L’exposition, 150 ans après, de 8 objets en cuir, en bois et en métal qu’on a fait venir de la France, des biens culturels pris au cours de la bataille coloniale de «Samba Sadio 1875», organisée du 23 octobre au 31 octobre 2025 dans la Cité du Rail, à l’initiative du Musée régional de Thiès, en collaboration avec l’association Alter Natives, est bien venue à son heure. Au moment où le Sénégal s’engage à recouvrir toute sa souveraineté, et pour ce faire, à ouvrir des chantiers mémoriels permettant à tout citoyen de connaître l’histoire de sa Nation.Par Cheikh CAMARA  – 

L’évènement présente l’histoire du contexte de l’acquisition d’un marteau, d’une bride avec son mors, de deux sacs à balles, de deux amulettes (l’une dépliée), d’un étui et d’une tablette coranique. Des objets qui, selon Emanuelle Cadet, présidente de l’association Alter Natives, ont été manifestement pris sur les cadavres de combattants tidianes et leurs montures. Au cœur de cette construction, se trouvent des jeunes concernés résidant au Sénégal et en France, qui ont enquêté et réfléchi ensemble au sens de cette histoire, ainsi qu’un consortium de trois musées, Musée de Dunkerque, Musée régional de Thiès et Musée du Crds de Saint-Louis, réunis par l’association Alter Natives.

A l’origine du projet
Au cours d’un projet socioculturel sur l’héritage controversé du Général Louis Faidherbe, l’association Alter Natives a identifié une collection particulière à Dunkerque. Il s’agit de huit biens pris sur le champ de bataille de Samba Sadio, qui opposait, le 11 février 1875, les troupes de Lat Dior, Damel du Cayor, et l’Armée française aux troupes du chef religieux tidiane Amadou Cheikhou Ba. Cet ensemble a été rapporté par le neveu du Général, Emile Faidherbe, qui a participé à cette bataille et en a fait don au Musée de Dunkerque, à son retour en France.
Après une première enquête sur place et une recherche historique dans les archives coloniales de France et du Sénégal, Alter Natives a invité, en mai 2024, le directeur du Musée régional de Thiès et le conservateur du Musée du Crds de Saint-Louis à venir observer la collection à Dunkerque, accueillis par les responsables du musée. L’idée de poursuivre l’enquête sur cet ensemble au Sénégal et de construire une exposition qui prendrait en compte les divers récits de cette histoire a semblé alors pertinente au consortium ainsi réuni.

Les enjeux
L’enjeu principal de cette initiative qui se prépare depuis un an et demi, est de faire connaître cette collection au Sénégal. Ces biens ayant été mal acquis, ils pourraient être réclamés par l’Etat sénégalais, à l’heure où la France programme le vote d’une loi cadre pour faciliter les restitutions de patrimoine de ce type. Mais la restitution matérielle des biens requiert en amont un travail sur l’histoire et le contexte de leur acquisition. Ce projet vise ainsi à éviter les écueils de la dernière restitution du sabre dit de El Hadj Omar Tall, qui n’avait pas été assez étudié. Il propose de travailler l’histoire à parts égales pour rééquilibrer les narratifs autour de cet événement et les partager au plus grand nombre. Au-delà de récits hagiographiques parfois antagonistes, de jeunes commissaires enquêtent pour construire une histoire commune au croisement de diverses sources confrontées.

Cette initiative inédite est aussi l’occasion de permettre à des musées en région de s’adapter aux normes internationales de conservation et d’exposition de biens patrimoniaux, par l’accompagnement en conservation préventive, par la sécurisation et par l’acquisition d’équipements muséographiques appropriés.

La collection
Le don de Emile Faidherbe comprend les 8 biens culturels suivants : «Une selle du Soudan, une planchette pour apprendre à lire le Coran aux enfants, un marteau, un portemonnaie renfermant un papier sur lequel sont inscrits les versets du Coran, un sac à balles (renfermant des balles et une pierre à fusil en silex), un collier d’amulettes de guerre, bride et mors du Soudan.» Le registre contemporain stipule aussi que ces éléments ont été «trouvés sur le champ de bataille de Boumdou, près de Coki, province du Diambourg Sénégal, donnés par M. Faidherbe, Capitaine et spahis sénégalais 1875».

Le contexte de l’acquisition des biens : il y a 150 ans à Samba Sadio
En 1875, la France contrôle une partie du Sénégal à partir de Saint-Louis, afin de permettre aux commerces coloniaux de prospérer. Mais elle fait face à plusieurs courants de résistance, notamment au djihad tidiane de Amadou Cheikhou Ba, qui veut étendre son influence sur les terres du Cayor dont il a chassé le Damel Lat Dior Ngoné Latyr Diop. Ce dernier crée une coalition avec Alboury Ndiaye, son lieutenant. La bataille de Samba Sadio a lieu le 11 février 1875, il y a 150 ans : elle opposa donc les forces françaises, dirigées par le Lieutenant-colonel Charles Begin et associées aux troupes de Lat Dior, à l’armée de Amadou Cheikhou Ba. Cette bataille se trouve bien documentée dans les archives coloniales et a été très relayée dans la presse à l’époque.
Sur place, il existe une mosquée dédiée à Amadou Cheikhou Ba, où ses descendants originaires de Wouro Madihyou commémorent sa disparition chaque 11 février. Par ailleurs, les habitants du village de Samba Sadio témoignent de la présence de balles et d’ossements régulièrement trouvés dans la zone. Le Lieutenant Emile Faidherbe s’est illustré au cours de cette bataille et rentra en France en août 1875 pour recevoir le grade de capitaine. Son arrivée a été mentionnée dans la presse lilloise. Son oncle résidait alors régulièrement dans sa maison de bord de mer à Dunkerque. Aussi, il est probable que ce soit à l’occasion d’une visite à ce dernier qu’il ait décidé de donner ces biens à la ville.

