Présidente nationale des Bajenu gox du Sénégal et membre du Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct), Ndèye Fatou Diallo incarne l’engagement et la détermination au service de sa communauté. Dans cet entretien accordé à Le Quotidien dans le cadre de la Journée internationale des femmes, elle souligne l’importance du projet, son rôle et ses attentes.Bajenu gox, une initiative sénégalaise lancée par le Président Abdoulaye Wade en 2010 dans les 14 régions du Sénégal et concrétisée par le Président Macky Sall. Quatorze ans après sa création, quels sont les résultats tangibles que vous avez obtenus ?

Nous rendons un hommage mérité au Président Abdoulaye Wade pour avoir eu l’idée de rassembler ces femmes courageuses, reconnues dans leur quartier pour servir leur communauté, mais aussi dynamiser et pérenniser l’initiative gouvernementale. Aujourd’hui, lorsque de nouveaux commissaires sont nommés au niveau des quartiers, ils sollicitent systématiquement les Bajenu gox, les imams et les chefs de quartier pour garantir la sécurité locale. Pour l’atteinte des objectifs de la planification familiale aussi, les Bajenu gox ont joué un rôle important dans l’approche communautaire. De nombreux enfants, femmes et jeunes filles sont maintenant référés aux structures appropriées pour les soins prénataux et postnataux, et la vaccination. Nous faisons des actions discrètes mais efficaces, notamment dans la lutte contre la drogue, parce que nous avons eu une formation pour recueillir nos fils qui sont impliqués dans la consommation de drogue et nous les orientons vers l’hôpital Fann. Nous faisons ça avec discrétion et on a des résultats. Dans le domaine de la santé, nous organisons également des causeries pour sensibiliser sur des sujets tels que le paludisme, en mettant l’accent sur l’importance de l’hygiène, parce que le programme de paludisme, on ne peut l’organiser sans lutter contre l’insalubrité. Mais ce qui est déplorable, il y a des directions qui ne connaissent pas la valeur des Bajenu gox. Nous devons être aidées par tous les ministères et directions. Mais, nous ne dépendons que du ministère de la Santé, des directeurs régionaux, des médecins chefs de district. Dans tout le pays, les Bajenu gox ont grandement contribué à la réduction de la mortalité maternelle, néonatale, infanto-juvénile et des adolescents. Nous avons également amélioré la fréquentation des structures de santé grâce à nos activités de sensibilisation. Pour tout cela, nous remercions tous les médecins-chefs des districts sanitaires des 14 régions du Sénégal. Et aujourd’hui, le Président Macky Sall nous a accordé une allocation mensuelle, mais qui reste insuffisante. Bien qu’il ait promis une somme de 50 000 F Cfa par mois, combinant sa contribution personnelle et celle du bailleur, nous ne recevons actuellement que les 25 000 F Cfa du bailleur.

Selon vous, quels sont le rôle et la place des Bajenu gox dans la société ?
Les Bajenu gox jouent un rôle crucial dans la santé des femmes et des enfants de moins de 5 ans. Maintenant, nous intervenons dans tous les ministères, mettant l’accent sur la famille, parce que sans famille, le mot «Bajene» n’existerait pas.

Nous intervenons également dans les ménages, en aidant les nouveaux couples à résoudre leurs problèmes avant qu’ils ne deviennent plus graves, parce que chez les nouveaux couples, il y a beaucoup de problèmes. Nous partageons notre expérience avec toutes les femmes, qu’elles soient adolescentes, jeunes mariées ou mères de famille. Donc, nous connaissons beaucoup de choses parce que nous sommes aussi des femmes mariées. Nous avons des enfants. C’est ça notre rôle. En ce mois de mars, les Bajenu gox luttent également contre les violences faites aux femmes et les viols commis sur les jeunes filles. Aujourd’hui, si vous allez au Camp pénal, ce ne sont que des filles de 18 à 25 ans, et ça nous fait vraiment mal en tant que Bajenu gox. L’infanticide est souvent dû à l’ignorance, c’est pourquoi nous avons créé, en 2009, la Direction de la santé de la mère et de l’enfant, chargée d’organiser et de coordonner les activités préventives et curatives concernant la santé et le bien-être des mères, des nouveau-nés, des enfants et des adolescents. Nous sensibilisons les adolescents et les jeunes filles sur l’importance de préserver leur santé reproductive et sur les dangers de l’avortement clandestin. Nous disons toujours aux femmes qui sont en âge de procréer, qui ont entre 15 et 49 ans, qu’il faut toujours garder vos enfants, ne pas tenter l’infanticide et l’avortement clandestin. Il y a beaucoup de filles qui meurent par l’avortement clandestin à cause de l’ignorance. Un enfant, c’est un bijou. Nous travaillons également sur la sensibilisation au Vih/Sida, en prônant la discrétion comme mot d’ordre, parce que notre devise, c’est avoir de grandes oreilles, mais une petite bouche. En formation, on nous a toujours dit qu’il faut être discret, disponible, accessible et être à l’écoute. On ne peut pas faire une bonne communication sans être à l’écoute.

