On apprend donc que ne pas accorder le moindre crédit aux chiffres donnés par le gouvernement au sujet de la situation économique peut valoir la convocation à la police. Curieux, car les documents de l’Etat du Sénégal et ceux de nos partenaires vont à l’encontre d’une certaine propagande véhiculée avec le même vocabulaire ordurier. Passant aux choses sérieuses, j’ai lu d’un homme d’Etat étranger, la semaine dernière, ceci : «La tentation illibérale, qui consisterait à faire divorcer la démocratie des principes constitutionnels et conventionnels qui la fondent, se solderait par une démonstration de faiblesse des détenteurs de l’autorité et aboutirait, in fine, à un abaissement…»

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Le mot abaissement, qui a fait le titre de ma chronique la semaine dernière, renvoie à ceux-là inaptes aux fonctions qu’ils exercent, qui inspirent la médiocrité. En plus, je remarque qu’ils font preuve d’un manque flagrant de sérénité. Leur agitation, malgré leur arrivée au pouvoir, est symptomatique des hommes étrangers aux affaires qu’ils conduisent. Leur peur est compréhensible aussi parce que partout, les apprentis despotes craignent la détermination de ceux-là qui décident de leur opposer une résistance dont le socle est la liberté en toutes circonstances. Les récentes arrestations de journalistes et de patrons de presse, suivies de leur libération sans aucune charge, démontrent l’agitation stérile qui gagne les populistes, quand à leur incompétence technique s’ajoute leur faible hauteur morale. Qu’ils se le tiennent pour dit : avant-hier nous étions une dizaine à démasquer leur imposture et leur dangerosité ; hier nous étions une centaine ; aujourd’hui nous sommes des milliers ; demain nous serons des millions. La seule exigence du Peuple de l’arc républicain est de leur faire face.
Sur les actes empreints de légèreté et d’abus divers, je suis en revanche préoccupé par la disparition des intellectuels pétitionnaires qui ont animé le débat public entre 2021 et 2024. Devenus subitement aphones, ces ligues spontanées de grands penseurs de la démocratie, de l’Etat de Droit et des libertés ont préféré regarder ailleurs quand journalistes et hommes politiques sont convoqués et condamnés pour certains, pour des délits d’opinion. Même les deux laquais du parti Pastef, Alioune Tine et Seydi Gassama, et les activistes du mouvement «Y’en a marre» ont émis du bout des lèvres quelques timides réserves. C’est dire…

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Je connais personnellement certains des signataires des nombreux textes, pour l’essentiel parus chez Seneplus de mon ami René Lake, site dont je suis un compagnon attentif et fidèle. Je peux même dire que parmi eux figurent des amis dont je ne doute pas de la sincérité dans l’engagement. Pour beaucoup, ils ont été victimes du puissant appareil de manipulation du parti Pastef, de leur manque de discernement et de leur incapacité à analyser les choses avec davantage de rigueur. Même les plus réputés universitaires peuvent être abusés par des semi-analphabètes en cravate, familiers des propos oiseux et des menaces et injures publiques.

J’appelle publiquement dans ces colonnes ces amis à leur responsabilité et à un exercice de cohérence et de constance dans la démarche. Je me fais ici le relais de nombreuses interrogations sur leur silence face aux dérives d’un pouvoir dont ils ont été hier les alliés objectifs au nom de la démocratie. Une autre partie des pétitionnaires, elle, était engagée en politique mais n’avait ni le courage ni l’honnêteté d’enlever le masque. Il s’agit d’une flopée de porteurs de serviettes, cachés derrière tribunes et pétitions intempestives, mais dont les seuls moteurs étaient un mélange de haine et d’opportunisme. Derrière toutes leurs gesticulations, ils ne cherchent au fond que la gloire, aussi éphémère soit-elle, les privilèges et la reconnaissance. Ce besoin de reconnaissance est une maladie des intellectuels sénégalais et leur fait perdre parfois le sens réel de leur fonction sociale de producteurs de pensées et de rempart face aux dérives d’où qu’elles surgissent.

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C’est avec gravité que beaucoup parmi nous ont constaté la dérive de nombre d’intellectuels sénégalais fascinés par le fascisme, qui a exercé sur eux une étrange attraction. Cette adhésion sans cette réserve, voire cette prudence précautionneuse à un discours et des méthodes violentes, les a empêchés de considérer les phénomènes politiques avec rigueur et lucidité. Aussi, l’exigence de vérité a manqué à beaucoup d’entre nos pétitionnaires, car ils se sont mis dans une logique binaire jusqu’à promouvoir le chaos.

Ceux qui s’organisaient dans des cercles discrets mettaient en place des stratégies de lutte, recrutaient des collègues et allaient chercher des signataires étrangers pour mieux discréditer le régime précédent au nom de la démocratie et de l’Etat de Droit, voyaient leur crédibilité et leur prestige s’effondrer sur le lit de leurs accommodements avec le mensonge, la duplicité, la manipulation et la rhétorique de la violence et du chaos. Leurs petites frustrations ont nourri une contribution à l’avancée de la horde fasciste sans aucun égard pour la vérité des faits et la rigueur scientifique. Ils se disent démocrates, républicains, féministes, pacifistes, mais ont salué toutes les menaces sur la paix et le vivre-ensemble, et toutes les abominations dans les actes et les discours. Ont-ils signé une pétition quand l’autre a traité Mme Adji Sarr de «guenon victime d’Avc» ; quand il a appelé à traîner le président de la République dans la rue comme Samuel Doe ; quand il a dit aux jeunes «si vous mourez, votre mère enfantera à nouveau» ; quand il a traité l’armée de «mercenaires à la solde de la France» ?

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Aujourd’hui qu’ils sont au pouvoir, je n’ai pas encore lu leurs pétitions sur les arrestations et emprisonnements pour des délits d’opinion, les interdictions illégales de sortie du territoire, les perquisitions sans mandat visible et les reniements sur les appels à candidatures, la composition du Conseil supérieur de la Magistrature et les menaces sur la laïcité de la République.
Non, ils n’ont rien dit, car certains sont lâches au point d’être terrorisés par des insultes sur internet, d’autres ne dansent que sur la musique de l’opportunisme politicien. Attendent-ils tels de vieux nègres leurs médailles de récompense pour services rendus. Récompense disais-je, celui qui se rêvait historien de la révolution a fini tête de gondole d’un comité Théodule sis à Thiaroye. Que le destin est facétieux !

Post-Scriptum : Traverses passe désormais au lundi. J’ai été honoré de me voir proposé de prendre la suite des «Lundis de Madiambal», après deux décennies d’exercice du fondateur d’Avenir Communication. Ce texte lui est dédié, en témoignage de ma solidarité devant les sordides tentatives de déstabilisation qui le visent. Elles seront vaines comme celles précédentes. Mais on le sait, la bêtise insiste toujours.
Par Hamidou ANNE – hamidou.anne@lequotidien.sn