Pr Fall, quel regard portez-vous sur la manifestation du 8 juin et comment voyez-vous celles qui sont annoncées ?
On constate aujourd’hui dans cette tension politique aiguë que, malgré tout, l’Etat de démocratie demeure dans notre pays. Je me réjouis que le Préfet de Dakar ait autorisé la manifestation organisée par une grande majorité de l’opposition. Et surtout que cette manifestation se soit déroulée pacifiquement. C’est la démocratie sénégalaise qui s’exprime ainsi, car le droit de se réunir et de manifester pour des revendications politiques et sociales fait partie de la liberté d’expression, un droit fondamental en démocratie. Le Sénégal ne peut pas faire moins, surtout en cette période-ci où l’image, le nom, les actions, les discours du Président Sall, également président de l’Union africaine, sont observés, analysés et appréciés partout dans le monde. Le Sénégal vit un moment de visibilité positive dans un monde aujourd’hui très complexe et marqué d’instabilités dans plusieurs pays. Et nous gagnons tous au Sénégal à fructifier cette image positive. Nous risquons prochainement de vivre une avalanche, une spirale de manifestations. Déjà, il se dit qu’il y aura une autre manifestation de l’opposition vendredi prochain. Et il est certain que la coalition Benno ne sera pas en reste.
Est-ce que cela ne devrait pas être la règle : autoriser les manifestations pacifiques ?
Je vois une urgence. Elle consiste à davantage asseoir, dans notre pays, la culture de la liberté démocratique de manifester. Et l’appropriation de cet ethos démocratique ne consiste pas seulement à être dans les rues, dans les meetings, discourir et scander des critiques. C’est cela mais bien plus. Il s’agit d’une culture, d’un savoir-être et faire à manifester pacifiquement, de le réaliser dans le cadre de ce que les lois autorisent. Car il y a des limites dans l’expression de la liberté de manifester. Des droits et limites encadrent la période pré-manifestation, la période durant la manifestation et la période post-manifestation, c’est-à-dire la gestion de la fin de la manifestation. Il est impératif que les organisateurs puissent garantir les conditions d’une manifestation pacifique et aussi que les services de protection de la sécurité et de l’ordre publics soient dans les dispositions maximales pour aider à garantir le déroulement pacifique.
On entend souvent dire que nul n’est censé ignorer la loi. On sait tous que cet énoncé est une fiction juridique. Il revient aux services et acteurs compétents d’aider à l’accessibilité et l’intelligence de la loi. La liberté de manifester est une catégorie juridique, politique, éthique et sociale. Elle fait partie de ces référents sociaux discursifs souvent brandis pour réclamer des droits et il est alors impératif d’en opérer une clarification conceptuelle accessible qui fasse comprendre aux citoyens, à tous les niveaux, ce qu’elle autorise et ce qu’elle n’autorise pas. Ce que l’Etat ne peut refuser, mais aussi ce que les leaders politiques et leurs militants ne peuvent pas faire, ne peuvent pas dire.
Parmi les multiples référents sociaux discursifs politiques que nous analysons, nous tenons compte de la notion de la liberté d’expression dont une de ses déclinaisons, qui est la liberté de réunion et de manifestation. Il ressort de nos analyses que l’extension de ce droit ainsi que ses conditions d’utilisation et ses limites sont très peu connues de ceux qui sont appelés à battre le macadam. Et c’est lorsque le flou conceptuel, l’ignorance des droits et de leurs limites existent que les portes sont ouvertes aux dérapages mais aussi au populisme et à la manipulation des esprits. Je reviens à ce que j’ai nommé la spirale des manipulations pour appeler les autorités politiques, les partis politiques, les syndicats, les acteurs politiques et associatifs à un devoir de vigilance aujourd’hui et il passe par une véritable pédagogie d’information, de sensibilisation à la culture démocratique et pacifiste de la liberté de manifestation.
Il y a eu dernièrement des événements tragiques à l’hôpital de Tivaouane. Que pensez-vous de ce drame ?
La douleur de toutes les familles, de tous les Sénégalais a été intensément la mienne. Et j’ai exprimé ma solidarité. «Plus jamais ça ou Jamais plus ça», a-t-on entendu souvent. Nous avons tous appelé à un devoir de mémoire. C’est-à-dire de ne jamais oublier cette horreur.
Mais ce que nous devons savoir, c’est que le devoir de mémoire est surtout un devoir d’action. Se souvenir, c’est une convocation de tous les instants pour demeurer conscients que quelque chose de fort, positif ou négatif, a eu lieu quelque part et que toutes nos actions doivent contribuer dorénavant à mieux faire. Dans ce que sera le nouvel hôpital de Tivaouane, un monument significatif et visible de commémoration doit être intégré pour rappeler ce qui fut et ne doit plus être.
Par Bocar Sakho – bsakho@lequotidien.sn