C’est à Gorée que tout vient chuter. Gorée, comme un symbole, ouvre son musée à 300 000 ans de présence humaine. 300 000 ans disséminés dans la vallée de la Falémé. 300 000 ans exhumés après 12 ans de recherches. Par Moussa Seck –

C’est une perle bleue. Sans doute, on lui aurait prêté une parenté avec l’eau de la même couleur de la mer de Gorée. Exposée, derrière un verre, à un cri des vagues. Pourtant, elle vient de loin. Elle n’a pas été «pêchée» au large de l’île. Elle a été déterrée au Sénégal oriental. Elle vient de la vallée de la Falémé. Elle, et les autres pièces placées dans la salle 13 du Musée historique de Gorée. Déterrée, la pierre, et non pêchée et qui, malgré tout, peut servir dans la reconstitution des séquences d’une histoire de voies d’eau, de terre, d’échanges entre cette portion orientale du Sénégal, cet espace ouest-africain et d’autres parties du monde. La salle d’exposition se pare d’affiches, et l’une d’elles dit ceci : «Le modèle d’évolution des échanges à longue distance en Afrique subsaharienne propose l’intensification des réseaux transsahariens suite à la conquête arabe de l’Afrique du Nord, aux changements d’influence dans les transactions commerciales et à l’expansion des empires médiévaux sahéliens ouest-africains entre les 8e et 15e siècles CE (Ere commune), pour voir ensuite le déclin de ces réseaux terrestres au profit des échanges maritimes et la mise en place du commerce atlantique avec l’établissement de comptoirs commerciaux côtiers européens dès le 15ème siècle CE.» Ce sont douze ans de recherches qui parlent ainsi. Douze ans qui disent, aussi : «L’analyse chimique des 17 perles retrouvées à Dourou-Boro (7ème-9ème s. CE) et Sadia (11ème-12ème s. CE) au Mali, et à Djoutoubaya (10ème-13ème s. CE) au Sénégal, identifie comme origine probable des verres, le Proche et le Moyen-Orient, ainsi que l’Asie du Sud ou la Péninsule ibérique. De plus, ces compositions correspondent à celles des perles retrouvées sur les autres sites ouest-africains contemporains, indiquant l’existence de réseaux d’échange intra-africains à courte et moyenne distances pour distribuer les biens de prestige issus d’importations à longue distance à travers le Sahara.»

Ainsi, à partir d’une pierre qui tient timidement dans une paume, on embarque dans une excursion archéologique, historique, qui redessine une carte assez large pour connecter Asie et Afrique, Moyen-Orient et Falémé. «Falémé, 12 ans de recherches archéologiques au Sénégal oriental» n’a pas que connecté des zones via des artefacts. Les résultats repoussent les traces d’occupation humaine de la vallée de 300 000 ans. Trois-cents fois mille ans !

Prochaine étape, Niokolo Koba
Enthousiasmé, M. Matar Ndiaye : «ces découvertes honorent le Sénégal», dans le sens où notre pays se voit classé parmi ceux où on retrouve de très anciens peuplements (précision : Falémé ne livre pas d’ossements pour le moment). Enthousiasmé, le chef du Département des sciences humaines de l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan), d’autant plus que ces résultats témoignent d’une chose : continuité. En dehors du Sénégal, explique-t-il, le plus ancien site est localisé plus au Nord, au Maroc. Jabel Lhroud, selon ce qu’en dit Matar Ndiaye, affiche 25 000 ans de plus que ce qui est daté au Sénégal. Con­séquence : «Il y a une continuité du peuplement humain en Afrique. Et, cela, depuis le Sahara jusqu’à la zone sahélienne.» Plusieurs phénomènes climatiques et environnementaux, «tout à fait confortables», ont rendu possible cette continuité. «Mais, cela s’est fait aussi grâce à la présence d’un cours d’eau qu’on appelle le fleuve Falémé.» Cette zone a été soupçonnée, par les chercheurs, d’être un point de synthèse qui avait beaucoup à révéler. Et qui a révélé au-delà des attentes. L’adjectif «surprenant» et le substantif «chance» apparaissent et réapparaissent dans les prises de parole des scientifiques qui faisaient faire le tour de la treizième salle du musée qui trône sur Gorée. «L’archéologue a besoin de chance, et la chance était de trouver ces sites archéologiques qui représentaient des outillages de l’Homme sur toutes les périodes.» «Une chance exceptionnelle», sous les yeux de tous ceux présents ce lundi 29 janvier à Gorée et tous ceux qui contempleront l’exposition du 30 janvier au 30 avril 2024 : «Une grande première sur le continent africain, en tous cas pour l’Afrique de l’Ouest, ce sont des sites de la période acheuléenne, qui sont en cours de datation, mais on sait qu’ils sont au-delà de 300 000 ans.» Lesdits sites, dit le Pr Eric Huysecom (Laboratoire ar­chéologie et anthropologie -Arcan, Université de Genève), ont donné des centaines d’outils. Derrière du verre, on aperçoit de la pierre ! Que de la pierre taillée dans l’œil du profane ! Mais le scientifique soutient que ces pierres sont uniques. Les outils qu’on trouvait au Cameroun, au Nigeria, au Tchad, au Mali ont d’une façon ou d’une autre été altérés. Ceux de la période acheuléenne livrés par la Falémé sont comme ils ont été laissés il y a 300 000 ans. Ce n’est donc pas de la vulgaire pierre taillée, mais un document sur lequel se lit quelque chose, comme dit l’autre, d’unique. D’autres artefacts, aussi uniques les uns que les autres, attendent à Gorée, point de chute d’au moins 300 000 ans de peuplement et de 12 ans de fouilles.

Des fouilles qui ont regroupé plusieurs nationalités, plusieurs spécialités. Fouilles qui ne vont pas s’arrêter à la vallée de la Falémé. Le Parc national de Niokolo Koba sera investi à partir de l’an prochain, et pour 10 ans, a annoncé M. Matar Ndiaye. Dans le même esprit, avec les mêmes chercheurs, les mêmes laboratoires, les mêmes partenaires financiers. Et, peut-être, le même musée abritera dans une décennie une cérémonie similaire à celle de 2024.