«J’ai du feu !» Qui, parmi ceux qui sont passés au Quotidien, n’ont pas vu Soro Diop, énigmatique, après avoir grillé une clope, débouler du couloir, annonçant ainsi un scoop en perspective ? Aussitôt, il se mettait immédiatement devant son Mac, pianotant sur le clavier comme un forcené. Un exercice entrecoupé très souvent de rires tonitruants. En 2005, je débarquais comme pigiste dans ce journal atypique, un concentré de têtes brûlées qui faisait trembler le régime du Président Wade. J’intégrais immédiatement le desk politique dont Soro Diop était le chef, aux côtés de Latir Mané. Et c’est ce rire caverneux et contagieux de Soro Diop qui me marqua d’emblée. Rapidement, je me découvrais beaucoup d’autres atomes crochus avec «Grand Joe». Une grande complicité intellectuelle allait ainsi me lier à cet ancien pensionnaire du département de philosophie de Dakar, lecteur assidu de Miguel de Unamuno. Quelques semaines après mes débuts au Quotidien, quel ne fut mon étonnement de voir Soro me demander de le suppléer dans Minerve, une rubrique phare du journal dont il était l’animateur principal. Un grand honneur pour le nouveau que j’étais dans ce journal, où reporters et chefs de service, soucieux de donner aux lecteurs le meilleur canard possible, pouvaient, en conférence de rédaction, s’étriper pour une virgule mal placée. Cette humilité et cette générosité étaient l’un des traits de caractère de Grand Joe. Toutefois, la fréquentation de la mouvance And Jëf, aux côtés de El Hadj Kassé et Racine Talla, futurs grands noms du journalisme et de la politique, avait aussi fait de lui un redoutable bretteur et polémiste. L’emprisonnement de Madiambal Diagne par un régime libéral frappé par l’hubris, fut ainsi un incroyable carburant pour le journal qui se mit en ordre de bataille, et Soro Diop déploya dans ce combat pour la démocratie et la liberté de la presse, l’étendue de son courage et de son immense talent.
Quelque temps après avoir quitté Le Quotidien, nos chemins allaient à nouveau se croiser à la faveur d’un reportage «embedded», organisé par le gouvernement marocain après un énième drame de l’émigration clandestine survenu dans les enclaves de Ceuta et Melilla. Après ce voyage éprouvant où on avait crapahuté ensemble dans des zones difficiles d’accès, je troquais le surnom «Grand Joe» que je lui accolais systématiquement, pour celui de «l’homme de Rabat». Une sorte de nom de code par lequel je le hélais chaque fois que je le rencontrais. Ce qui déclenchait immédiatement un autre grand éclat de rire de sa part.
C’est par un message posté par Hussein Bâ dans un panel regroupant des journalistes que j’ai appris, de Kinshasa, la nouvelle tragique de la disparition de Grand Joe. Cet aîné si bienveillant qui avait été si heureux de voir son «boy» évoluer aux côtés de son jeune frère, Alassane Samba Diop, au sein du Groupe Futurs médias.
Nous nous inclinons devant le décret divin auquel personne ne peut échapper. Comme le dit une prière pulaar, que de «bonnes mains» accueillent Soro Samba Diop. Qu’il repose au Paradis à côté de sa maman qu’il aimait tant, et dont la photo ornait son profil WhatsApp…
Par Barka BA