Les populations de Médina Carrefour et environs dans le département de Bakel craignent pour leur vie. La cause, la pollution liée à l’exploitation des carrières dans la zone, par l’Entreprise Mapathé Ndiouck (Emn). La mairie a engagé un bras de fer avec la société. Le maire Bocar Amady Sy a déposé une plainte auprès du procureur de Tambacounda pour «occupation illégale de terrain appartenant à autrui». Il accuse Emn, qui exploite une carrière dans son périmètre communal, d’avoir occupé 1 000 ha au lieu de 500 ha attribués par une délibération de l’ancien conseil rural. Les promesses de création de poste de santé, de mise en place de forages, la question de l’emploi des jeunes, le reboisement massif n’ont pas été respectés, selon les habitants et les élus. Ce dossier a été réalisé grâce au programme Ethique et excellence dans le journalisme de l’Ecole supérieure des métiers de l’internet et de la communication (Ejicom).

«Nos enfants souffrent la plupart du temps d’infections respiratoires aiguës (Ira).» C’est la révélation faite par Oumar Sow, porte-parole du chef de village de Médina Carrefour, situé dans la commune de Gabou, département de Bakel. C’est dans cette zone que l’Entreprise Mapathé Ndiouck (Emn) s’est installée pour exploiter une mine de grés.
Dans le village, les habitants sont terrés dans leurs maisons en majorité des cases en paille. A l’extérieur, le vent poussiéreux dicte sa loi. Dans la demeure du chef de village, un groupe de femmes causent tranquillement sous l’ombre d’un bâtiment. Dans la vaste cour, des poussins en compagnie de leur génitrice becquètent le sable mélangé à des déchets d’animaux. Ce bloc de volaille hétéroclite qui s’affaire dans la cour est des fois dispersé par des moutons et des chèvres. Ce petit bétail constitue la principale richesse des villageois. En outre, ils pratiquent l’agriculture. Mais depuis que l’entreprise est là, une bonne partie des terres a été abandonnée. Et les populations ne bénéficient pas des retombées de l’exploitation des carrières. «Depuis que cette usine est établie ici, aucun investissement social n’est consenti dans ce village. Nous sommes laissés à nous-mêmes. On est confronté à d’énormes difficultés», fulmine le porte-parole du chef de village. Et de renchérir : «Le plus gros souci pour les habitants de ce village, c’est la poussière qui émane de l’usine. Quand la machine est en marche, on respire difficilement et nos aliments sont pollués. Toute la poussière tombe dans nos plats. C’est un grand fléau dans ce village. Si le promoteur ne fait rien pour nous, qu’il nous laisse au moins vivre ici en paix. Qu’il ne cherche pas à nous chasser de notre propre localité.» Listant toujours les conséquences de l’implantation de l’usine chez eux, M. Sow informe qu’en période d’hivernage, leurs maisons sont inondées à cause des travaux effectués par la société Emn.
Aujourd’hui, les paysans qui ont abandonné leurs terres autour du site «sans dédommagement», pointent du doigt l’Entreprise Mapathé Ndiouck. L’organisation paysanne de Bakel a mené plusieurs actions pour réclamer justice, mais en vain. Certains soupçonnent des autorités d’avoir reçu des pots-de-vin du promoteur pour acheter leur silence. Djiby Konaté, natif de Bakel, producteur agricole, gagnait sa vie pendant 20 ans sur le site. Impuissant face à ce qu’il qualifie «d’expropriation illégale», il s’est résigné à quitter la zone pour aller faire la culture de décrue au bord du fleuve Sénégal. Il explique : «à cause de la digue que l’usine a créée, nos champs ne sont plus arrosés correctement. Ce qui a négativement impacté nos productions», déplore-t-il.
M. Konaté et ses camarades ne sont pas les seuls à fustiger la situation. Il y a également les éleveurs. Car, la mare où s’abreuvait les troupeaux a disparu. Les animaux sont conduits à la berge du fleuve, à 5 km de Bakel. L’engagement pris par l’entreprise de faire des bassins de rétention n’est pas encore concrétisé. A quelques encablures de là, on aperçoit des montagnes de gravier au-dessus desquelles surplombent des concasseurs. Un grand bâtiment en tôle de couleur bleu jouxte le site. Ce matin de fin d’année 2018, les machines sont à l’arrêt au grand bonheur des habitants de Médina Carrefour.

La sécurité des élèves menacée
La proximité de l’usine avec l’école inquiète également plus d’un. Parents d’élèves et enseignants craignent pour la santé des enfants. Dès que les machines sont mises en marche, le ciel est recouvert de poussière nocive à la santé. «Chaque matin, nous sommes entourés de poussière. Cette pollution constitue un danger pour les élèves. A la longue, ça peut créer des complications pulmonaires. Le matin, à l’heure du petit déjeuner, on est submergé par une couche de poussière. L’environnement est malsain», a confié le directeur d’école, Moussa Traoré.
L’autre souci des responsables de l’établissement, c’est la sécurité de leurs potaches. En effet, les véhicules passent derrière l’école, qui attend toujours l’achèvement de son mur de clôture. Deux salles de classe, un abri provisoire, des blocs sanitaires de fortune, c’est le décor qui s’offre au visiteur. Donc, la soixantaine d’écoliers qui fréquente l’école n’est pas à l’abri d’accident de la circulation. D’ailleurs, selon le coordonnateur du Forum civil local, Alfousseynou Cissokho, un enfant a été mortellement fauché par un véhicule de l’entreprise. L’accident s’est produit vers le carrefour de Bakel il y a quelques années. Le bruit qui accompagne les va-et-vient des véhicules perturbe la concentration des élèves. A cela s’ajoutent les forts fracas des tirs de mines. Une enseignante raconte une anecdote. «Un jour, j’étais en salle avec mes élèves. Tout d’un coup, nous avons entendu une forte explosion. Je suis sorti en catastrophe, la peur au ventre, pour voir ce qui s’est passé. Et le bruit provenait des carrières.» Ces propos ont été corroborés par le chef de l’établissement qui fait savoir aussi que «des fois, il y a tellement d’explosions, que nous ressentions les secousses dans nos classes, les murs et les toitures tremblent, on dirait qu’ils veulent s’envoler».

