Dans ce deuxième et dernier jet de notre entretien (voir notre édition d’hier), Souleymane Boun Daouda Diop, qui prend sa retraite ce 31 décembre, explique pourquoi le ministère des Sports «ne doit pas être confié à un allié». Au chapitre des perspectives, le Dhc sonne l’alerte par rapport à la participation sénégalaise à «Tokyo 2020» et «Dakar 2022».

Votre arrivée au ministère des Sports a coïncidé avec le départ de Malick Gakou, remplacé par Mbagnick Ndiaye. Quelle lecture faites-vous de ce changement ?
En 2012, dans le premier gouvernement de Macky Sall, c’est en effet Malick Gakou qui avait occupé le poste de ministre des Sports. A l’époque, nous avions effectivement attiré l’attention du président de la République sur le fait qu’il y a des ministères que les gens ne considèrent pas, mais qui sont très sensibles. Ce sont des ministères qu’on ne confie pas à un allié, mais à un partisan parce que les enjeux sont énormes.

C’est quoi la différence entre un allié et un partisan ?
Un allié, c’est quelqu’un dont son parti vous a soutenu durant les élections. Alors que le partisan appartient au parti au pouvoir, l’Apr. L’Afp (parti de Gakou à cette époque) est un allié. Quand il y a des problèmes, vous ne pouvez pas mesurer l’ampleur. C’est la culture, la jeunesse, le sport ce sont des départements importants. Les gens ont pourtant tendance à les négliger.

Est-ce cela qui explique le départ de Malick Gakou ?
Au-delà, je pense qu’il y a des soubassements politiques. Les gens ne s’en rappellent pas, mais nous qui suivons l’actualité, nous avions noté que Gakou, avant la déclaration de politique générale du Premier ministre Abdoul Mbaye, avait déjà sorti sa vision. Je crois qu’elle s’appelait «Horizon 2000». Quand un ministre sort une vision hors que celle qui appartient au chef de l’Etat, avant la déclaration de politique générale du Premier ministre, ça ne colle pas. Un ministre met en œuvre la vision du chef de l’Etat, les orientations du Premier ministre. Et Gakou avait fait cette sortie dans le journal gouvernemental, Le Soleil. Il y a quelque chose qui ne l’engageait pas. Ce sont des choses que les gens ne notent pas, mais qui sont très explicites. Après donc le départ de Gakou qui s’est vu confier le ministère du Commerce, le président de la République a eu l’idée de mettre un partisan en la personne de Mbagnick Ndiaye. Un bon choix, car je le répète on ne confie pas un ministère des Sports à un allié.

Parlons du sport individuel. Pourquoi nos athlètes ne gagnent plus ?
Alors là, je vais vous dire une chose et retenez-la. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas briller dans le domaine des sports individuels parce que cela demande énormément de moyens que nous n’avons pas. Maintenant une médaille mondiale, c’est un produit fini de qualité. Il y a d’abord la matière première, nous l’avons. Nous avons des jeunes qui ont le potentiel, mais il faut les amener à l’usine : ce sont les infrastructures. Et dans cette usine, il faut des ressources humaines, financières, matérielles. Et nous ne les avons plus dans le domaine des sportifs individuels. A part quelques rares entraîneurs d’arts martiaux, nous n’avons plus d’entraîneurs qualifiés de haut niveau. Beaucoup de nos entraîneurs n’ont pas renouvelé leur licence. C’est donc un sérieux problème. Pour que l’athlète soit de haut niveau avec des performances de haut niveau, il faut non seulement un suivi technique, diététique, médical et un projet de vie. Nous n’avons pas aussi une politique de réinsertion. Par contre pour ce qui est du collectif, nous n’avons pas de problème. Au niveau du basket féminin comme masculin, du football, handball Dames, volleyball Dames, nous faisons partie des meilleurs en Afrique. Le rugby est en train de faire de grands pas. Maintenant, la seule solution au niveau individuel, c’est de mettre en place une gestion élitiste, c’est-à-dire choisir quelques athlètes dans certaines disciplines qui ont un fort potentiel en Afrique, les amener dans les meilleurs pays et les suivre. Mais s’ils restent au Sénégal, ils vont régresser.

