Pharmacien-inspecteur assermenté et officier de Police judiciaire, Dr Moussa Diallo occupe une position stratégique au cœur de la sécurité sanitaire nationale. Directeur de l’Inspection, de la surveillance du marché et des vigilances à l’Arp, il est également une figure de proue de la lutte contre les faux médicaments en tant que président de la Commission des opérations. Evaluateur principal pour l’Oms (normes Gbt), cet expert pluridisciplinaire a dirigé l’équipe des enquêteurs au niveau de l’usine de Softcare au cœur de la controverse à cause de ses produits hygiéniques. Dans cet entretien, Dr Diallo détaille les péripéties de cette enquête, les pressions «subies».

Dans le cadre de l’affaire Softcare, comment est-il possible qu’il y ait eu ces avis contradictoires au niveau de l’Arp par rapport à l’avis des inspecteurs ? Et comment a-t-il pu y avoir ce désaveu de la part de votre direction et de vos responsables ? 
Merci d’abord pour l’intérêt que vous portez à cette affaire. Je salue aussi cette démarche d’aller vers les bonnes personnes pour avoir la bonne information. Alors, d’abord il n’y a pas de communiqué contradictoire. Ça, il faut que je le dise d’emblée. Si les deux communiqués émanaient d’un seul service, on aurait pu dire que c’était contradictoire, mais ce n’est pas le cas.
Ce qui s’est passé, c’est que je suis allé faire une inspection avec mes collègues. Et après, nous sommes revenus pour faire un rapport. Après le rapport, nous avons communiqué sur les éléments que nous avons notés. A savoir qu’il y avait des manquements, notamment des manquements critiques. Et parmi ces manquements critiques, il y avait la présence de matières premières périmées dans le processus de fabrication.
A l’issue de ça, nous avons rédigé un communiqué qui a même été soumis au Dg de la Pna, qui est d’ailleurs signataire du communiqué. Après cela, on est restés même pas une semaine, et Softcare a dit qu’ils avaient corrigé. Moins d’une semaine après, ils nous ont dit : «Non, non, c’est fait.» Ensuite, ils sont venus pour discuter avec la hiérarchie pour que moi, je retourne faire une inspection en urgence. J’ai dit qu’il n’y avait pas de soucis. Vu l’ampleur de l’affaire, et connaissant à qui j’avais affaire, j’ai demandé à la gendarmerie de me devancer sur les lieux.

La gendarmerie ? Est-ce à dire que vous aviez des doutes par rapport à cela ?
C’est qu’ils étaient venus d’abord pour chercher à me corrompre, mais cela n’est pas passé. Ce n’est pas la première inspection. La première, c’était en janvier 2024. J’étais inspecteur-chef de service. Je n’étais pas encore directeur. La deuxième inspection s’est faite le 29 octobre 2025. Et là, j’étais déjà directeur. La dernière inspection s’est faite le 16 décembre 2025.

Donc, cette fois, à ma grande surprise, je vais pour faire la deuxième inspection, je retrouve exactement la même chose. Et comme j’avais pris la peine de me faire accompagner par la gendarmerie, nous avons tous constaté la présence de ces matières premières périmées sur le site. Ils les avaient sorties du magasin, les ont mises un peu à l’écart, pour me dire qu’ils allaient les détruire. Nous avons fait le tour de l’usine et constaté que rien n’a changé. Nous ne nous attendions d’ailleurs pas à un changement parce que ce n’est pas en moins d’une semaine qu’on peut changer les choses. Ce qu’ils avaient fait, c’était de retirer les 1300 kg du magasin de stockage pour les mettre à l’écart, juste à côté, même pas dans une zone d’isolation. Avec la gendarmerie, on leur a fait comprendre que ce n’est pas approprié, et on leur a demandé d’enlever et de détruire ces produits. Parce qu’une telle quantité de produits, 1300 kg, ne peut pas être consommée !

Après cela, je reviens, je me mets à rédiger mon rapport. Avant qu’il ne soit terminé, je lis un communiqué de la cellule disant que les produits sont propres à la consommation. Je suis stupéfait. Je demande ce qui se passe, on me dit : «Il y a un besoin de communication, il faut lever la mesure, parce qu’on a reçu des pressions.» Je dis : «Attendez ! De qui se moque-t-on ? C’est moi qui ai le lead sur cette affaire ! C’est moi l’inspecteur qui dois vous dire ce que vous devez communiquer !» Et comme vous l’aurez constaté également, contrairement au premier communiqué, le second a été signé par M. Lamine Bayo, un journaliste, ancien correspondant de Walf à Sédhiou. Je me suis alors demandé pourquoi un journaliste se mêle-t-il d’une affaire d’inspection pharmaceutique ? Pour une inspection pharmaceutique, il faut être assermenté.

Je lui ai adressé une correspondance pour lui demander des explications. Il m’a répondu de façon aérienne, disant que c’est la hiérarchie qui lui a demandé de rédiger ce communiqué, et qu’il allait me revenir dès qu’il aurait des réponses. Le même jour, sans attendre, avec mes deux collègues, nous avons décidé de sortir un second communiqué, pour rétablir les faits. Ils s’étaient servis de nos images, qu’ils ont collées à ce torchon de communiqué qui était destiné à nous contredire. Alors nous avons sorti ce communiqué, car c’est une question de santé publique.

