Les fils du pays, autour d’un thème. Ça a toujours été ça, le Gingembre Littéraire. Pour cette année six, la rencontre fait dialoguer les lumières de profils différents autour de «Sport et cohésion sociale». Dakar, Institut français (If), jour premier.

 

Par Moussa SECK – Il y a le «Douzième Gaïndé» : sans doute, jour de match. Il y a lycéennes et lycéens : jour d’école, sans doute. Sans doute une journée de culture, puisqu’elle se joue sur le terrain de l’Institut français de Dakar. Il y a des visages du journalisme sénégalais, de l’université et des institutions sportives. Il y a le ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Tout ça et tous ceux-là, parce que, sans doute, «le sport est un phénomène social total», comme le dira le directeur de l’If, Laurent Viguier, qui se réjouit du fait que M. Gorgui Wade Ndoye et ses équipes du Gingembre Littéraire associent son jardin à leur édition six. «Phénomène social total» donc : ça a sans doute inspiré Gorgui et ses équipes de réunir à l’ombre de son gingembrier, un échantillon assez représentatif de la société pour parler de «Sport et cohésion sociale».

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«La contribution du sport à la cohésion sociale est indéniable, vu le puissant moteur qu’il constitue, et qui ne date pas d’aujourd’hui.» Il est un «puissant levier. C’est pourquoi il est souvent utilisé pour promouvoir l’inclusion sociale des minorités, renforcer les liens entre individus de différentes origines, encourager les valeurs collectives telles que le respect, le fair-play et la coopération». Ainsi la ministre de la Jeunesse, des sports et de la culture a-t-elle introduit le sujet. Ou, a-t-elle chargé son représentant de le faire, puisqu’elle n’a pas été de la partie. Son discours transmis au public ce vendredi 22 novembre fait remarquer que «les initiatives sportives peuvent être instrumentalisées par des agendas politiques détournant leur potentiel pour la cohésion sociale». Quoi qu’il en soit, poursuit la ministre via son représentant, «l’intégration du sport dans les politiques publiques a montré des résultats probants dans plusieurs nations, et nos pays devraient s’inspirer de ce qui se fait de mieux en matière de sport et de cohésion sociale». Exemple : «Sport for Development and Peace, qui est une initiative promouvant la paix et le développement par le sport dans les zones de conflits…»

92, l’un des rares cas…

Le Sénégal n’est pas dans ce cas de figure, et heureusement. Il est, par contre, dans un cas où pour chaque domaine, il doit faire dialoguer ses fils afin d’améliorer ce qui demande amélioration ou faire être les inexistants dont le pays a besoin. «Eclore», dira l’initiateur de la rencontre tenue dans le jardin de l’If. Pour ce qui est du sport, précisément, El Hadj Gorgui Wade Ndoye rêve d’un domaine qui puisse contribuer à l’économie, jouer pleinement son rôle dans la diplomatie. Et bien sûr, être un facteur d’inclusion sociale. Ces grands rôles du sport dans la vie des peuples ont existé hier, rien n’empêche qu’aujourd’hui ce domaine joue le même rôle. Hier : «ce sont les pays africains, à travers le Conseil supérieur du sport africain, qui ont permis la libération de Nelson Mandela», rappelle le conférencier, journaliste et auteur Sylvère Henry Cissé. Et longue a été la lutte. Ledit conseil, né en 1966 après les premiers Jeux africains, s’apercevant que les Africains en ce temps n’avaient pas de puissances économiques, de forces armées, ont utilisé les armes et la puissance du sport «pour pouvoir agir contre les grandes puissances». Et longue a été la lutte. A la fin, «ce sont les Africains qui ont lutté à travers le monde pour permettre, en 1992, à Nelson Mandela d’être dans le stade lors des Jeux Olympiques». La force du sport apparaît ainsi : «c’est un des rares cas où le panafricanisme a fonctionné», poursuit M. Cissé. Il a répété, «un des rares cas». C’est dire…

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Sylvère Henry Cissé, la nécessaire dissociation

Sports, sports, de quoi parle-t-on au fond, lorsque ce terme est mis en lien avec l’inclusion. Il y a les sentiers battus, et il y a le pari conceptuel pris par Sylvère Henry Cissé ! «Il convient aujourd’hui de dissocier inclusion du mot sport», dit-il, proposant ainsi l’expression «activité physique». L’argument : «Nous avons besoin de l’activité physique en ce qui concerne le sport amateur. Et le fait de dissocier et de définir cela va amener une meilleure compréhension.» Cela aidera, soutient-il, dans la définition des politiques. «Aujourd’hui, il faut avoir une forme d’ingénierie, il faut avoir un peu l’intelligence pour savoir de quelle manière on va pouvoir financer et aider le sport.» Sa proposition : les entreprises d’envergure, la Rse, peuvent financer le sport amateur, le sport loisir, le sport handicap. Ce, pour permettre aux gens de faire non pas du sport, mais de l’activité physique. Le sport dont on parle souvent, continue-t-il, c’est autre chose. On y cherche à écraser l’autre, à vaincre ! Alors que «l’activité physique, c’est se dépenser, pour sa santé, pour être en cohésion avec les amis, pour pouvoir vivre avec les amis, et participer à une forme de bien-être. Bien dans sa tête et dans son corps, on va forcément rayonner d’un rayonnement qui sera utile au quartier, à la ville, au pays». Sylvère plaide : redéfinir !

Sport du dimanche et infrastructures
Cette nécessité de redéfinition trouvera écho dans l’intervention du Dr Mamadou Selly Sy. L’enseignant à l’Université Alioune Diop parle pour sa part de droit au sport à la place du droit du sport. Pas, donc, de sport d’élite, mais de sport du dimanche, de loisir, comme suggéré par Sylvère Henry Cissé. Jouir de ce droit au sport, facteur d’inclusion sociale, suppose l’existence d’infrastructures. Ces dernières ne sont pas forcément disponibles partout et en tout temps. «Com­ment atteindre le droit au sport si on n’a pas le minimum d’infrastructures ?», s’interroge M. Sy, qui pose le doigt sur les inégalités territoriales et interpelle le ministère de tutelle. Parlant infrastructures, le directeur de l’Institut français relève l’angle coopération qui lie l’If au Sénégal. «Coopé­ration et accompagnement d’une dynamique sénégalaise très importante qui est celle qui va mener aux Jeux Olympiques de la Jeunesse en 2026.» La team France, soutient-il, est complètement impliquée dans l’accompagnement de la construction d’infrastructures, de la formation des athlètes de haut niveau, du développement des instituions sportives. Revenant sur le thème du Gingembre, il rappelle que le sport n’est pas qu’une question de bon temps passé sur un terrain. M. Viguier : «C’est du lien social, ce sont des opportunités économiques, c’est de la promotion de l’égalité femmes-hommes, l’émancipation des jeunes filles.» Plein de choses à la fois…