Entretien Avec… – Samsidine Sonko, deuxième adjoint au maire de Djinaky : «La paix se bâtit sur la base de la confiance»

Par Khady SONKO – Le deuxième adjoint au maire de la commune de Djinaky note et regrette une désharmonie entre les autorités territoriales dans la confection des pièces d’état civil aux populations nécessiteuses, dans le cadre des négociations pour la paix en Casamance. Dans cet entretien accordé au Quotidien en marge d’un forum tenu à l’occasion de la commémoration de l’an 1 du dépôt des armes par des combattants de la faction de Diakaye le 13 mai 2023, Samsidine Sonko est largement revenu sur les difficultés que les officiers de l’état civil et les populations rencontrent, les blocages et le risque qu’il y a de perdre la confiance des populations.Vous déplorez un manque d’harmonisation dans l’exécution de la mesure spéciale du chef de l’Etat ordonnant une dérogation pour confectionner des pièces d’état civil en Casamance dans le cadre du processus de paix ?
Dans le cadre du projet Aliwili 2, on a été amenés à informer les populations ne disposant pas d’extraits de naissance, de formuler la demande à la suite d’un accord conclu entre l’Etat du Sénégal et l’Irapa dans des négociations pour la paix en Casamance. Laquelle paix s’est matérialisée par le dépôt des armes le 13 mai 2023 à Mongone. Les populations ont magnifié cet acte qui les sauve parce que leur permettant de regagner leur citoyenneté. On a reçu plus de 3 mille demandes d’extrait de naissance au niveau de la commune de Djinaky qu’on avait traitées avec diligence et transmises au Crs, qui les a transmises à son tour au procureur de la République qui a vraiment fait un travail énorme. Il faut le signaler, pour traiter ces dossiers, il a fallu travailler 4 jours d’affilée, même jusqu’à la tombée de la nuit.
Et quand je vois le lot d’autorisations signées par le procureur près le Tribunal de grande instance de Ziguin-chor, je mesure vraiment le sacrifice qu’il a fait pour servir les citoyens sénégalais. Beaucoup de ces autorisations nous sont retournées pour les besoins de transcription. Là, on est confrontés à un problème. Ce sont beaucoup d’extraits qu’il va falloir parapher, plus de 60 registres juste dans le cadre du projet pour les plus de 3 mille extraits de naissance demandés. On a paraphé plus de 60 registres.
Malheureusement, sur ce lot de 60 registres qu’on a envoyé au niveau du Tribunal d’instance de Bignona, il y a à peine une dizaine de registres qui ont été paraphés par le président du Tribunal. On est repartis pour reprendre le reste et il nous a signifié son étonnement de voir une forte demande de registres, ce qui est inhabituel. Par la suite, on a reçu une correspondance qu’il a adressée au maire. Là, il fait constater qu’il a été surpris de ces demandes d’inscription de naissance auxquelles il n’a pas été informé, ni associé. Il a même pointé les articles 87 et 88 que, selon lui, le procureur ne semble pas respecter. Donc là, c’est un problème.
L’autre problème, on remet des extraits délivrés par le procureur de la République parce que dans la déclaration de naissance, il y a deux procédures : soit l’officier d’état civil reçoit directement les déclarations de naissance entre 0 et 1 an (au-delà d’un an, cela doit faire l’objet d’un jugement au Tribunal d’instance), soit le procureur peut nous ordonner de faire l’inscription directe sans jugement d’autorisation d’inscription. Et c’est de cette dernière procédure dont il est question dans ce cas précis.
Ces bénéficiaires à qui on a délivré des extraits sont allés chercher des copies latérales de résidence pour l’acquisition de la carte d’identité nationale, mais arrivés au niveau de la Préfecture de Bignona, on leur exige un dossier complémentaire.
Parce que généralement dans le cadre d’un jugement, on leur demande d’authentifier le jugement. Mais là, ce n’est pas un jugement, c’est une autorisation délivrée par le procureur. On leur demande en tout cas un papier complémentaire. J’ai même contacté un bénéficiaire qui est dans ce cas-là et qui, depuis presque un mois, court après ce papier au niveau du Tribunal de grande instance de Ziguinchor.
Où est-ce qu’ils doivent se procurer ce papier complémentaire ?
Le jeune homme s’est rendu au niveau du Tribunal de grande instance de Ziguinchor.