Qui est Bajenu gox ? Comment se fait le mode de désignation ? C’est par choix ou nomination ?
Tout le monde ne peut pas être Bajenu gox. Maintenant, avec la politisation, de nombreuses femmes ont été recrutées comme Bajenu gox dans leur quartier. Mais pour être considérée comme Bajenu gox, il faut suivre une formation dispensée par le district en collaboration avec la Direction de la santé de la mère et de l’enfant (Dsme). Les Bajenu gox ne sont ni des infirmières ni des sages-femmes, mais nous sommes formées pour sensibiliser davantage sur la santé reproductive des mères et des enfants, l’importance du suivi de la grossesse, de l’accouchement en milieu médical, des visites postnatales, ainsi que du suivi vaccinal des enfants. Mais parmi les Bajenu gox, il y a aussi des infirmières comme moi. Je suis infirmière brevetée. J’ai travaillé plus de 30 ans à Gaspard Camara et j’étais responsable d’un service de vaccination. Donc, je m’y connais. Mais en matière de formation, il faut avoir le sens de l’écoute. Il faut aussi avoir de l’expérience et être reconnue dans son quartier. Toutes les Bajenu gox ont de l’expérience, celles qui ont fait bien sûr une formation en 2009, 2012 et 2013. Mais aujourd’hui, il y a beaucoup de Bajenu gox. Elles ont eu une représentation au niveau national. Elles sont bien structurées et organisées. Dans chaque région, département, commune, district et poste sanitaire, il y a une présidente des Bajenu gox.

Le projet Bajenu gox est cité en exemple dans d’autres pays et semble être une réussite au Sénégal. Comment expliquez-vous cela ?
Nous souhaitons que le projet Bajenu gox perdure. Pour assurer cette continuité, nous avons recruté des femmes âgées de 20 à 35 ans parmi celles qui ont été formées. C’est à nous maintenant de former les jeunes filles et les femmes âgées de 30 à 40 ans, plus aptes que nous, afin d’assurer la pérennité du projet. Nous voulons que le projet Bajenu gox soit une réussite durable car il contribue à l’éducation et à la sensibilisation. Nous aidons financièrement les familles dans le besoin et sensibilisons sur divers sujets, notamment le cancer du col de l’utérus. Nous remercions infiniment toutes les Bajenu gox pour leur engagement. Si nous voyons des enfants qui traînent, nous sommes obligées d’interpeller leurs parents en parlant avec eux et parfois même, ce sont leurs parents qui viennent vers nous pour nous dire qu’ils voudraient inscrire leur enfant à l’école. Les maîtres coraniques aussi, nous parlons avec eux. Les Bajenu gox sont laïques. On a des catholiques et des musulmanes parmi nous. Donc, nous sommes obligées de gérer tout le monde, de communiquer avec tout le monde. Nous faisons des formations. Nous interpellons l’Eglise. Les prêtres participent, les imams, les chefs de quartier…, tout le monde participe. Et l’Administration territoriale que nous félicitons, nous a impliquées dans toute l’étendue du territoire national. Nous sommes des ambassadrices de quartier. Toute information que l’Administration territoriale veut faire passer, elle va parler avec les Bajenu gox. Les sous-préfets et les gouverneurs connaissent notre valeur. Ils nous impliquent dans tous les programmes. Nous remercions également la ministre de la Santé, Dr Marie Khémesse Ngom Ndiaye. Nous remercions aussi l’ancienne ministre, Dr Eva Marie Coll Seck, parce que lorsque nous étions en léthargie en 2012, c’est elle qui est venue et nous a montré la voie et nous a ouvert les portes à l’international. L’Etat avait peur de nous parce que si vous voyez une entité de femmes, vous pouvez pensez que ce sont des opposantes, or, parmi nous, il y a des femmes qui sont apolitiques. Nous travaillons, nous sommes une association. Mais lorsque les Bajenu gox se retrouvent dans leur quartier pour une manifestation politique ou quelconque, ça ne me concerne pas, chacun fait son choix.

