Rappelé à Dieu dans la nuit du dimanche 24 au lundi 25 novembre 2024, celui qui jadis incarnait «l’excellence de la diplomatie sénégalaise», nous voulons nommer l’ambassadeur Massamba Sarré, le fils prodige de Ngalick Khou­ma, repose, depuis plus de quarante jours (déjà !), près de son illustre père Denango, dans l’intimité familiale au cimetière de Ngalick, son village natal qu’il «aimait d’amour». Dans les lignes qui vont suivre, vous l’aurez certainement deviné, nous voulons rendre hommage à ce grand chevalier de la diplomatie sénégalaise dont il fut un acteur, un témoin et la mémoire jusque dans ses dernières heures. Et pour cause, c’est un morceau de patrimoine qui nous a quittés. Egalement, son parcours de son modeste village de Ngalick aux prestigieux postes d’ambassadeur du Sénégal au Maroc, en Iran, en Tunisie, aux Usa, en France, qui indique un vertigineux écart entre son milieu d’origine et celui auquel il a accédé, sonne pour nous comme une source profonde d’inspiration et d’admiration. Mieux, comme un parfait viatique.

Parcours relevant du musée
Nous sommes aux premières heures de la diplomatie sénégalaise, au lendemain de notre indépendance. Mas­samba Sarré se retrouve, en compagnie de Djim Momar Guèye, Birago Diop, André Guillabert, Léon Louis Boissier-Palun, Ousmane Socé Diop, missionné par le Président Léopold Sédar Senghor, pour déterminer la place et le rôle prépondérant que le Sénégal devrait occuper et jouer dans le monde. La suite confirme l’enracinement, l’ouverture et surtout la capacité à bien naviguer dans les eaux troubles de la géopolitique, comme les trois principes sur lesquels va reposer le triomphe d’une diplomatie soutenue par un savant mélange d’intransigeance, de nuance, de fermeté et de souplesse, laissant peu de place aux tâtonnements. Cette consécration et cette reconnaissance de la sagesse de la diplomatie sénégalaise au plan international, se confondent avec l’influence diplomatique de l’ambassadeur Mas­samba Sarré qui, en quarante ans de carrière, et avec le curseur situé dans l’action et non dans le verbiage, aura tenu le rang de ce tout petit pays qu’est le Sénégal dans le monde.

En effet, optimiste par nature, et pas effrayé par les échecs menant au succès, l’enfant de Ngalick a su, durant tout son parcours vertigineux qui l’a «successivement» mené à Rabat, à Téhéran, à Tunis, à New York et à Paris, se distinguer par son leadership, son sens aigu des responsabilités et son courage, comme un diplomate hors norme. Eh oui ! Par sa rhétorique, son approche tactile, son humilité à nulle autre pareille et son attention au signifiant et/ou au signifié, bref, par sa parfaite maîtrise du «solfège» de la diplomatie, Massamba Sarré a été la représentation d’une certaine diplomatie : active, efficace et discrète. Celle-ci, équilibrée à tous égards, respectueuse des idéaux de liberté, de démocratie, de tolérance et de bien-être pour les populations nécessiteuses, et surtout guidée par des principes cardinaux (non-alignement, règlement pacifique des différends, dialogue, recherche constante de la paix, non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats, solidarité africaine, ouverture au monde…), a fait entendre d’une voix audible, la voix du Sénégal dans le concert des nations. En clair, elle a rendu le Sénégal plus fort, plus sûr et plus respecté.

