Exposition – Du «Monde En Partage» à la galerie Le Manège : Le graffiti quitte la rue

C’est un pas de plus vers la reconnaissance. Pour la première fois, le graffiti, qui souffre d’un déficit d’image au Sénégal, quitte la rue pour la très sélecte galerie Le Manège de l’Institut français de Dakar. Aïcha, Aïda, Max, Pape, Kalamusto et Arona y exposent leurs visions du monde. Par Malick GAYE –
Plus de 8 milliards d’humains peuplent la terre. C’est autant d’hommes et de femmes différents. Pour autant, cette différence devrait être une opportunité plus qu’autre chose. C’est en résumé ce que Monde En Partage offre comme ciment d’un monde uni dans la différence. L’exposition collective de ces 6 jeunes artistes ne dure que 3 jours à la galerie Le Manège de l’Institut français de Dakar. C’est le résultat d’une résidence artistique de 4 jours sous la direction de la première femme à faire du graffiti en Afrique de l’Ouest. A l’entrée de la galerie, le visiteur ne peut déplacer son regard du mur où des dizaines de postiches ornent le décor. Des figures mathématiques en passant par des citations philosophiques, sans oublier les poèmes, donnent un avant goût de ce qui attend le visiteur. Des toiles exposées, le graffiti n’est jamais loin, pour ne pas dire qu’il est omniprésent. C’est le fil qui peint des univers parallèles sur différentes toiles et des objets revisités. Ainsi Aïcha, Aïda, Max, Pape, Kalamusto et Arona partagent leurs visions du «Partage». L’œuvre qui épouse le plus ce thème, c’est la Trilogie de l’artiste Torodo. Dans cette œuvre, Aïcha, informaticienne de formation, expose le visage de l’Afrique de demain. Elle donne à voir le visage d’une Africaine. Aïcha fait le pari d’exposer la culture africaine tout en soulignant la nécessité de s’ouvrir à la modernité. De la transmission entre l’ancien et le jeune à la connexion mère-enfant, l’artiste se fait un point d’honneur à magnifier la relation humaine. «On ne peut pas ne pas s’ouvrir à la modernité. Mais cette ouverture ne peut se faire qu’à travers un enracinement culturel», souligne-t-elle. Même si les éléments des réseaux sociaux sont présents sur son œuvre, elle demeure convaincue que ces outils ne sont l’apanage d’aucun peuple. «Seulement, il faut savoir comment s’y prendre», souligne-t-elle. Naturellement, elle conseille de se référer à la culture africaine pour affirmer sa modernité. «Etre Africain ne peut nous empêcher d’être moderne», a-t-elle affirmé, tout en appelant la jeunesse à construire l’Africain de demain.
Non loin de la trilogie, le graffiti reprend ses lettres de noblesse. C’est un mur blanc qui accueille les visiteurs. Tout le matériel y est soigneusement posé. L’objectif est de pousser le visiteur à participer à une œuvre qui, au final, sera collective. Mais en filigrane, cette œuvre collective vise à déconstruire l’image «street» de cet art qui ne se présente plus dans le monde. Par ailleurs, c’est cela que Max souhaite de tous ses vœux. Professeur d’art, sorti de l’Ecole nationale des arts, ce plasticien expose La jeunesse de la paix. C’est une femme africaine calfeutrée dans une robe débordante en wax, le tout orné par les couleurs de l’espoir et de la paix. La femme tient de la main gauche un enfant et de la droite, un livre où elle a inscrit ses douleurs les plus profondes. Une troisième main s’échappe dans la posture de la femme que l’auteur veut «invisible». «C’est tout ce que nos mères ont accompli sans tambour ni trompette. C’est l’une des beautés de l’Afrique. La femme porte ce continent. Et c’est un motif de fierté. C’est ce que j’ai voulu partager avec le public», a expliqué Marcel Gomis. Pour lui, une vision afro-futuriste devrait gouverner le monde. «On note une ruée vers l’Afrique. Ce ne sont pas que les Occidentaux. Tout le monde vient en Afrique pour ses richesses. Qu’ils sachent que désormais, il y a une jeunesse instruite et de plus en plus consciente des enjeux de ce monde. Cela ne veut pas dire un repli sur soi. Bien au contraire, nous sommes disposés à accueillir le monde, mais ça ne sera pas comme dans le passé. Et cela est certain», a-t-il informé.
La majorité des tableaux opposés sont réalisés à base de spray et de lavi qui est une technique utilisée dans l’art plastique. Derrière ce mélange, se cache un message : c’est le graffiti qui quitte la rue pour entrer dans les milieux sélects. Bien que dans le monde, le street-art s’est déjà déshabillé de cette image d’art de second plan, au Sénégal, le mouvement peine à faire son trou. De manière générale, le graffiti est considéré comme une activité qu’ont les jeunes rappeurs. Et pour se débarrasser de cette image, l’exposition dans les musées et autres galeries bien fréquentées est un excellent moyen pour y parvenir. A l’aune de la célébration des 50 ans du mouvement hip-hop, le street art sénégalais commence à gagner la place qui lui revient de droit. Et c’est de bon augure pour la suite.
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