Y’a-t-il des risques à être Bajenu gox, surtout en étant mère de famille ?
Il existe de nombreux risques, car avec la pandémie du Covid-19, plusieurs Bajenu gox ont perdu la vie. Nous présentons nos condoléances aux familles endeuillées. Nous devions avoir quelque chose à donner à leurs familles parce que c’est nous qui faisons la sensibilisation. Et au début, nous n’avions ni masque ni gants, mais nous étions obligées d’orienter les malades, d’appeler les infirmiers pour qu’ils viennent les prendre. Il y a des risques graves. Parfois, il y a des familles qui se disputent, surtout les jeunes couples, vous allez là-bas et vous pouvez même recevoir des coups de poing ou faire l’objet d’agression morale. Malgré ces risques, nous continuons notre travail avec détermination, parce qu’on a choisi d’être des Bajenu gox. C’est un travail noble, mais un peu risqué. Parfois, nous devons intervenir lors d’accouchements nocturnes et assurer des causeries dans nos quartiers, même si cela comporte des risques. Nous sommes là pour soutenir et protéger notre communauté, peu importe les défis. Vous voyez là-bas à côté, il y a une chambre réservée uniquement pour les causeries. C’est là-bas que je reçois pour les causeries. Et parfois, si mon fils est là, il nous accompagne. Je suis toujours accompagnée, mais il y a des Bajenu gox qui sortent sans être accompagnées. Mais ce sont les risques du métier. Donc nous sommes obligées de faire avec.

Qu’attendez-vous du président de la République Macky Sall ?
Nous remercions d’abord le Président Macky Sall pour son soutien. Nous avons travaillé pendant 10 ans sans aucune rémunération, sans jamais rien demander. Maintenant, il a su que les Bajenu gox sont fatiguées, ce sont des femmes qui travaillent sans relâche matin, midi, soir, il a décidé de nous accorder  une allocation mensuelle de 25 000 F Cfa. Malheureusement, les 25 000 francs qu’il nous a accordés, j’ai signé le chèque, mais jusqu’à présent, nous n’avons rien reçu depuis juin 2023. Nous demandons que cette situation soit rectifiée et que les 50 000 F Cfa promis soient effectivement versés chaque mois, comme convenu. Depuis, on ne reçoit que les 25 000 francs Cfa que le bailleur nous a donnés. Je suis confrontée à de nombreuses interrogations de la part des autres Bajenu gox, mais je suis dans l’incapacité de leur fournir des réponses, n’étant pas informée de la situation. Je ne suis au courant de rien. Et je ne peux interpeller personne. Cette motivation, nous ne l’avons pas demandée, mais c’est le Président lui-même qui nous l’a promise. Nous avons des ministères et directions, c’est à eux de demander où est passé cet argent. En tout cas, je sais que pour les 25 000 francs Cfa, le directeur de la Santé de la mère et de l’enfant, Dr Amadou Doucouré, m’a interpellée pour que je puisse signer la somme, et je l’ai signée. Il y avait aussi une somme que l’on devait utiliser pour faire des activités au niveau des districts sanitaires, mais je n’ai rien vu. Aujourd’hui, je ne peux comprendre qu’il y ait des Bajene qui ont reçu leurs motivations alors qu’il y en a d’autres qui n’ont rien reçu, cela signifie que l’implication reste. On devait m’impliquer dans le recensement avant de dire qu’on est 9138 Bajenu gox. Nous dépassons aujourd’hui ce nombre, mais on n’y peut rien. La faute ne revient pas aux médecins, car ils ont donné la somme qu’on leur a remise. Maintenant, il faut impliquer la présidente nationale des Bajenu gox, qui a eu le courage de confectionner des badges au niveau national pour les Bajenu gox. Si j’étais impliquée, on allait faire le travail ensemble au niveau de la Direction de la santé de la mère et de l’enfant (Dsme). Mais ils ne l’ont pas fait. Ils ont donné leur nombre, et la ministre aussi s’est basée sur ce nombre pour distribuer les motivations. Mais ça reste. Maintenant, chaque jour, on m’interpelle sur les 50 mille francs Cfa. Moi je ne peux rien dire. Et le projet Bajenu gox, c’est l’intérêt de la population. Nous devons travailler ensemble pour garantir une meilleure communication et une distribution équitable des ressources. Je remercie les Bajenu gox infiniment. En cette Journée internationale des femmes, je les encourage à persévérer et à ne jamais baisser les bras, car le succès viendra. Je leur souhaite beaucoup de succès dans leurs actions. Nous sommes également reconnaissantes envers le président de la République Macky Sall, parce que dans la vie, il faut toujours être reconnaissant.