Et pourtant, Massamba Sarré n’était pas prédestiné à faire de la diplomatie. Loin de là. Son premier poste devait être la Direction générale d’une banque centrale, mais le Président Mamadou Dia le convainc de rentrer dans la haute administration, avant que le Président Senghor, qui l’appelait déjà «l’homme du Quai d’Orsay» alors qu’il n’était pas encore entré en diplomatie, ne le nomme ambassadeur du Sénégal au Maroc auprès du Roi Hassan II en 1968, coïncidant avec l’arrivée de Me Doudou Thiam aux Affaires étrangères, en provenance du ministère de l’Intérieur. Mais nonobstant qu’il soit tombé dans la soupe diplomatique comme un cheveu, Massamba Sarré, en homme de caractère dévoué à la cause de son pays, va démontrer, d’ambassade en ambassade, que la diplomatie était pleinement et entièrement faite pour lui. Elle était dans son Adn. D’ailleurs, Birago Diop ne s’y était pas trompé en écrivant ces mots à son sujet : «Massamba Sarré, un des rares jeunes nourris au vieux lait wolof du terroir qui, d’ambassade en ambassade, aura tenu une remarquable place à l’Onu.» Même tonalité pour cet autre touchant hommage sur sa contribution exceptionnelle au rayonnement du Sénégal sur la scène internationale, rendu en 2015, lors de la sortie de son livre à la lecture fort plaisante intitulé «De Ngalick à Paris : Aux premières heures de la diplomatie sénégalaise», par son beau-fils de valeur, l’ancien Premier ministre Mohammad Boun Abdallah Dionne, aujourd’hui décédé (Paix à son âme) : «Cet homme (Massamba Sarré) est l’incarnation-même du devoir accompli. Sa carrière de diplomate est une cargaison de leçons de vie et de conquêtes (…).»Ces deux témoignages et d’innombrables autres exemples indiquent à quel point comment cet insubmersible serviteur impeccable de l’Etat, ce talentueux joueur de golf que le Roi Hassan II venait applaudir sur le green, avait su toucher les cœurs et les esprits. C’est une vérité mais il y en a une autre : son courage à toute épreuve.

Rescape des balles de Skhirat
L’ambassadeur Massamba Sarré avait fait le choix, toujours le choix, de mettre en pleine lumière la diplomatie sénégalaise dans le monde en toute circonstance, et surtout en toute responsabilité. Quoi qu’il en coûte. Un truisme. En témoigne, l’attentat de Skhirat, cette révolution de palais avortée, menée par le Général Mohamed Medbouh lors de la célébration du 42e anniversaire du Roi Hassan II le 10 juillet 1971 et au cours de laquelle l’enfant de Ngalick a failli être dénombré parmi les cent (100) morts et/ou cent vingt-cinq (125) blessés sur les 400 invités présents à cette fête royale qui se tenait au palais de Skhirat, en banlieue de Rabat. Fort heureusement, par la grâce d’Allah, il a survécu à cette tuerie barbare. La suite, sans surprise, à ce traumatisme qu’il a traversé, on la connait. Il va continuer, avec courage et dévouement, à porter la diplomatie sénégalaise en bandoulière. Le courage, après tout, Massamba Sarré, il avait l’habitude, ça lui était même consubstantiel. Cet héroïsme discret, cet héroïsme quotidien, il le tient, sans nul doute, de son statut d’orphelin de mère et de père à l’âge de 10 ans, une situation difficile qui lui a appris à faire preuve d’efforts et de persévérance face aux turpitudes de la vie. Et aussi, du soutien affectif, verbal et culturel, de ses grands frères El hajj Mamadou et Abdoulaye Sarré qui l’ont recueilli après. Pour rappel utile, Abdoulaye Sarré, inspecteur des impôts et domaines, faisait partie des six (6) élèves qui composaient la 1ère promotion de Sénégalais qui ont passé le Brevet de capacité coloniale (l’équivalent du Bac) organisé au Sénégal en 1948. Le cérébral, c’est chez les Sarré ! L’humilité aussi.