Il dit qu’il a déposé le document auprès du procureur qui lui demande d’attendre. Il ne se rappelle pas exactement la nature du papier qu’on lui demande de compléter. Ce qui fait que l’officier de l’état civil est bloqué. Parce que nous, les ordres qui nous viennent du procureur, on les exécute, les ordres qui nous viennent du Tribunal d’instance de Bignona, on les exécute. Maintenant, s’il n’y a pas d’harmonie entre le procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Ziguinchor, le président du Tribunal d’instance de Bignona et la Préfecture de Bignona, ces papiers seront vains. C’est-à-dire que les citoyens, après tant d’enthousiasme, tant de plaisir, tant de satisfactions notées parce qu’espérant pouvoir disposer désormais de pièces d’identité, également disposer d’un certificat de nationalité, voient leurs espoirs s’estomper. En tant qu’officier de l’état civil de la commune de Djinaky, j’ai reçu pas mal d’interpellations de ces bénéficiaires qui ont déjà retiré leurs extraits, car ils vont jusqu’à Bignona, mais on leur dit que non, il faut aller chercher ce papier-là. Donc ils commencent déjà à se décourager. Et cela déteint sur la confiance entre les autorités décentralisées et les populations. Et c’est cette confiance qui a amené les combattants de Diakaye à accepter de déposer les armes, parce que tout simplement les accords qu’ils ont signés avec l’Etat du Sénégal leur semblaient sincères. Moi-même, je crois que c’est sincère des deux côtés. Mais, si on note ces comportements au niveau de l’Administration intermédiaire, cela pose problème, et ils ne nous mettent pas à l’aise. Parce que la paix se bâtit sur la base de la confiance. Et cette confiance-là doit s’établir entre la population, l’officier de l’état civil et la mairie. Quand on a demandé aux populations de faire des demandes, elles étaient hésitantes car il y a deux ans, ils ont vécu une situation similaire : on confectionnait des dossiers pour des audiences foraines, mais c’est un faible quota qui est sorti. Le reste est classé sans suite. Il y a même des populations qui accusaient des directeurs d’école qui ont ramassé les extraits des élèves et candidats qui ne disposaient pas d’extrait pour les besoins des audiences foraines, pour avoir de l’argent. Ces directeurs-là n’ont pas reçu le reste de ces extraits de naissance, l’argent non plus. L’année dernière également, il y a eu beaucoup de Crd où on a fait le plaidoyer pour aboutir à des audiences foraines. Si on était arrivés à ce niveau, je crois que le quota serait moindre dans le cadre du projet Aliwili 2. Ce sont des problèmes que nous rencontrons. Maintenant, si tous ces efforts se voient annihilés, comment ces populations-là vont regarder ces combattants qui, bien qu’ayant fait du mal, ont su se racheter parce qu’ils ont permis de régler un des problèmes des populations dans le cadre de l’état civil, mais également ils ont accompagné les populations dans le cadre du projet Aliwili 2 avec les projets des blocs maraîchers, avec certaines écoles équipées en tables-bancs, en fournitures scolaires, en kits scolaires, pour l’alimentation en énergie solaire, pour la disponibilité de l’eau au niveau de certaines écoles ? C’est la grande question que je me pose, c’est la crainte que j’ai de voir ce projet ne pas aboutir.
En tant qu’officier de l’état civil, quel appel lancez-vous aux autorités territoriales ?
J’appelle à plus de communication. A notre niveau, si on a le document du procureur et qu’on n’a pas de registres suffisamment paraphés pour la transcription, cela pose problème. Si on délivre des extraits qui peinent à permettre aux bénéficiaires d’acquérir des pièces d’état civil, c’est un problème. Là, l’appel que nous lançons aux autorités, c’est une invitation, une supplication : qu’elles puissent travailler en harmonie et que la communication puisse passer. Que les autorités puissent partager des informations. Là aussi, le Gouverneur peut intervenir.
Si le président du Tribunal d’instance de Bignona semble ne pas être informé, je crois qu’il n’est pas tard pour se rattraper, lui expliquer comment cela s’est passé afin qu’il puisse accompagner les populations. Les seuls perdants dans ce processus, ce sont les citoyens lambda. Ce n’est ni le procureur de la République, ni le président du Tribunal d’instance de Bignona, ni le Préfet de Bignona. Les plus grands perdants, ce sont les citoyens. Mais si les citoyens perdent, c’est l’Etat qui perd également, parce que ce sont tous ses efforts qui seront vains.
ksonko@lequotidien.sn