Au sein d’une Assemblée nationale totalement dominée par Pastef, l’opposition essaie de faire entendre sa voix à travers Aïssata Tall Sall et Thierno Alassane Sall, qui tentent de s’ériger en contre-pouvoir. Mais, les haies sont nombreuses pour arriver à incarner une forme d’alternative au régime dans cet Hémicycle.Par B. SAKHO – 

Après les résultats de la Présidentielle du 24 mars 2024 et des Législatives du 17 novembre 2024, l’ordre politique a complètement changé dans ce pays. Alors que l’actuel parti au pouvoir et ses associés se représentent la politique comme un grand échiquier, où des blocs amis et des blocs hostiles cherchent à obtenir un avantage, l’opposition se retrouve dans un grand jeu de Monopoly, où de multiples rivaux luttent pour leur existence. En menant des luttes communes dans certains dossiers, l’opposition parlementaire montre que les ententes ne doivent pas reposer sur des fantasmes idéalistes ou idéologiques, mais sur des alliances pragmatiques, pour offrir une alternative à Diomaye-Sonko. Avec le triomphe de Pastef, supervisé pour le compte de la majorité par Ousmane Sonko, l’Assemblée nationale a complètement changé de visage. Et de pratiques ? C’est une autre histoire.

ATS, muse de Takku
Aujourd’hui, l’alarmisme surjoué ou non de Takku Wallu et des députés non inscrits est amplifié par Aïssata Tall Sall et Thierno Alassane Sall, qui incarnent une forme de résistance dans l’Hémicycle. L’ex-ministre de la Justice, qui dirige l’unique groupe parlementaire de l’opposition, est devenue une sorte de muse, une voix dissonante au sein d’une Assemblée nationale totalement dominée par Pastef avec ses 130 députés. Avec son bagout d’avocate, avec plus de 30 ans de barreau, ministre des Affaires étrangères et de la Justice sous le régime Sall, l’ancienne maire de Podor fait l’unanimité pour occuper le poste de présidente du Groupe parlementaire Takku Wallu Senegaal. Macky Sall ne s’est pas trompé en portant son choix sur elle alors que le député Abdou Mbow dirigeait le Benno bokk yaakaar, qui avait plus de moyens. Mais, elle a le «matos» pour surnager dans cette Assemblée aux couleurs de Pastef. Cette expérience étatique, couplée à son savoir-faire judiciaire, permet à Me Sall de sortir son épingle du jeu. Lors de la levée de l’immunité parlementaire de Farba Ngom et du vote du projet de loi portant interprétation de la loi d’amnistie, Aïssata Tall Sall a remis sa robe d’avocate pour faire une plaidoirie, qui rappelle ses heures devant les prétoires. Bien sûr, il s’agit d’une existence parlementaire qui permet au groupe d’entretenir une version réchauffée de la théorie d’une opposition républicaine servie aux populations.

TAS d’engagement
Au même titre que Thierno Alassane Sall ? Le président de la République des valeurs, qui a opté pour être un député non inscrit, reste dans le sillage de son dernier mandat. Depuis le début de la 15ème Législature, il a revêtu le costume de l’opposant pour dénoncer les «dérives» du régime Pastef. Au sein de l’Hémicycle, sa voix porte haut pour faire des critiques sur la bonne gouvernance et le «non-respect» de la rupture promise par le tandem de l’Exécutif. Il a tenté de parrainer la loi portant sur l’abrogation de l’amnistie du 13 mars 2024 en déposant son projet sur la table de l’Assemblée nationale. Elle a été retoquée par Pastef qui a préféré soumettre, par le biais du député Amadou Bâ, une interprétation votée finalement le 2 avril dernier.

Passablement agacé par la tournure des évènements, le président de la République des valeurs a remis son écharpe parlementaire pour continuer à s’écharper avec le pouvoir. ATS et TAS dirigent la fronde en cours en annonçant le boycott de la prochaine plénière prévue le 14 avril, avec la venue du Premier ministre, et le recours en annulation de la loi interprétative devant le Conseil constitutionnel. TAS enrage : «L’opposition a donc décidé de boycotter les travaux initialement prévus demain. Par respect pour nos électeurs et l’opinion nationale, nous tenons cette séance d’information afin que nul n’en ignore le sens et le bien-fondé. Que se passe-t-il à l’Assemblée nationale pour que nous en arrivions là ? Deux raisons, aussi graves l’une que l’autre, motivent ce boycott. La première réside dans les violations répétées et délibérées du Règlement intérieur par la majorité, sous l’impulsion du président de l’institution, qui agit comme s’il était le président du Groupe parlementaire Pastef.»

Aujourd’hui, c’est un Sall «couple» qui tente de réanimer l’opposition, dans le coma depuis la déroute du 24 mars, au sein d’une Assemblée fortement sonkorisée. A 4 ans des grandes échéances politiques, personne ne pourra estimer les futurs dividendes électoraux. Qui sait ?
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