Etat du Sénégal et Ville de Dakar : le Mercato des infrastructures

Dakar, rond-point Keur Gorgui. Les voitures individuelles occupent tout l’espace et les environs, stationnant sur les trottoirs, squattant chaque terrain inoccupé. Autour du rond-point, le long de la Voie de dégagement nord, chauffeurs de transport public et automobilistes, marchands ambulants et mendiants se disputent la voie dans un désordre indescriptible.
Heureusement, tout ceci n’est que triste mémoire maintenant, l’autopont acier/béton qui enjambe l’ancien axe circulatoire du rond-point sur la Vdn, à hauteur de la Cité Keur Gorgui, permet une fluidité et une rapidité dignes d’une agglomération comme Dakar, qui concentre près de 60% des activités économiques du Sénégal ; la capitale sénégalaise change de visage grâce aux infrastructures de dernière génération exécutées aux normes et standards internationaux.
Le Ter et bientôt le Brt vont densifier ce panorama avec un maillage multimodal structurant route/rail, au grand bénéfice de la communauté urbaine de Dakar qui se modernise et se dote d’un patrimoine d’infrastructures dont l’exploitation et la maintenance auront un impact économique et fiscal immédiat sur la ville de Dakar et ses recettes.
Des travaux préparatoires de l’Anoci pour le Sommet de l’Oci de 2008 à l’actuel président de la République tel un pharaon, ce sont pas moins de 2300 milliards de F Cfa engloutis dans les infrastructures de toutes sortes et de toutes catégories pour la région de Dakar, y compris la ville de Diamnadio.
C’est dire le matelas de recettes fiscales et parafiscales que peuvent recouvrer toutes les collectivités territoriales de la région, pour peu que ce patrimoine soit exploité et valorisé à son optimum. D’ailleurs, les 50 milliards de budget de la Ville de Dakar représentent au prorata de l’activité économique et du patrimoine infrastructurel, une estimation minimale trop infime au regard du vrai potentiel de notre capitale. Ainsi, refuser un emprunt obligataire même à la Ville de Dakar pour ses investissements n’est pas pertinent car la base économique, financière et fiscale est immense, voire même illimitée, étant sous-entendu le patrimoine des Dakarois, avec le foncier individuel et collectif, résidentiel et de plus en plus institutionnel. 90% des unités de production, comme les Pme et Pmi, sont situés à Dakar.
Les changements climatiques qui vont affecter les rendements agricoles des zones rurales, les fortes températures et le sous- emploi, qui provoquent les phénomènes migratoires auxquels s’ajoutent les fractures territoriales, seront autant de phénomènes d’accentuation d’une urbanisation non maîtrisée, obligeant l’Etat, concepteur-constructeur-bailleur des infrastructures, à en céder la gestion et l’exploitation aux collectivités territoriales dans lesquelles ses infrastructures sont érigées. Le service public devra impérativement avoir un contenu local et territorial que seuls la mairie et le Conseil municipal pourraient assumer. Ainsi se dessinent les prochaines mues dans nos codes des collectivités territoriales et du domaine de l’Etat. L’heure du Mercato va bientôt sonner pour nos Etats centralisés et interventionnistes et les collectivités territoriales agressivement sollicitées pour des services de proximité par les citoyens et citadins.
Des kilomètres de routes principale et secondaire, d’autoroutes, de ponts et d’autoponts, de tunnels, de voies ferrées, de gares, etc., seront en jeu.
Attendre un ministre pour réparer un câble sectionné, écrire au Cabinet du ministre pour une route secondaire pleine de nids de poule, solliciter par voie des ondes le président de la République pour un simple glissement de terrain, dégager les vandales et squatters le long des giratoires ou sur les espaces aménagés autour des autoponts de Dakar, voilà les motifs d’un transfert massif d’actifs publics, même structurants, vers les mairies et communes pour leur exploitation et maintenance adéquate. Ce sera le défi technique des nouvelles collectivités, qui devront gérer l’infrastructure comme un patrimoine et non comme un service municipal de routine. C’est un nouveau contrat avec bien sûr des transferts de ressources et souvent même des transferts de compétence. Le génie municipal retrouve ses lettres de noblesse.
La mairie de Dakar et l’Etat du Sénégal devraient dès à présent réfléchir aux contours de ce mariage de raison qu’ils sont obligés de faire. C’est un partenariat d’un nouveau type qu’ils sont obligés de sceller dans un esprit patriotique win-win. Il n’y a que synergies et complémentarités entre eux.
C’est avec ce lien, relation ou contrat de type nouveau et innovant que nous parviendrons à dépasser la fatalité d’incompétence et de mauvaise perception qui habite les mairies et collectivités territoriales et les mettre au défi du progrès et du développement, avec l’infrastructure comme levier.
Moustapha DIAKHATÉ
Expert et Consultant en Infrastructures
moustaphny@gmail.com