires contre les personnes qui sont soupçonnées de mauvaise gestion et de détournement de deniers publics. Dans cette logique, il estime que la promesse de campagne de «l’appel à candidatures» ne «peut pas être tenue».100 jours passés au pouvoir, que faut-il retenir du tandem Diomaye-Sonko ?

L’heure n’est pas au bilan, car nous avons été élus pour 5 ans, pas pour 100 jours. Les 100 jours sont une règle non écrite héritée d’une tradition française médiatico-politique. Ça n’a pas de sens de faire un bilan. Toutefois, ces 100 jours nous ont permis de comprendre que le régime du Président est basé sur la transparence et sur la rupture avec les anciennes pratiques. Je retiens que nous amorçons une gouvernance basée sur la rationalisation des deniers publics.
Nous avons procédé à la baisse de certaines denrées de première nécessité.
Nous entendons mettre fin à la spoliation foncière. Vous avez vu les premières mesures dans ce sens, notamment sur le littoral et à Thies. Dans la même logique, nous luttons contre la surenchère des prix sur les semences agricoles, la subvention octroyée aux producteurs agricoles est passée de 100 à 120 milliards Cfa…
Par ailleurs, nous avons lancé les Assises de la Justice afin de revoir notre modèle pour assurer une indépendance totale de la Justice. Le Président a assuré que les mesures consensuelles sans incidence budgétaire seront d’application immédiate.

Vous avez parlé de rationalisation des finances publiques. Et l’argentier du pays parle de «finances stressées». Comprenez-vous ceux qui demandent à Sonko et Diomaye de matérialiser leur promesse de supprimer les fonds politiques ?
Nous comprenons parfaitement cette demande, d’autant plus que c’était une promesse de campagne. En plus, nous avons aussi promis de supprimer les institutions budgétivores. Nous sommes dans une République avec des règles. Le moment venu, nous allons matérialiser nos promesses.

Vous n’êtes pas sans savoir que nous ne sommes pas majoritaires à l’Assemblée nationale. Avec la rationalisation des finances publiques, il nous faut revoir certaines choses. Il n’y a pas de problème à ce niveau. Ce sont des promesses de campagne, je crois que le Président respectera sa parole. Ce sont des outils qui sont dans la Constitution, si on doit les réviser, on doit passer par un référendum à l’Assemblée nationale. Nous allons nous y atteler.

Et concernant les postes pour lesquels vous aviez parlé d’un appel à candidatures, comment expliquez-vous ce revirement, qui est tout sauf une rupture ?
C’est vrai que ce n’est pas une promesse. Mais je dois vous dire que personnellement, je ne suis pas d’accord. On ne peut gouverner ou gérer qu’avec des gens en qui on a confiance et surtout avec des personnes qui croient au Projet. Je suis d’avis qu’on gagne ensemble et on gouverne ensemble. Cette promesse, j’estime qu’elle ne m’engage pas.

Je pense qu’on doit nommer des gens qui sont politiquement engagés et techniquement compétents. Et dans la Coalition «Diomaye Président», nous avons des gens politiquement engagés et techniquement compétents. Je ne suis pas d’accord qu’on nomme des gens qui ne croient pas à notre «Projet» et notre volonté de rupture systémique. Je suis parfaitement d’accord avec ce que disait Aminata Touré sur ce sujet. Mais la priorité est de mettre le cadre juridique qui va encadrer ces directions et agences pour avoir des résultats efficients.
Mais si après 3 mois, vous les partisans du «Projet» commencez à vous désengager sur certaines promesses, que doit-on retenir ? Si cette promesse ne vous engage pas, alors qu’est-ce qui vous engage ? En plus, des Sénégalais ont voté, espérant la matérialisation de cette promesse. Qu’est-ce que vous leur dites ?

On ne met pas en veilleuse certaines promesses. Ce n’est pas le cas. Pour matérialiser certaines promesses, il nous faut un cadre législatif et juridique.  Ce qui n’est pas encore le cas. L’urgence n’est pas là. On nous avait parlé du balai du président de la République, mais je parle plutôt d’un cacheter pour dégager tous ceux qui étaient là et qui ont participé à la mauvaise gestion des deniers publics. C’est cela l’urgence. Une fois cela accompli, il faut faire l’état des lieux pour savoir ce qui a été fait. En se basant sur les rapports des corps de contrôle déjà publiés, nous savons que les gens de l’ancien régime ont rivalisé d’ardeur sur la mauvaise gestion. Et on espère que la Justice fera son travail, même si on a toujours dit qu’il n’y aura pas de chasse aux sorcières.

Je dois aussi rappeler qu’avec la réalité de l’Etat, cette promesse ne peut être tenue pour le moment, il faut un cadre législatif et réglementaire avant de la matérialiser.

Est-ce que l’urgence suffit à justifier la non-tenue de cette promesse ?
Nous n’avons jamais dit que nous n’allons pas tenir cette promesse. C’est juste que ce n’est pas le plus urgent. Le plus urgent, c’est l’état des lieux. Ensuite, les décisions que nous sommes appelés à prendre devront être en parfaite harmonie avec les principes du Jub, Jubaal et Jubanti. L’urgence est de mettre des gens techniquement compétents et politiquement engagés dans ces directions. Une fois les conditions nécessaires à l’appel à candidatures réunies, nous allons l’appliquer. On s’est rendu compte qu’avec le régime de Macky Sall, c’était plutôt le clientélisme politique la règle. A titre d’exemple, Aliou Sall, le frère du Président Macky Sall, a affirmé que Mansour Faye est nommé ministre pendant 12 ans par le simple fait qu’il soit le gendre du Président. C’est pourquoi nous prenons le temps nécessaire pour mettre en place le cadre juridique et réglementaire nécessaire pour éviter ce genre de situation.

