L’encombrement de la circulation, qui est le lot quotidien des automobilistes sur cette artère de la capitale, me donne l’occasion de prêter attention au conducteur devant moi. Il tient de sa main droite le volant de son véhicule et de sa main gauche un gobelet en carton. Il en déguste le contenu et au bout de quelques minutes, sans surprise, jette le récipient sur la route. Un geste que l’on peut, hélas, voir au quotidien chez les conducteurs, les piétons, les passagers, et même des pèlerins se disant en quête de grâces divines, lors de grands rassemblements d’ordre religieux. Si ce n’est pas un gobelet, c’est un sachet d’eau vide ou des épluchures de fruits ou que sais-je encore.
Qu’est-ce qui pourrait expliquer cette attitude déplorable de bon nombre de Sénégalais ? D’où tenons-nous ce réflexe de jeter nos ordures où bon nous semble ? Comment comprendre nos rapports empreints d’hostilité et de légèreté envers ce qui constitue un abri pour nous, l’environnement ? Faudrait-il procéder à une psychanalyse de l’homo senegalensis afin de déceler la racine du mal et tenter de l’éradiquer ? Ou alors, serait-ce juste de l’incivisme, sous-tendu par une opinion bien ancrée chez plusieurs Sénégalais qui pensent que la rue n’appartient à personne (mbède mi mbèdou buur la) ? C’est là une réponse souvent servie, avec arrogance, par les coutumiers de ce genre de comportement, pour ne pas dire forfait, à quiconque tente de les en dissuader ; un comportement encouragé quelque part par la culture de l’impunité.
Et pourtant, la plupart de ces contrevenants veillent jalousement à la propreté dans leur port vestimentaire et leur intérieur. C’est le genre de propreté prêté à la poule, plus soucieuse de son plumage que de son entourage. Et si nous nous éloignions des poules pour nous rapprocher des humains, tout simplement ? Et si nous montrions plus de considération envers l’environnement ? Et si nous faisions un meilleur usage des réseaux sociaux afin d’éduquer la population dans ce sens ? Et si plus de temps était consacré à ce genre de sensibilisation, dans tous les établissements scolaires, dans les enseignements-apprentissages pour faire de nos apprenants de meilleurs citoyens ?
Et si chacun de nous en faisait sa propre mission au sein de sa maison, de son quartier, de sa ville, et que nous joignions l’acte à la parole ? Et si chacun de nous devenait une sentinelle œuvrant pour la protection de l’environnement, de façon bénévole ? Nous pourrions alors faire de notre pays une terre propre, saine, attrayante et plus facile à promouvoir comme destination touristique. L’engouement noté autour de certaines initiatives pour rendre notre cadre de vie propre est certes à saluer, mais on se demande à quoi cela sert si les mêmes personnes ayant pris part à ce genre d’action sont les mêmes qui salissent la rue de nouveau les jours suivants.
Nettoyer c’est bien, ne pas salir c’est mieux entend-on souvent dire. Et si nous en faisions plus qu’un slogan, une attitude, un style de vie ? Et si nous transformions le problème en opportunité, les déchets en richesses ? Le plastique, le carton, le jetable en général, ont envahi notre quotidien sans que nous y soyons assez bien préparés.
On peut blâmer ceux qui déversent ce genre de détritus dans la rue ; cependant, s’il y avait assez de réceptacles pour recevoir ces déchets et une meilleure gestion de leur collecte, le spectacle désolant de tas d’immondices dans quelques artères de nos villes et parfois à l’entrée de certaines grandes agglomérations, dotant par endroits la nature de parures faites de sachets en plastique multicolores dont elle se serait bien passée d’ailleurs, ne serait plus qu’un mauvais souvenir. Il faudrait pour ce faire, des structures bien organisées, capables d’acheter le plastique et le carton collectés, qui pourraient être revendus à d’autres structures opérant dans le domaine de l’emballage, par exemple. Le plastique recyclé pourrait servir à fabriquer plus de bacs à ordures qu’on mettrait à tous les points stratégiques, avec un plan de tri afin d’en faciliter la collecte. Encore faudrait-il que celle-ci soit régulière et bien organisée : un jour pour chaque catégorie d’ordures. Leur recyclage n’en serait également que plus facile. Certains pays l’ont réussi. Pourquoi pas nous ? Si en plus de cela, des usines de traitement d’ordures étaient implantées près des grandes décharges publiques, il pourrait en découler une création d’emplois à la chaîne : dépôt, tri, traitement, recyclage, vente.
J’en étais à mes réflexions engendrées par la transformation de la rue en dépotoir de détritus par certains individus quand une autre scène, tout aussi choquante, pour ne pas dire plus, attira soudain mon attention : un homme d’un âge mûr se soulageant, sans gêne aucune, sur l’un des murs d’un bâtiment ayant toutes les apparences d’un édifice religieux, le transformant ainsi en vespasienne. Je me posais les mêmes questions que pour les ordures. Mais peut-être que s’il y avait des toilettes publiques à des endroits stratégiques, fussent-elles payantes, notre vue pourrait être épargnée de pareilles scènes ?
Une telle initiative pourrait non seulement générer des emplois, mais aussi contribuer à faire de notre pays une terre où il fait bon respirer. Et si nous commencions par de petits gestes simples afin d’apporter, progressivement, des changements positifs dans nos comportements au quotidien, pour notre bien et celui de l’environnement ? Et si nous nous éloignions des poules pour nous rapprocher des humains, tout simplement ?
Safiétou NDIAYE
Professeure d’anglais/Ecrivaine