Les Céramiques des Almadies accueillent présentement une exposition intitulée «Lamb». Inaugurée ce jeudi, elle renferme une quarantaine de toiles peintes par Barkinado Bocoum et Didier Payerne. Les deux artistes proposent chacun sa vision de la lutte sénégalaise avec son alliage particulier de force physique et de puissance mystique.

Door, mbotty, safara, wathié, gal-gal… Dans l’exposition qui réunit Barkinado Bocoum et Didier Payerne et qui se tient actuellement aux Céramiques des Almadies, on retrouve tout le champ lexical de la lutte sénégalaise. Intitulée Lamb, elle jette un curieux regard sur la lutte qui, au Sénégal, est aujourd’hui un sport national. Née dans la campagne et pratiquée par des villageois qui devenaient les dieux d’un jour, la lutte se tenait dans des terrains vagues, transformés en champ de bataille, et tous les habitants du village y assistaient. Elle était alors traditionnelle (mbapatt). Amenée en ville, elle est regardée par des milliers de gens dans des stades ou à la télévision. Corrompu et envahi par l’argent, ce sport national devient un phénomène : réussite, drame… et s’est modernisé, devenant «la lutte avec frappe», tout en gardant son patrimoine de traditions, de couleurs, de magie et de maraboutage. Pourtant, «c’est tout cela qui fait de la lutte encore un spectacle vivant» aux yeux du galeriste et commissaire d’exposition, Maoro Petroni. C’est lui qui accueille l’exposition Lamb dans sa galerie.
Didier Payerne reste pour sa part très fasciné par ce sport. Pour ce Français, installé au Sénégal depuis 2009, la lutte sénégalaise n’a plus aucun secret. Sous son crayon ou encore son pinceau, le lutteur apparaît comme un demi-dieu. «Je me suis intéressé à la lutte. D’abord, parce que la lutte c’est inévitable au Sénégal. Après, je me suis mis à acheter le journal Sunu Lamb avec des explications et des interviews de lutteurs. Et puis dans la lutte, je me suis rendu compte peu à peu qu’il y avait à la fois de la force physique et du mystique. C’est ce mélange de force physique, un peu brutal et de mystique qui me fascine dans la lutte. Cet engouement et tout ce qu’il y a autour de la lutte, les safara, les terrés, le thioumoukaye, le folklore. Je suis allé dans les combats, j’ai vu Yékini, Tyson, Bombar­dier… Et là aussi, ce qui était intéressant c’est qu’un combat c’est très court, mais on reste 2h, 3h dans l’arène et on ne s’ennuie pas. Il se passe tellement de choses», explique l’artiste.
Mêlant différentes techniques : dessins aquarelle sur enduit sous-verre, acrylique sur toile, cire de bougie et enduit sous-verre, gouache et dessins sur papier marouflé sous-verre, Didier Payerne trace également des croquis de son lutteur préféré, Yékini, tout comme celui de Balla Gaye et bien d’autres lutteurs. Ses toiles qui sont pour la plupart des portraits de lutteur debout et sans visage mettent en exergue leur gabarit ainsi que leurs parures. Sur ses œuvres, cet artiste fait vivre parfois l’ambiance qui règne dans l’arène les jours de combat. Avec son crayon blanc, il retrace aussi les piques que se lancent les lutteurs : «Dama xiif door… S’il plaît à Dieu inchallah vous allez voir de quel bois je me chauffe. Ça ne sera pas facile pour lui…»

La signature d’une fierté sénégalaise
Dans cette exposition intitulée Lamb, les toiles de Barkinado Bocoum sont plus colorées. Usant d’une technique mixte sous-verre, ou d’une technique mixte sur toile, ce peintre bien plus expérimenté que Didier Payerne laisse éclore à travers ses tableaux sa démarche et son style artistique unique. Il réalise toujours des toiles très colorées et un accent particulier est mis sur les carrés. «Il a fallu juste que j’adapte le thème de la lutte à ma démarche artistique, mais ce qui m’intéresse dans la lutte, ce n’est pas le lutteur avec ses gris-gris et autres, c’est toutes les couleurs, l’ambiance, le bruit, toute cette folle énergie qui se dégage. Et bien entendu, les mouvements dans les contacts, les combats qui ne sont pas seulement statiques», renseigne-t-il. A travers ses toiles, Barkinado Bocoum est pris dans le mouvement tout comme les lutteurs, il décompose, déforme ses lignes, jette une panoplie de couleurs. Avec ses contours très prononcés, le peintre fait apparaître sous son pinceau la foule qui devient un élément fondamental du décor. Et de son point de vue, c’est ce qui rend son travail intéressant. «Il permet au visiteur d’avoir un autre point de vue par rapport à la toile.»
Au-delà de toute lecture subjective que l’on peut avoir, Barkinado Bocoum invite surtout le public à surpasser ce thème de la lutte et à sortir de l’arène. «Je n’ai pas voulu me limiter uniquement à ce qui se passe dans l’arène. J’ai voulu aussi montrer ce qui se passe dans nos vies. Pour moi, la lutte va au-delà de l’arène. On est en perpétuelle lutte. Que ce soit dans notre entourage, avec notre propre personnalité. On fait de la lutte chaque jour que l’on se réveille», dit-il. En ce sens, les inscriptions qui accompagnent ses toiles sont aussi évocatrices. Il mentionne : «Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu», «Ce n’est pas la victoire qui rend l’homme plus beau, c’est le combat », «On n’envoie pas au combat ceux qui craignent plus les coups que les déshonneurs»… En somme, Barkinado reste convaincu que ce qui fait la beauté de l’homme n’est pas la victoire, mais la manière de combattre. La force réside donc dans le combat.

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