Ses peintures rupestres évoquent ces temps d’il y a 40 000 ans où l’humanité gravait sur la pierre, les scènes de sa vie. Ces peintures rupestres sont désormais exposées dans les musées et elles inspirent le monde de l’art. Le Berger de l’île de Ngor est un de ces artistes dont l’œuvre rend hommage à ce monde disparu. Du 17 novembre 2023 au 20 mai 2024, l’œuvre de Abdoulaye Diallo, «Hommage à Frobenius 2», sera exposée au Musée de l’Homme à Paris aux côtés des œuvres de Jackson Pollock. Le thème de l’exposition : «De la Grotte au Musée : Réinventer l’art rupestre.»

Du 17 novembre 2023 au 20 mai 2024, une toile du Berger de l’île de Ngor, le peintre Abdoulaye Diallo, sera exposée au Musée de l’Homme à Paris Trocadéro. Cette œuvre, Hommage à Frobenius 2, fera partie de l’exposition nommée Prehistomania qui tourne autour du thème : «De la Grotte au Musée : Réinventer l’art rupestre.» «Un lieu bien choisi pour porter la réponse du Berger de l’île de Ngor à la question : Quelle humanité pour demain ?», se réjouissent l’artiste et son commissaire permanent, le Pr Magueye Kassé, qui faisaient face à la presse vendredi dernier. Leo Frobenius, ethnologue allemand de la première partie du 20e siècle est celui qui a consigné dans une collection, les 6000 peintures rupestres qui existaient dans le monde à son époque. Avant cela, seuls quelques privilégiés avaient accès à ces œuvres confinées dans des grottes.

Un tournant franchi par les arts rupestres, qui explique quelque part, l’hommage que l’artiste sénégalais lui a rendu à travers une série d’œuvres. «La présence de Abdoulaye Diallo a cette exposition, signe une reconnaissance de l’importance et de la portée de l’art, y compris voire avant tout, de l’Afrique», estime le Pr Kassé. Il poursuit : «Le Berger de l’île de Ngor, à la suite de Leo Frobenius, fait œuvre mémorielle et prospective en mettant en exergue le lien qui lie l’Afrique au reste du monde par l’art rupestre depuis des temps immémoriaux, en Algérie, en Erythrée, au Soudan, en Afrique du Sud, au Botswana, au Lesotho, au Mozambique, en Namibie, en Zambie ou en Libye grâce aux découvertes de Leo Frobenius.»

Parenté entre peintures rupestres et art africain
Professeur à la Sorbonne, Jean-Louis Gorget sera un des commissaires de l’exposition. Pour lui, il y a une évidente parenté entre art rupestre et création africaine. Et dans cette exposition, l’œuvre de Abdoulaye Diallo sera exposée aux côtés de grands artistes comme Jackson Pollock, Klee, Arp, Lam et Graca Morais. Evoquant Pollock, Pr Kassé souligne que tout comme le Berger, il affectionne dans sa technique, le déversement et la projection de la peinture. «Il y a des similitudes et des échos entre l’œuvre de Pollock et celle de Abdoulaye Diallo. Comme par exemple cette technique du jeté, cette manière de voir comment une œuvre peut prendre corps de façon presque naturelle. On jette la peinture, on oublie, on lui tourne le dos et après, on regarde le jour suivant ce qu’elle est devenue, comment elle a pris forme par elle-même et comment cette forme va susciter le geste créateur de l’artiste. Et on peut dire que c’est aussi un peu le principe des œuvres de la préhistoire puisque dans la peinture rupestre, la paroi joue un rôle très important», souligne le Pr Georget. «Abdoulaye Diallo continue en quelque sorte, à travers ses œuvres sur la peinture rupestre, une tradition qui s’étend finalement de la préhistoire jusqu’à aujourd’hui. Il réinterprète ces œuvres et d’une certaine manière, il les réintègre dans sa propre production et sa propre création artistique», poursuit le Pr Gorget.

«Prehistomania»
L’exposition du Musée de l’Homme sera structurée en plusieurs mouvements. Tout d’abord, il s’agira d’évoquer ce choc esthétique produit par les peintures rupestres sur le public européen. Dès les années 30, ces peintures sont en effet exposées dans les musées. Ensuite, l’exposition mettra l’accent sur l’universalité de cet art rupestre que la France a patrimonialisé en quelque sorte, à travers les grottes de Lascaux et Chauvet. «On veut montrer que cela ne se limite pas à ça, mais que c’est partout dans le monde qu’on trouve ces peintures qui n’ont pas d’artistes et qui ont 40 000 ans d’âge», explique le Pr Georget. Ensuite, les expéditions qui ont permis de relever cet art rupestre et de le faire découvrir au monde, seront bien représentées dans l’exposition. «Il y a beaucoup de femmes parmi les gens qui vont reproduire ces peintures rupestres et nous leur accordons une grande place et on expose aussi leur biographie. Elles vont aussi développer leurs propres styles dans ces relevés. On a voulu singulariser ces relevés et dire que ce ne sont pas seulement des copies mais des œuvres originales aussi.» La dernière partie de l’exposition sera elle, consacrée aux continuateurs. «Maintenant les relevés sont faits avec des appareils très modernes, mais malgré tout, l’interprétation est très personnelle et c’est la part artistique. Il y a des artistes comme Abdoulaye Diallo qui ont compris ça et ont continué de façon artistique ce qu’ont fait leurs prédécesseurs», souligne l’enseignant français. Sur les murs du Penc 1.9, situé sur l’île de Ngor, Abdoulaye Diallo peint et expose plusieurs œuvres d’inspiration rupestre. Il estime que si on avait entendu les auteurs de ces peintures, qui peignaient, avec une générosité particulière, des scènes de musique et d’abondance, on ne connaîtrait pas de changements climatiques. Dans quelques années, l’exposition du Musée de l’Homme pourrait prendre le large en direction du Musée d’art moderne de New York (Moma), une façon de faire revivre la première exposition de 1937 à laquelle les œuvres de Pollock avaient donné une consonance particulière.
Par Mame W. THIOUBOU mamewoury@lequotidien.sn