«Elikia», c’est le nom de l’exposition éphémère que Sarah-Paul a installée vendredi dernier sur les deux voies de Scat Urbam. Artiste plasticienne d’origine congolaise, Sarah-Paul livre ici une œuvre profondément personnelle. L’objectif, selon elle, «rendre visibles des récits souvent oubliés».Par Ousmane SOW – 

Vendredi dernier, sur les deux voies de Scat Urbam, l’art s’est déployé à ciel ouvert. Pas dans un musée, ni dans une galerie, mais sur la place publique. L’exposition Elikia, un mot qui signifie espoir en lingala, portée par Sarah-Paul, artiste plasticienne, explore les enjeux de reconstruction individuelle et collective à travers une série de toiles et des installations participatives. «Ici, l’art agit comme un catalyseur d’une transformation sociale, en particulier dans le contexte marqué par les violences, ruptures et luttes de la population», explique l’artiste d’origine congolaise, installée à Dakar depuis deux ans. Suspendues à la manière du linge, les œuvres de Sarah-Paul flottent dans l’air, interpellant passants et habitués, jeunes et anciens. «J’ai voulu que cette exposition Elikia soit dans la rue pour rendre hommage aux pays en guerre, aux vies suspendues, à ces personnes dont l’espoir, l’envie de rire, l’innocence ont été arrachés. L’Afrique est actuellement en guerre. Je ne ferai pas la politique ce soir, mais j’ai voulu apporter de l’espoir dans la rue pour guérir», confie l’artiste.

En effet, l’exposition s’articule autour d’un labyrinthe de tresses, métaphore des détours de la vie, des liens invisibles qui se tissent entre blessures et renaissances. Le papillon, motif central du parcours, incarne une légèreté retrouvée, une transformation nécessaire. «Moi, si ça me réconforte, si ça me guérit, ça peut aussi guérir une autre personne», souffle Sarah-Paul. Fascinée par le cinéma, le maquillage et les effets spéciaux, Sarah-Paul est une survivante. Elle porte en elle les fêlures d’un passé familial lourd, les ruptures, les douleurs silencieuses. «Cette exposition parle de moi. Je quitte mon pays pour venir me chercher à Dakar. Je n’ai pas de famille, je n’ai pas de parents. Et c’est difficile. Avant même cette exposition, j’ai été virée de mon boulot. Et je me demande, qu’est-ce que je vais faire ? » Alors, face au vide, elle a répondu par l’art. «Il fallait que j’aie de l’espoir, que j’aie la foi. Et je dis, mais j’ai de l’art en fait. Parce que je me sers de l’art pour dénoncer, pour pointer du doigt, pour mettre à nu ce que les gens n’arrivent pas à dire. Et j’ai fait Elikia», a-t-elle fait savoir.
Formée à l’école de peinture de Potopoto à Brazzaville, puis passée par les ateliers Sahm créés par Bill Kouelany dans la capitale congolaise, Sarah-Paul n’entre dans aucune case. Sa pratique est hybride, volontairement brute. «Moi, je ne fais pas mes œuvres pour plaire. Je ne fais pas du beau. Mais je veux juste que les gens voient le monde d’une autre façon, à la Sarah-Paul en fait. Et ils m’acceptent telle que je suis, avec mes défauts, avec tout ce que je vis, mes pleurs», ajoute-t-elle, assumant ses choix techniques : acrylique, huile, Posca, fusain. Bref, sur toile, tissu ou papier, Sarah-Paul utilise tout ce qu’elle peut trouver. «Je n’ai pas vraiment une technique précise. C’est une technique mixte», précise-t-elle.

De l’espoir, encore de l’espoir
Cette exposition dont la curatrice est Urielle Kouk, également originaire du Congo-Brazzaville, traduit un besoin de reconnaissance, un désir d’espoir et une volonté de s’extraire de l’atrocité par la création. Et au lieu que ce soit le public qui vienne dans une salle d’exposition, l’artiste a voulu déplacer l’expo et l’emmener vers le public. «Et vu que c’est une place publique très fréquentée par différentes personnes de différentes tranches d’âge, allant des plus jeunes aux plus vieux, c’était assez bien de jouer avec ça, et l’expo a touché quand même beaucoup de personnes», explique la commissaire Urielle Kouk. Evidemment, son souhait ? «Que chacun reparte d’ici avec un peu d’espoir dans les poches, comme ce papillon qui s’envole d’une main ouverte. Elikia, c’est croire encore, même au milieu des klaxons, de la fatigue. Croire que tout peut encore fleurir», a-t-elle laissé entendre.
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