Des engagements foulés au pied
Le Quotidien a obtenu une copie du compte rendu de l’audience publique relative à la procédure de validation de l’étude d’impact environnemental et social du projet tenue le 11 janvier 2011. La réunion a eu pour cadre la salle des fêtes de Bakel en présence, entre autres, du gouverneur adjoint, du préfet de Bakel, du sous-préfet de Moudéry, pour ne citer que ceux-là. A l’époque, Gabou, devenue commune rurale grâce à l’Acte 3 de la décentralisation, était une communauté rurale. Dans le document, le promoteur a assuré que l’entreprise prendra toutes les dispositions qui siéent pour éviter les émissions de poussière. La mise en place d’une barrière végétale afin de confiner les poussières au sein de l’exploitation a été annoncée. Cependant les témoignages des populations renseignent que cette promesse a été mise aux oubliettes par l’Entreprise Mapathé Ndiouck. D’après le maire de la commune de Gabou, Bocar Amady Sy, le promoteur avait pris plusieurs autres engagements. Il a cité le reboisement massif. Mais qu’en est-il exactement ? La réalité est tout à fait autre à Médina Carrefour et ses environs. «De cette audience, un certain nombre de recommandations avaient été prises par l’entreprise, notamment les retombées financières du projet pour la commune de Gabou, les mesures d’atténuation des émissions de poussière, les mesures pour favoriser les jeunes de la localité pour l’emploi, le désenclavement de la zone (piste de production, forage et construction de salles de classe, de bassins de rétention)», rappelle l’édile de la commune. Malheureusement, se désole-t-il, «ce jour, il n’y a aucun début d’exécution d’engagement. Ce qui constitue une violation flagrante des termes de la délibération du Conseil rural et des recommandations issues de l’audience publique». D’après toujours le maire, «aucune recommandation n’a été respectée. L’entreprise se barricade derrière une exonération de 20 ans qui a été signée par l’ancien régime (régime de Me Abdoulaye Wade) pour dire qu’elle ne fait absolument rien. Mais avec notre magistère, nous exigeons le respect des engagements». En ce sens, informe-t-il, les ministères de l’Environnement, des Mines, de l’Intérieur, même la présidence de la République, ainsi que le médiateur de la République ont été saisis. Mais cela n’a fait l’objet d’aucune suite. Ne baissant pas les bras, l’édile de Gabou dit avoir déposé une plainte, dont nous disposons une copie, auprès du procureur de Tambacounda contre l’entreprise Mapathé Ndiouck pour «occupation illégale de terrain appartenant à autrui, non-respect des recommandations issues de l’audience publique et violation des limites des dimensions affectées». Le Conseil municipal et l’ensemble des chefs de village pensent ainsi avoir été trahis par la société. Car, disent-ils, le Conseil rural de Gabou, en son temps à travers une délibération en date du 28 février 2011, n’avait affecté au promoteur que 500 ha. Mais selon le maire, Emn s’est «accaparée» d’une superficie de 1 000 ha. Dans la délibération, il a été aussi écrit noir sur blanc que le contrat liant les deux parties était renouvelable chaque trois ans. De 2011 à nos jours, regrette le maire, rien n’a été fait.
Alfousseynou Cissokho, ancien président du Conseil départemental de la jeunesse, qui avait assisté à l’audience publique, appelle les populations à la mobilisation pour dénoncer cette situation. Il estime qu’au-delà de l’Entreprise Mapathé Ndiouck, toutes les autres entreprises qui exercent dans la région doivent publier leurs contrats. En attendant, les populations de Médina Carrefour, laissées à elles-mêmes, continuent d’absorber la poussière en provenance des carrières.

Ousmane Cissé, directeur des Mines et de la géologie : «Nous sommes en train de procéder aux vérifications»
«Le maire nous a saisis par courrier. Nous sommes en train de procéder aux vérifications. On suit le dossier pour voir les tenants et les aboutissants. On demandera aux services régionaux d’aller s’enquérir de la situation sur le terrain. Le maire a soulevé des questions sur lesquelles on recevra l’avis de la société. Sur la base de tout ça, on verra ce qu’il faudra faire», a déclaré le directeur des Mines, Ousmane Cissé, joint par téléphone.
Du côté de l’Entreprise Mapathé Ndiouck, il nous est impossible d’avoir une réaction. Tous nos appels téléphoniques ainsi que messages Sms sont restés vains. Le responsable local joint par téléphone, notamment M. Ly, avait promis de nous revenir après avoir avisé la Direction générale. Mais jusqu’à présent, il n’a pas réagi. Nos tentatives d’avoir leur réaction via le numéro mentionné sur le site de l’entreprise sont également restées vaines.