Mais avant de sortir le deuxième communiqué, vous n’avez pas essayé de contacter le directeur de la cellule ou de l’Arp ?
Le directeur de la cellule ne m’en a même pas parlé. Il a reçu, lui, des instructions de la Direction générale. En fait, la cellule dépend de la Direction générale. Tout comme ma direction, ainsi que quatre autres. Maintenant, chaque fois qu’il y a un communiqué qui doit sortir de l’institution, c’est le Directeur général qui le signe, parce que c’est sa responsabilité qui est engagée. Donc, comme je le disais, quand il m’a répondu cela, j’ai convoqué une réunion d’urgence avec mon équipe pour informer les Sénégalais.
Et je dois préciser qu’avant cela, les Chinois de Softcare sont venus à quatre reprises à mon bureau. Il faut savoir que c’est une société affiliée à une autre société chinoise, et elle pèse 7 milliards de dollars. Elle s’apprête à rentrer en bourse en ce mois de décembre.

Ils m’ont apporté une mallette pour tenter de me corrompre. Je leur ai dit que ce qui m’intéressait, c’est qu’ils corrigent leurs produits afin de reprendre leurs activités. Ils m’ont proposé de modifier mon rapport, et qu’on se retrouve ailleurs, autour d’un déjeuner, pour «finaliser». Il a fallu que je les menace d’une plainte pour tentative de corruption d’un fonctionnaire, pour qu’ils arrêtent leurs manœuvres.

Et ce jour-là, j’avais demandé à ma secrétaire d’être présente dans mon bureau pendant que je les recevais, parce que je connais leurs pratiques. Ils sont capables de sortir et prétendre m’avoir donné de l’argent, et je tenterais en vain de démentir.
Donc, à la suite de notre second communiqué, le ministère a déclaré qu’il allait aussi mener une enquête, et nous en sommes là.

Après votre communiqué, qui est un cinglant démenti, le Dg a-t-il tenté de vous parler, ou même les gens du ministère ont-ils cherché à vous joindre avant de publier leur communiqué ?
Non, personne n’a cherché à me contacter. Ils savaient déjà ma position. Je vous ai dit que nous avions tenu une réunion d’urgence, au cours de laquelle nous avons discuté. A l’issue de ladite réunion, ils ont sorti leur communiqué et dit ce qu’ils voulaient. Et moi, je suis un pharmacien-inspecteur assermenté. J’ai prêté serment au Tribunal de grande instance de Dakar. Je ne prends pas ma mission à la légère. Je sais que c’est une grosse entreprise, cotée à plus de 7 milliards de dollars. Pour eux, sortir 1 milliard de francs Cfa pour corrompre un fonctionnaire, ce n’est absolument rien.

Pour le moment, Softcare est-elle fermée ?
Non, ils n’ont pas fermé. Ils sont légalement en droit de produire, parce qu’ils ne sont pas jugés non conformes. L’usine n’est pas fermée, sinon, il y aurait arrêt de l’activité. La gendarmerie leur a demandé de respecter ce que l’Arp leur a dit. Le Commandant de gendarmerie les a accompagnés avec ses éléments pour qu’ils aillent détruire ces produits.

Donc, au moment où ils détruisent les produits mis en cause, ils sont en train de produire ?
Si la production est arrêtée, c’est qu’il y a arrêt d’activité. Mais à ce stade, ce n’est pas nécessaire de fermer l’usine, parce que cela peut être corrigé. Cela ne prend pas plus d’une semaine pour trouver un pharmacien. De même, acheter des climatiseurs et des ventilateurs, cela ne prend pas de temps pour avoir de bonnes zones de stockage. Ensuite, les matières premières, on peut séparer les périmées et les non périmées. Détruire ces dernières, en collaboration avec les services de l’Environnement, cela n’est pas compliqué. On leur a fait comprendre que s’ils faisaient cela, on va les accompagner pour que les mesures soient levées et qu’ils reprennent leurs activités. Qu’ils obtiennent leur certificat de conformité. En fait, l’important pour nous, c’est d’accompagner tout le monde pour que les gens soient conformes. Mais comme ils étaient pressés, ils n’ont pas été d’accord.

A votre avis, qu’est-ce qui a pu changer en moins d’une semaine entre le premier rapport et le communiqué signé par la Direction générale ?
Qu’est-ce qui a changé en moins d’une semaine, pour qu’on prenne une autre décision, en contredisant à la première ? Posez-vous la question.

Non, c’est à moi de vous poser cette question.
C’est à vous de vous poser la question. Parce que je me pose la question de savoir ce qui pousse des inspecteurs à affronter leur direction hiérarchique. Pensez-vous que si je n’étais pas en règle, j’allais oser me confronter à ma Direction générale ? Pensez-vous que l’on peut défier sa Direction générale si l’on n’a pas la vérité de son côté ? C’est pour cela, qu’en ce moment, il n’y a pas d’alternative. C’est moi qui saute ou c’est lui qui part. Et moi, je suis compétent pour être inspecteur, ce qui n’est pas son cas.

Depuis combien de temps êtes-vous en service à l’Arp ?
Je suis à l’Arp depuis 2020. Cela fait dix ans que je suis dans la Fonction publique. Mon premier poste, c’était à l’hôpital de Sédhiou, comme chef de service. Je suis spécialisé dans les affaires réglementaires d’inspection. A l’époque, on avait une Direction de la pharmacie. Quand il y a eu l’agence, j’ai été nommé chef de service de l’inspection.

Après deux ans et quelques, j’ai  été nommé directeur de l’inspection. Ça fait maintenant bientôt un an. Mais au-delà de cela, je suis membre du Comité national de lutte contre les faux médicaments. Je suis également le président de la Commission des opérations de lutte contre les faux médicaments.
Propos recueillis par Mohamed GUEYE-mguye@lequotidien.sn