La Journée internationale de la femme est une occasion solennelle pour interroger la situation des droits des femmes de façon générale et la condition féminine de façon spécifique. Depuis son institutionnalisation, elle mobilise les Etats, les institutions, les organisations de femmes et l’opinion publique. C’est aussi un prétexte pour jeter un regard critique sur la situation des droits des femmes, au regard du thème retenu cette année : «L’égalité aujourd’hui pour un avenir durable.» Un sujet qui trouve toute sa pertinence dans le contexte sénégalais actuel. En effet, la question de l’égalité a toujours soulevé des incompréhensions et des amalgames aussi bien dans sa signification que dans sa perception dans la société sénégalaise.
Loin de faire le bilan de la situation des droits des femmes, il s’agira de questionner le principe d’égalité dans une perspective d’analyser la réalité de l’égalité homme-femme.
L’égalité signifie littéralement le caractère de ce qui est égal ou équitable ou encore le rapport entre des individus égaux. En droit, l’égalité peut signifier l’absence de discrimination entre les êtres humains. Ce principe a longtemps existé dans les civilisations avant de faire l’objet d’une consécration par le célèbre article premier de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 : «Les hommes naissent libres et égaux en droits.» L’égalité en droit proclamée par la déclaration précitée est reprise par plusieurs constitutions modernes. La Constitution du Sénégal n’est pas une exception. Elle a consacré le principe d’égalité aussi bien dans le préambule que dans le corpus constitutionnel. En effet, l’article 7 alinéa 5 dispose : «Tous les êtres humains sont égaux devant la loi. Les hommes et les femmes sont égaux en droit.»
A partir de ces textes, on comprend nettement que l’égalité en droit signifie avoir les mêmes chances et les mêmes opportunités dans l’accès aux différents droits quel que soit son sexe, son statut ou encore sa condition sociale. Ainsi, l’égalité postule une justice sociale et équilibrée. Dès lors, on peut s’interroger sur la réalité de l’égalité de chances et de droit dans la société sénégalaise.
Assurément, le discours sur l’égalité en général incrimine les normes sociales et les pesanteurs socioculturelles comme étant les principaux obstacles à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Ces deux facteurs ont bon dos dans les réflexions sur les droits des femmes. Il ne s’agit pas d’une simple remise en cause de la norme sociale et les pesanteurs socioculturelles. Ce qui serait un faux-fuyant. En vérité, il y a d’autres obstacles ou encore des déterminants sociaux, notamment les rapports de pouvoirs entre les hommes aussi délicats. Si l’on sait que les questions de pratiques et de normes sociales connaissent des processus de changements plus lents qui se négocient entre les différents acteurs.
Un certain suivisme du discours international sur l’égalité, notamment les éléments de langage, serait une grave erreur pour une société progressiste comme la société sénégalaise qui a connu quelques évolutions notoires du point de vue des droits des femmes. Il y a lieu de questionner les textes et les politiques discriminatoires des droits des femmes afin de voir comment les éliminer. On peut à titre d’illustration citer quelques domaines où des inégalités subsistent encore. Il s’agit notamment du défis du maintien des jeunes filles à l’école ou à une éducation de qualité, l’insuffisance de prise en charge des filles déscolarisées souvent laissées pour compte par le système, le difficile accès aux soins de santé, la prise en charge médicale et sociale des femmes dans un contexte d’absence ou de faiblesse des politiques de sécurité sociale, la persistance de la fracture entre femmes rurales et les femmes en milieu urbain, la difficulté d’accès aux ressources financières et enfin la faible représentation dans les postes nominatifs. La liste est loin d’être exhaustive, mais suffisante pour illustrer le gap à combler pour bâtir une égalité durable. Et pourtant, les chiffres annoncés par les gouvernants, surtout en termes de budget dans les programmes et politiques, sont difficilement perceptibles dans la réalité des droits des femmes.
L’une des questions choquantes dans l’égalité de droit est la représentation des femmes dans les instances décisionnelles. Le respect de la loi sur la parité absolue homme-femme dans les instances électives et semi électives reste encore un grand défi. Les installations récentes des bureaux des conseils municipaux et départementaux en sont une parfaite illustration. Pourtant, cette loi historique a plus de dix ans d’existence avec plusieurs expériences d’application. Mais malheureusement elle peine encore dans son effectivité. L’autre aspect de la représentation des femmes est l’accès aux fonctions nominatives. Peu de femmes sont nommées aux postes de responsabilité. Le discours officiel sur la représentation des femmes dans les postes de décision nominatifs est souvent dans le déni ou la simple marginalisation des femmes hautement qualifiées, prétextant souvent qu’on ne trouve pas de femmes à nommer ou encore ce fameux refrain, «elles ne font pas de politique». A-t-on forcément besoin de militer dans un parti politique pour être nommé dans une position. On comprend aisément que la responsabilisation est avant tout une affaire de compétences et de savoir-faire dans un Etat de droit. Mais il y a de réels changements de paradigmes à opérer pour que l’égalité des chances et des opportunités soit une réalité.
L’égalité aujourd’hui, oui mais l’égalité ne se décrète pas, elle se construit suivant de longs processus basés sur des équilibres sociaux qui ne mettent pas forcément les différentes valeurs et normes en contradiction.
L’égalité des droits, surtout une égalité durable pour un meilleur avenir est possible. Il faut renforcer les bases d’une société juste et équilibrée où tous les citoyennes et citoyens se sentiront égaux en droit, égaux devant la loi, égaux devant les services publics, égaux devant l’accès aux ressources. Voilà des pistes de solutions pour bâtir une société égalitaire et solidaire dans un contexte de crise économique et de changements climatiques. Cette dernière question est encore abordée sous un angle plus ou moins technique voir élitiste, alors que les conséquences des changements climatiques touchent les femmes. Il faut une appropriation de ces problématiques et des questions connexes par les organisations de défense des droits des femmes qui doivent diversifier leurs interventions et oser sortir des sujets classiques mais brûlantes des droits des femmes.
Bravo à toutes les femmes et aux hommes qui les soutiennent au quotidien.
Bonne célébration.
Dr Zeinaba KANE – Enseignante- chercheur en Droit public,
Militante des droits des femmes
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