C’est inquiétant quand on sait que le Sénégal va abriter les Jeux olympiques de la jeunesse en 2022…
Effectivement. D’abord pour Tokyo 2020, c’est trop tard. Pour ces Jeux, on n’aura pas plus de 5 qualifiés. Nous avions mis en place une politique de gestion de l’élite qui n’a jamais été appliquée, faute de moyens. Si les arts martiaux ne nous donnent pas des qualifiés, nous n’en aurons pas. Maintenant concernant les Jeux olympiques de la jeunesse de 2022, il y a deux aspects qu’il faut différencier. Il y a l’aspect organisation qui ne relève pas de nous. Et là, il faut comprendre l’esprit olympique. Le Sénégal abrite les Jeux, mais l’organisation appartient au Cio qui se donnera les moyens de réussir. Aucun problème à ce niveau, car le Cio va réussir ses Jeux parce que c’est un organisme qui ne donne pas de place à l’échec. Mais la participation sénégalaise incombe à l’Etat du Sénégal et particulièrement au ministère des Sports et aux Fédérations et non au Cnoss. Le Cnoss est un allié du Cio. La mission du Cnoss est de réussir les Jeux. Et pour cette participation sénégalaise aux Joj 2022, jusqu’à aujourd’hui, rien de concerté, de planifié n’est fait. Chaque Fédération, de manière individuelle, parle des Joj, mais en réalité il n’y a rien. Nous avions demandé à ce que 2019 soit une année de détection au plan national. On n’a pas eu les moyens de le faire. Nous l’avons reporté dans le premier trimestre de 2020. Nous devons au niveau national répertorier tous les jeunes qui ont un potentiel pour défendre valablement les couleurs du Sénégal en 2022. Durant le deuxième semestre, nous devons avoir des équipes régionales et en fin 2020, nous devons avoir les équipes nationales qui, durant 2021 et 2022, ne feront que sillonner le monde pour défendre les couleurs du Sénégal. Le programme a été défini depuis l’année dernière.

A combien est estimé le budget de préparation de nos athlètes pour les Joj 2022 ?
Nous avions estimé la détection à 500 millions Cfa et chaque année, il fallait mettre un milliard Cfa. Les Jeux Olympi­ques, c’est 204 Nations, 4 000 athlètes qui sont les meilleurs athlètes du monde. Aujourd’hui, au Sénégal, à part le football, nous n’avons pas une catégorie jeune dans une autre discipline qui a un niveau mondial. Le potentiel est là, maintenant, il faut dégager les moyens. On ne peut accueillir le monde sportif sans en contrepartie gagner des médailles.

Est-ce qu’on n’est pas en train de faire fausse route quand on met plus l’accent sur l’organisation que sur la participation de nos athlètes ?
Bien évidemment qu’on fait fausse route. Les infrastructures ne constituent même pas une priorité au niveau du Cio. Leur philosophie est de s’adapter aux réalités du pays sur le plan des infrastructures et non le contraire. Jusqu’à présent, je n’ai pas assisté à une rencontre où l’on parle de participation sénégalaise. Nous avons des pas de géant à faire pour ne pas être ridicules en 2022.

Au moment de tourner la page d’une telle carrière, quel est le sentiment qui vous anime ?
Je me dis que j’ai remplacé des gens qui avaient fait leur mission. J’ai accompli la mienne à la lumière des directives que je recevais parce que je suis un fonctionnaire. Je pars en remerciant Dieu parce que travailler jusqu’à aller à la retraite, c’est un don de Dieu. Il y a des gens qui n’ont pas eu cette chance. Je remercie le ministre Matar Ba qui a été à mes côtés pendant les moments les plus difficiles. Il m’a toujours aidé à trouver les moyens de ma politique. Je pars en étant en bons termes avec mes collaborateurs et je pars en laissant une bonne image de ma personne. Je pars l’esprit léger. Je vais me consacrer à ma famille, me lever quand je veux, aller où je veux, de ne plus avoir ces contraintes de venir à 8 heures et descendre à 21 heures (rire).

Pour terminer, quel message adressez-vous aux jeunes qui occupent des postes de responsabilités ?
Rien n’est facile. Mais un fonctionnaire, s’il veut être autonome, doit chercher de la compétence. Beaucoup de fonctionnaires sont dans des compromissions parce qu’ils savent que le poste qu’ils ont, ils n’ont pas les compétences pour l’occuper. Ils l’ont eu par d’autres voies. Si on cesse d’apprendre, on doit cesser de servir. Qu’ils aillent toujours chercher de la compétence. Et je le dis d’abord aux jeunes du ministère des Sports. Si on est compétent, on n’a pas peur de perdre son poste.