Lorsque le Pr Lamane Mbaye parle de Lat Dior, il faut y voir une double casquette. D’abord celle de l’historien et ensuite en tant que parent de l’ancien Damel du Cayor. Dans cet entretien, il appelle l’Etat à revaloriser le mausolée et liste les opportunités à saisir. L’universitaire se désole surtout du sort réservé par la République aux anciens résistants.
Qu’est-ce qui vous lie à Lat Dior ?
Nous avons des liens de parenté. J’appartiens à une famille très importante qui a joué un rôle primordial dans l’histoire du Cayor. Mon grand-père a accompagné Lat Dior sur le champ de bataille. Ma famille est très liée à celle de Lat Dior. J’ai des amis personnels chez les petits-fils de Lat Dior. C’est cela qui explique mon engagement pour le respect du patrimoine de Lat Dior. Il fait partie des meilleurs Sénégalais qui ont défendu la Nation.
131 ans après sa mort, quel est le sentiment qui vous anime ?
Lat Dior représente une dimension de haute envergure doublement. D’abord parce qu’il est le héros national, et ensuite il a versé son sang pour lutter farouchement et récuser l’homme blanc contre son implantation dans le Cayor et plus généralement dans le Sénégal.
«Lat Dior symbolise l’honneur, la patrie»
L’histoire de Lat Dior est aujourd’hui méconnue d’une grande partie de la jeune génération. Pouvez-vous y revenir brièvement ?
Ce qu’il faut retenir, c’est que Lat Dior incarne la bravoure. Lorsque le colon est arrivé, s’est installé et a voulu assimiler les populations pour imposer la langue française en les considérant comme des êtres déconnectés de leur culture et de leur civilisation, des gens à l’image de Lat Dior se sont levés pour dire non. C’est la raison pour laquelle il a livré beaucoup de combats contre le colon sur des champs de bataille. On peut citer Ngol-Ngol avec la première victoire de Lat Dior dans une bataille où plus de150 spahis ont été tués dans le camp des colons. Il y avait la mort du capitaine Laurent. C’était une bataille qui marquait l’emprise de Lat Dior sur la colonisation. Deux semaines après Ngol-Ngol, c’était la bataille de Loro en 1864 qu’il a perdue. Lat Dior a finalement quitté le Cayor pour se réfugier chez Maba Diakhou Ba. Je crois qu’il symbolise l’honneur, la patrie. C’est quelqu’un qui capitalise tout ce que le Sénégal aujourd’hui rêve de devenir, c’est-à-dire une terre émergente et un espace de justice sociale.
Il y a beaucoup de versions sur cette bataille de Dékheulé. Dites-nous comment cela s’est passé en tant qu’historien…
Les gens ont beaucoup épilogué sur cette bataille de Dékheulé. C’est l’honneur qui a conduit Lat Dior à Dékheulé. Au niveau de l’enjeu fondamental, les gens étaient fatigués de la guerre parce que les combats n’ont fait que des morts. Pour Lat Dior, Dékheulé était un point d’honneur. D’ailleurs, certains historiens parlent de baroud d’honneur. Thierno Ba qui était écrivain et dramaturge parle de Lat Dior sur le chemin de l’honneur. Dékheulé symbolise la fin d’une mission et le début d’une autre qui montre que Lat Dior est immortel. C’est pourquoi tous les 27 octobre, on célèbre la mort de ce grand homme, mais aussi son rayonnement à travers l’histoire de l’Afrique.
Pourtant, le mausolée de ce grand homme est aujourd’hui oublié par la République. Comment percevez-vous l’état de délabrement dans lequel se trouve la tombe de Lat Dior ?
L’état dans lequel se trouve le mausolée de Lat Dior n’est pas à l’aune de ce qu’il a fait pour ce pays. Cet homme ne mérite pas cela. C’est le héros national du Sénégal. Ensuite, il a versé son sang très loin de son terroir. Aujourd’hui, il y a une volonté étatique qui doit prendre les choses en main. L’Etat doit faire quelque chose parce que Lat Dior appartient à l’Etat du Sénégal. Lorsqu’on parle de cet homme, c’est l’Etat-Nation qui est interpellé. Il y va de l’intérêt du Sénégal de rendre reluisant le visage de ce mausolée à l’honneur de Lat Dior et de la résistance anti-coloniale.
Quel impact peut avoir le fait de rendre reluisant cet édifice ?
Cela renforce un symbole. Si au Sénégal on ne se rappelle pas les morts et les résistants, c’est piétiner une partie de notre histoire. En France, dans chaque village il y a des symboles qui marquent des hommes qui se sont investis et sont tombés les armes à la main. Au Sénégal, on ne rend pas souvent honneur à nos symboles. Ce n’est pas bien. Il faut aujourd’hui les protéger et penser à ces gens qui ont inspiré l’idéal de combat chevaleresque pour la Nation. Sur le plan touristique, cela peut aussi être un enjeu. Ce mausolée fait partie de ce qu’on appelle les points d’histoire. Il y a des opportunités économiques, politiques et culturelles à saisir.
En plus de tout cet apport que le site peut être, le village qui abrite le mausolée de Lat Dior fait face à beaucoup de défis comme l’absence d’électricité, de poste de santé, de route…
Je pense que reconstruire le mausolée de Lat Dior serait d’un grand apport pour les populations du nord du Sénégal. On doit construire à Dékheulé des postes de santé et y mettre de l’électricité. Dékheulé doit être une ville avec des moyens. L’Etat doit y mettre des infrastructures. Les habitants de Dékheulé doivent profiter de Lat Dior sur ces terres et ne pas laisser le village mourir de sa belle mort.