Richard Nsanzabaganwa est l’un des nombreux conseillers en coopération internationale qui travaillent au Bureau du procureur de la Cpi. Dans cette interview, le conseiller en charge du dossier malien et de celui de Côte d’Ivoire 1 revient sur ces différentes affaires à la Cpi. En détail, il explique l’arrestation du présumé djihadiste malien poursuivi pour «crimes de guerre, crimes contre l’humanité» et fait une mise au point sur le procès Gbagbo ouvert il y a 2 ans.
Al Hassan a été récemment mis aux arrêts. Que peut-on dire de sa première audience ?
Al Hassan était en détention au Mali sans aucun lien avec les enquêtes du Bureau du procureur. Il était déjà détenu depuis un an. Nos enquêtes se déroulent depuis janvier 2013. Elles couvrent l’ensemble des crimes perpétrés au Mali depuis janvier 2012 et cela fait partie de ce que nous appelons le rapport 53 publié à l’issue d’un examen préliminaire par le Bureau du procureur qui indique plus ou moins des évènements importants qui ont été identifiés au cours de cette examen. Et qui, par la suite, la plupart du temps vont faire l’objet d’enquêtes.
Au Mali, notre rapport 53 de l’article 53 a identifié des évènements perpétrés dans le Nord du Mali, notamment à Aguelhok dans la région de Kidal, à Gao et à Tombouctou. Maintenant, les enquêtes qui sont faites à Tombouctou jusqu’ici nous ont permis de procéder à l’arrestation de Al Mahdi dont l’affaire a pris fin par un procès à réparation qui l’a condamné à payer 2,7 millions d’euros aux victimes. Les mêmes enquêtes qui se poursuivent nous ont permis de demander un mandat d’arrêt auprès des juges et de l’obtenir le 27 mars sous scellés. La Cour l’a communiqué aux autorités du Mali en leur demandant de procéder à son arrestation et à sa remise. Il a été remis à la Cour le 31 mars. Cette arrestation n’a rien à avoir avec les raisons pour lesquelles Al Hassan était en détention au Mali.
Quels sont les faits reprochés à Al Hassan ?
En tant que Bureau du procureur, nous avons recueilli beaucoup d’éléments de preuve qui nous ont permis de recueillir son mandat d’arrêt et son arrestation. Ils portent essentiellement sur des crimes de guerre, crimes contre l’humanité commis à Tombouctou pendant qu’il exerçait comme commissaire de police. Ce sont des crimes graves qui incluent des crimes de viol, d’esclavage sexuel, crimes de persécution sur la base de motifs religieux et de genre, crimes de torture, crimes dégradants inhumains. Et ce sont donc ces crimes-là qui lui sont reprochés et auxquels il devra répondre. Il est en détention ici à La Haye. Il a effectué sa première comparution le 4 avril 2018 et vous comprenez qu’à cette étape, il ne s’agit pas de rentrer dans le fond du dossier. Il s’agit de vérification de forme, s’assurer que la personne a été bien informée de ses droits pour, éventuellement, déterminer la date de la confirmation des charges. Et à l’occasion de cette audience, le juge unique de la Chambre criminelle a déterminé que le 24 septembre prochain sera la date de confirmation des charges.
Pourquoi le Mali a jugé Aliou Mhama Touré, un djihadiste malien, durant les Assises de Bamako et non Al Hassan ?
Ça c’est une question qu’il faut poser au gouvernement malien. Et nous croyons que la Cour qui est fondée sur le principe de la complémentarité, lorsqu’au niveau national, la juridiction prend ses responsabilités pour juger convenablement, la même affaire ne devrait pas être admissible à la Cour. Par contre au niveau du procureur, nous menons nos enquêtes de façon indépendante, objective et c’est seulement sur la base de preuves collectées que nous pouvons demander un mandat d’arrêt en faisant la démonstration de tous les aspects qui sont requis et de quelle façon nous rencontrons le standard de la preuve nécessaire. Le mandat d’arrêt émis à l’encontre de Al Hassan avait tenu compte de tous ces éléments, incluant les aspects d’admissibilité, notamment à savoir est-ce qu’au niveau national, il y a des enquêtes ou des poursuites contre lui. Maintenant, Al Hassan est à La Haye et il devra répondre de ses actes.
Al Hassan est-il suffisamment important pour justifier l’intervention de la Cpi ?
Effectivement, ça fait partie de notre exercice d’évaluer si par rapport à une affaire, un incident, les moyens de la Cour devraient être employés pour enquêter et poursuivre. Cela concerne la gravité de l’affaire et des responsabilités de la personne qui émerge par la preuve comme étant responsable. En lisant la version publique du mandat émis contre Al Hassan, vous vous ferez une idée de l’étendue de ces moyens, de son rang, de sa fonction et de sa structure.
Je ne peux pas entrer dans les détails parce que c’est une affaire devant le juge, mais dans tous les cas notre politique en matière de poursuite nous permet, sur la base de ces considérations, c’est-à-dire la gravité, la responsabilité et l’importance de la personne, d’engager les responsabilités et en assurant qu’on ne nous empêche pas de rendre justice aux victimes.
L’affaire Sanogo devant la justice malienne…
On ne s’immisce pas dans les procédures nationales. On encourage les autorités nationales à n’épargner aucun effort pour s’assurer que des crimes graves sont punis et que les victimes obtiennent justice. Nous poursuivons nos enquêtes dans le cadre du renvoi fait par le Mali en juillet 2012. Les incidents que nous avons ciblés et, selon notre propre évaluation, font toujours l’objet de nos enquêtes et dans tous les cas, nous rappelons que la Cour ne sera pas en mesure de poursuivre chaque incident, chaque suspect et être systématique en faisant ces enquêtes et ces poursuites. Nous comptons sur la justice nationale, car nous sommes une justice complémentaire.
Est-ce qu’il aura d’autres arrestations au Mali ?
Nous ne pouvons pas le savoir pour le moment. Nos enquêtes se poursuivent et nous espérons que celles-ci vont nous permettre d’aller plus concrètement comme dans le cas Al Hassan.
Une petite mise à jour de l’affaire Gbagbo et Charles Blé Goudé…
Cela fait deux ans que le procès de Laurent Gbagbo a commencé, le 28 janvier 2016. On est en avril 2018. Mais il a commencé et s’est déroulé de façon très paisible avec des évènements qui se sont succédé. Il y a eu beaucoup de huis clos, mais pour la grande majorité ça s’est déroulé en public. Maintenant, la présentation de la preuve du procureur a pris fin au début du mois de février de cette année. Cela veut dire que les documents, les moyens matériels ont été tous présentés.
Depuis quelque temps, il n’y a plus d’audience publique. L’affaire est-elle suspendue ?
Non. Le procès n’est pas suspendu. L’étape de la présentation de la preuve est terminée. Maintenant, les juges ont demandé à l’accusation de présenter son mémoire de mi-procès qui résume plus ou moins la preuve et sa lecture, et cela a été fait en mi-mars. Et en ce moment, c’est la défense qui est en train de travailler sur ses observations. Ils ont 30 jours pour le faire. Et cela nous ramène à mi-avril. Et à partir de là, la Chambre va nous indiquer le calendrier à suivre pour la suite.