Summa Limak, qui a obtenu la gestion du nouvel aéroport Blaise Diagne de Diass, semble vouloir tout mettre en œuvre pour écarter les opérateurs sénégalais, quelle que puisse être l’expertise dont ces derniers pourraient faire montre. Les privés sénégalais, réunis sous la bannière patronale du Conseil national du patronat, ne veulent pas se laisser égorger comme des moutons sans réagir.

Les autorités ont annoncé le démarrage des activités de l’Aéroport Blaise Diagne de Diass (Aibd) pour le 7 septembre prochain. Néanmoins, au vu des nombreuses difficultés techniques, il est à douter que ce délai soit respecté, à moins de vouloir faire fonctionner une infrastructure à tout le moins bancale. C’est d’ailleurs le sens du mémorandum que les membres de l’Union des prestataires et opérateurs des aéroports du Sénégal (Upoas), membres du Conseil national du patronat (Cnp), ont fait parvenir aux plus hautes autorités de l’Etat.
L’Upoas et le Cnp ont le sentiment que les Turcs de Summa Limak, qui ont obtenu la concession pour la gestion de la nouvelle infrastructure, font tout pour écarter les privés sénégalais de la plateforme. Les patrons sénégalais ont demandé au ministre des Transports aériens de ne pas laisser les Turcs de Summa Limak définir seuls les conditions d’implantation des entreprises sur la plateforme. Ils ont insisté pour que l’Etat encadre cette implantation, «au regard du risque très élevé de contractualisation par Summa Limak, avec des nouvelles entreprises étrangères au détriment des privés de l’aéroport Léopold Sédar Senghor. Il y a aussi le fait que Summa Limak ne profite de sa position dominante pour privilégier ses intérêts».
Ainsi, les deux structures ont fait remarquer que pour ce qui concerne la location des hangars de fret, «les tarifs et redevances de Summa Limak dépassent de très loin ceux des pays de la sous-région, ainsi que ceux des pays concurrents en hub aéroportuaire». A titre d’exemple, avec Summa Limak, le prix du hangar de fret est passé de 1,96 euro le mètre carré (m²) à 50 euros/m². En plus, les charges locatives passent toutes à 50 euros/m², là où l’ancienne grille variait entre 1,96 euro/m² et 28,13 euros/m². A titre d’information, un euro vaut 665 francs Cfa.
La même volonté de mettre les nationaux à l’écart s’est déjà manifestée en ce qui concerne la gestion du Duty free shop. Les privés qui évoluent sur la plateforme de Lss, à savoir la Serep et la Sadiv, ont été brutalement écartés pour laisser la place de Diass à Lagardère en toute opacité.
L’Upoas assure que dans leurs concertations avec les autorités, Serep et Sadiv avaient reçu des assurances quant à leur transfert à la nouvelle plateforme à condition que toutes les deux «respectent les normes internationales de qualité requises et soient à jour des règlements des redevances aéroportuaires». Condi­tions que les deux entreprises remplissent sans difficultés, assure leur syndicat patronal.
Cela n’a pas empêché Summa Limak de leur faire savoir, en novembre 2016, que la concession du Duty free shop n’allait être exploitée que par une seule structure à l’Aibd. Et par conséquent, elles étaient invitées à présenter leurs offres commerciales et financières. Chacune d’elles a déposé un avant-projet d’aménagement du Duty free shop, et attendait de recevoir le cahier des charges pour l’appel d’offres.
Aucune réponse ne leur a jamais été donnée. De guerre lasse, les deux entreprises ont saisi l’autorité de tutelle de leur volonté de faire une offre conjointe, car elles remplissaient toutes les deux les conditions requises. Leur souci était de préserver l’outil de travail et les investissements réalisés, en plus de sauvegarder les emplois des deux entreprises.
Grande a donc été leur surprise de recevoir dès le premier septembre notification que la concession du Duty free shop de l’Aibd a été attribuée au français Lagardère. Sur quelle base ? A partir de quel appel d’offres ? Avec quel cahier des charges ? Toutes questions, entre autres, auxquelles aucune réponse ne leur a été livrée.
Le même procédé cavalier a été observé dans l’attribution de la concession des lounges, au profit d’un troisième larron.
Le modèle économique qui se dessine ici pousse à se demander ce que les opérateurs de Sal Sa comprennent de la fonction de l’aéroport qu’ils sont appelés à gérer. D’abord, en écartant systématiquement toutes les entreprises établies sur l’aéroport de Dakar, en dépit de leur expérience et savoir-faire, ils négligent la crise sociale qu’ils préparent à l’Etat, qui va se retrouver avec une masse de chômeurs et leurs proches à gérer. Cela, sans compter des millions de francs Cfa d’investissements passés par pertes et profits, au bénéfice d’étrangers arrivés dans ce pays dans des conditions nébuleuses.
Plus grave encore, en mettant des situations de monopole dans l’exploitation des différents segments de la plateforme, ils livrent les usagers à la merci des opérateurs qui vont renchérir les coûts des prestations en toute impunité. Et à terme, au lieu de rendre le nouvel aéroport attractif et de remplir son rôle de hub sous-régional, ils risquent de détourner les gens de la destination sénégalaise. Est-ce vraiment ce que veulent les autorités qui leur ont confié cette infrastructure construire de bout en bout avec l’argent des contribuables sénégalais ?
Quoi qu’il en soit, Le Quotidien n’en a pas fini avec ces aberrations, parce que, dans aucun secteur de son exploitation, l’Aibd ne fait de l’espace à l’expertise locale. Or, il suffit de voir l’aéroport Lss de Dakar pour s’assurer que ce n’est pas du personnel de qualité qui fait défaut au Sénégal.
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