Dois-je vous rappeler que vous avez battu campagne sur la rupture. C’est-à-dire rompre avec les anciennes pratiques. Donner l’exemple de Alioune Sall ne semble-t-il pas contradictoire ? 
Je confirme que nous avons battu campagne sur la rupture. Et c’est cela que nous sommes en train de mettre en place. Par rapport à l’exemple de Alioune Sall, on refuse de faire ce que le Président Macky Sall faisait. Qui consiste à mettre des personnes sans compétence, selon Alioune Sall, à des postes stratégiques. Nous voulons une rupture systémique, par conséquent on ne peut pas se permettre de faire ce que l’ancien régime faisait.

Parlons de compétence. Dame Mbodj, syndicaliste dans l’enseignement et professeur d’anglais, gère un patrimoine. Est-ce que votre réflexion entre dans ce sillage ?
C’est le président de la République qui nomme aux postes civils et militaires comme le lui permet la Constitution. C’est lui qui a la prérogative de savoir qui est compétent ou non. Si le président de la République juge que M. Dame Mbodj est compétent pour ça, moi je n’ai pas de problème avec ça. Je ne suis pas en train de faire le corollaire avec la nomination de Mansour Faye. Je dis juste que c’est le frère du Président qui dit que Mansour Faye a été nommé juste parce qu’il est le frère de la Première dame. Et je sais que Monsieur Bassirou Diomaye Faye ne va pas nommer des gens à des postes parce qu’ils sont gendre ou ami de tel ou tel. S’il nomme M. Dame Mbodj, il sait qu’il est compétent. Ce n’est pas parce qu’on est professeur d’anglais qu’on n’est pas compétent pour gérer un patrimoine. Il ne faut pas oublier qu’il a eu à gérer un syndicat d’enseignants. J’estime que gérer un syndicat d’enseignants est tout aussi difficile que gérer un patrimoine.

Comprenez-vous l’attitude de votre leader, qui refuse d’appliquer une disposition constitutionnelle alors qu’il s’est lui-même battu jusqu’à la perte de vies humaines pour exiger de Macky qu’il respecte cette Constitution ?
Je ne crois pas que le Premier ministre ait refusé de faire sa Déclaration de politique générale (Dpg). Il a demandé à ce que le Règlement intérieur de l’Assem-blée nationale respecte les dispositions de la Constitution. Tout le monde sait qu’il n’y a pas de disposition concernant le Premier ministre dans le Règlement intérieur de l’Assem-blée nationale.

Après la réintroduction du poste de Premier ministre, le Règlement n’a pas été mis à jour.
Monsieur Ousmane Sonko demande à ce que les dispositions soient mises dans le Règlement intérieur. Cette demande ne date pas d’aujourd’hui.

Le député Mamadou Lamine Diallo avait fait la demande au mois de novembre 2022. Guy Marius Sagna avait même demandé à l’ancien Premier ministre de ne pas faire sa Dpg, parce que le Règlement intérieur était faux. Doudou Wade, Souaré et d’autres ont demandé à ce que le Règlement soit mis à jour. Une fois le Règlement intérieur mis à jour, il n’hésitera pas à faire sa Dpg, car il est déjà prêt.

Dois-je vous rappeler qu’une loi organique est censée organiser le fonctionnement d’une structure et que la hiérarchie des normes place la Constitution au-dessus de tout ?
Je veux juste qu’on me dise où est-ce que le Premier ministre a dit qu’il ne viendra pas faire sa Dpg. Il ne l’a pas dit. En plus, il n’est pas tenu par un délai. Il peut attendre 6 mois comme un an pour faire sa Dpg. Abdoul Mbaye a attendu 6 mois pour faire sa Dpg. Nous attendons que les députés fassent le nécessaire pour que le Premier ministre fasse sa Dpg.

C’est ce même Règlement intérieur que vos députés ont utilisé pour proposer une motion de censure contre le gouvernement de Amadou Ba. En faisant cela, est-ce qu’ils ignoraient que celui-ci ne prenait pas en compte le Pm ?
C’est Amadou Ba qui avait décidé de venir à l’Assemblée nationale et nos députés ont essayé de l’en dissuader. Guy Marius Sagna lui a demandé par correspondance de ne pas venir, car le Règlement intérieur ne respectait pas la Constitution. Malgré cela, il a décidé de venir.

Le Pm avait-il vraiment besoin de menacer la presse ?
Vous aimez parler de menaces. Le Pm n’a jamais menacé personne. Il a demandé aux organes de presse de payer les impôts. Et cela est valable pour toutes les entreprises qui sont au Sénégal. Le problème devrait se poser autrement, c’est-à-dire chercher les voies et moyens pour permettre à la presse de se développer. C’est ça le vrai débat.

Je dois rappeler que la presse a participé à l’alternance au Sénégal. On ne peut pas l’oublier. On veut une presse responsable, équidistante et viable.
Le Pm a dit exactement ceci : «Que les journalistes se le tiennent pour dit : il n’y a pas une loi pour les journalistes et une autre loi pour les autres. Nous sommes tous égaux devant la loi.»

Je ne parle pas des impôts, mais plutôt de sa sortie au Grand Théâtre où le Pm a demandé aux journalistes de revenir sur leurs écrits…
Le rôle d’un journaliste est d’informer juste et vrai. On ne peut pas tolérer que des journalistes se permettent de donner de «fausses informations» et qui peuvent embraser le pays. On se rappelle ce qui s’est passé au Rwanda avec la «Radio 1000 collines».