L’ombre plutôt que la lumière
Par sa faculté à illuminer et à se fondre avec les autres, nous voyons bien que Massamba Sarré préférait de loin l’ombre à la lumière. Si nuancé, si mesuré, il ne cherchait jamais à tirer la couverture à lui, malgré sa stature. En cela, il donnait à la fois son plein sens à la posture de diplomate qui n’est pas de parader, mais de rester dans l’ombre, et à l’enseignement de Gandhi que «cultiver l’humilité revient à cultiver l’hypocrisie. L’humble n’a pas conscience de son humilité». Son humilité et sa retenue, lui valaient l’admiration de ses pairs et la reconnaissance de ses collaborateurs qui savaient qu’il était de ces hommes de la pénombre au poids diplomatique considérable et à l’entregent essentiel en période de crise majeure. A preuve, il a été un fervent défenseur des droits inaliénables du Peuple palestinien à disposer d’un territoire. Aussi, un des grands artisans du cessez-le-feu dans la guerre Iran-Irak. Il a été le premier ambassadeur africain accrédité en Iran auprès du Shah Mohamed Reza Pahlavi. Un poste prestigieux qu’il a occupé avec rigueur et maestria. Pendant presque dix ans (1988-1996), alors ambassadeur du Sénégal en France, il a joué un rôle central dans le renforcement des relations diplomatiques entre les deux pays au moment où les enjeux géopolitiques étaient particulièrement cruciaux. Suffisant pour que des générations et des générations de diplomates, se soient inspirées de sa sagesse, de sa détermination et de son engagement, pour s’efforcer de maintenir haut le flambeau de la diplomatie sénégalaise. Les rappeurs diront qu’ils ont rimé sur Massamba ! Et ce n’est pas tout. Il y a d’autres contributions, tous azimuts, à mettre à l’actif de Massamba Sarré.
Sans prétendre à l’exhaustivité, il a placé son petit village Ngalick sur la carte du monde. Ce qui n’est pas rien. C’est même beaucoup. Il a considérablement contribué à la construction d’un forage, qui alimente en eau potable une bonne partie des villages environnants. Il a grandement aidé à la construction d’une mosquée moderne, sans compter qu’il était souvent au chevet des populations de Ngalick dans les domaines de l’éducation, de la culture, du religieux. Et pour tous ses (ces) beaux coups, Ngalick est fier de son fils et évoque avec émotion sa mémoire.

De Ngalick à…Ngalick
La fin de ce parcours relevant du musée d’un homme au «charisme incroyable» s’est écrite à Dakar, dans la nuit du dimanche 24 au lundi 25 novembre 2024. Le mardi 26 novembre 2024, la tristesse et l’émoi étaient à leur comble à l’arrivée du convoi funéraire un peu avant 15 heures dans le village de Ngalick de quelques centaines d’âmes. Les nuages qui semblaient s’être arrêtés sur les hauteurs du «Rand Gi», l’arbre qui prend toute sa place au centre du village, marquaient l’arrivée de la dépouille de l’enfant du pays. De nombreuses personnes, sincèrement attristées, affluèrent des villages environnants pour faire leurs adieux à «Mame Mass», comme ils l’appelaient respectueusement et affectueusement. Pour elles qui lui nourrissaient une profonde admiration, c’est comme venir rendre un geste de gratitude pour tout ce qu’il leur a apporté. La pluie d’hommages posthumes rarement égalée pour un diplomate rendue devant une assistance recueillie, par plusieurs personnalités publi­ques, des diplomates à la retraite et des acteurs politiques, des parents, des amis, attestait de l’immensité de l’œuvre de l’ambassadeur Massamba Sarré. Le déplacement à Ngalick de Serigne Modou Mamoune Bousso, Imam Ratib de la grande mosquée de Touba, pour diriger la prière mortuaire et procéder à l’enterrement, montrait le statut unique que le défunt avait acquis auprès du vénéré khalife de Serigne Massamba Mbacké. Et aussi, auprès du vénéré Khalife général des mourides Serigne Mountakha Bassirou Mbacké. Ainsi à jamais, Massamba Sarré, ce grand-père, ce père, respecté et aimé, qui a tant donné pour le Sénégal, et aussi qui aura surtout été une longue source d’inspiration et d’admiration pour des générations de diplomates, pour le Sénégalais lambda tout court, restera dans la mémoire nationale comme l’un des plus valeureux fils de ce pays. En cette circonstance attristée où il a quitté une vie qui ne le quittera pas, j’adresse à Adja Rokhaya Diokhané, son épouse modèle, à Abdallah et Caty, ses enfants, mes plus chaleureuses pensées. Puisse Allah lui accorder sa miséricorde et l’accueillir dans son paradis éternel dans la proximité de notre bien aimé prophète Seydina Mohamed Saws. Amine.
Alioune Badara NIANG
badouniangjunior@gmail.com