Les parties prenantes
Ce projet ambitieux implique un consortium comprenant les trois musées de Dunkerque, de Thiès et de Saint-Louis, et l’association Alter Natives, liés par une convention quadripartite.

D’autres structures prennent également part au comité de pilotage du projet, à savoir «la Direction du patrimoine culturel du Sénégal» ; «l’Ucad dont plusieurs historiens : Ibrahima Thioub, Daouda Diop, Souleymane Dia, Ibrahima Seck, Babacar Méthiour Ndiaye» ; «le Musée des Forces armées et la Commission sénégalaise d’histoire militaire» ; «l’Association des originaires de Wouro Mahdiyou» ; «l’Université de Lille représentée par l’historienne Isabelle Surun et l’université Paris 8 -impliquée par la présence de Emmanuelle Cadet».

Ecrire un récit commun
La démarche inclusive a nécessité un dispositif progressif de mobilisation. Au cœur de ce projet, se trouvent des jeunes accompagnés par l’équipe d’Alter Natives dans leur découverte des sources et leur enquête au Sénégal. Le groupe d’une quinzaine de personnes, âgées de 17 à 25 ans, est constitué de jeunes des villes de Thiès, notamment Wouro Mahdiyou, Thiénaba, Mboro, de Saint-Louis, Yang-Yang, de Dunkerque et Montreuil. Ces jeunes, mobilisés par diverses réunions préparatoires depuis janvier 2025, accompagnés par le comité de pilotage, se sont retrouvés en juillet 2025 au Sénégal pour 15 jours d’enquête et de conception de l’exposition.
Par ailleurs, des personnes ressources héritières de cette histoire ont été associées. «Du côté de l’histoire de Lat Dior, nous avons rencontré le porte-parole de l’Association des descendants de Lat Dior. Concernant l’héritage de Ahmadou Cheikhou Ba, nous avons échangé avec l’Association des originaires de Wouro Mahdiyou et le Khalife général de Thiénaba», remarquent les organisateurs. Des artisans spécialisés dans la sellerie et des sachants sur la théologie tidiane et la confection d’amulettes ont été consultés. Pour faire dialoguer des sources, les initiateurs se sont rendus dans divers lieux du Cayor (Thiénaba, Tilmakha, Dékheulé, Mékhé), à Saint-Louis, Yang-Yang, et sur le champ de bataille.

Réaliser une exposition de ces biens dans les musées de Thiès et Saint-Louis
La première étape a été une mission confiée à une conservatrice-restauratrice spécialiste de conservation préventive de collections ethnographiques africaines, afin d’établir un protocole concernant le transfert des biens de Dunkerque aux musées sénégalais et les modalités de leur accueil dans les deux musées (climat, sécurité, assurance, etc). Elle a été réalisée entre décembre 2024 et janvier 2025, afin de laisser le temps aux musées d’adapter leurs infrastructures à l’arrivée des biens, prévue début octobre 2025.
A l’occasion des premiers échanges, a été évoquée l’existence d’autres biens culturels détenus par des familles héritières de cette histoire. Aussi, pour valoriser ce patrimoine commun dans l’exposition, le comité de pilotage suggère qu’une collecte nationale d’autres biens culturels issus de la bataille soit lancée. L’exposition, présentée en wolof par médiation et en français -basée sur l’ensemble de ces sources-, se traduit par un parcours contenant la présentation de ces biens culturels sous vitrines, des panneaux explicatifs, une maquette de la bataille et des écrans présentant les extraits d’enquêtes filmées.
L’exposition, inaugurée le 23 octobre au Musée régional de Thiès, est ouverte au public jusqu’au 31 décembre 2025. Puis, elle rejoindra Saint-Louis afin de toucher un autre public, accueillie par le Musée du Centre de recherche et de documentation du Sénégal. Elle fera également l’objet d’un nouveau temps d’inauguration à Saint-Louis, programmé le 12 janvier et qui se prolongera jusqu’au 28 février 2026. Au cours de l’exposition, des temps de médiation seront proposés par les jeunes de Thiès, puis de Saint-Louis. Elle sera présentée à Dunkerque au printemps 2026.

Impliquer des moyens financiers pour y parvenir
Ce projet ambitieux d’exposition a été en première partie financé par le programme «Muslab : Coopération muséale innovante», porté par l’ambassade de France au Sénégal. Or, outre une contribution de la ville de Dunkerque et de l’Université de Lille, il nécessite des co-financements nationaux et locaux pour finaliser l’accompagnement de mise aux normes des musées, leur équipement, le transfert et l’assurance des biens culturels au cours de l’itinérance de l’exposition et sa production.

Valoriser l’expérience et penser au futur de ces biens
Cette exposition sera démontée en 2026 pour être remontée à Dunkerque, ce qui lui donnera également un écho en France. Un film sur l’expérience sera réalisé par Alter Natives. Une journée d’étude scientifique internationale en décembre se tiendra à Thiès, en partenariat avec l’Ucad. Des temps d’échanges publics au moment de l’inauguration seront aussi l’occasion de réfléchir à l’avenir de ces héritages culturels et de faire émerger des propositions dont pourront se saisir les Etats.
Par ailleurs, Alter Natives s’attache à poursuivre son enquête au Sénégal sur les biens collectés par le Gouverneur Faidherbe, conservés par le Musée d’histoire naturelle de Lille. L’expérience de l’exposition des biens culturels des musées de Dunkerque pourra conforter la possibilité, dans les années futures, de venir exposer également cette collection lilloise plus conséquente.
cheikh.camara@lequotidien.sn