Il s’était trouvé que lorsque j’avais publié une chronique intitulée «Des recalés n’ont pas droit à la parole», pour revenir sur l’audience que le président de la République, Macky Sall avait accordée à la ligue d’une quarantaine de recalés par le filtre du parrainage au niveau du Conseil constitutionnel, certains d’entre eux avaient envoyé leurs sbires ou s’affichaient eux-mêmes à visage découvert pour apporter la réplique. Certains ne se sont pas gênés pour pondre de longs courriels sur leurs états de service, leurs «rôles majeurs» dans la vie du pays, tout en me contant leurs faits d’armes enjolivés, avant de conclure par une salve d’insultes.

Ce conglomérat d’intérêts politiques dont la figure de la dame Aminata Touré (dans son marathon de tortuosités et reniements qui donneraient tournis et gueule de bois aux plus solides des esprits, depuis qu’elle s’est trouvé une nouvelle jeunesse d’opposante politique), suffirait à disqualifier tout argument, a demandé sans cesse une interruption du processus électoral. A des accusations de fourvoiement du Conseil constitutionnel, en ne se gênant pas de chahuter des juges, nos entrepreneurs politiques ont mis en doute la crédibilité de cette institution en tant qu’arbitre de la compétition électorale qui devait battre son plein tout ce mois de février. J’ai dû regarder de nouveau les déclarations de El Hadj Abdourahmane Diouf et du candidat Boubacar Camara sur leur demande catégorique d’un report du scrutin pour me rassurer de ne pas perdre le Nord.

Lire la chronique – Des recalés n’ont pas droit à la parole

Dans les outrages au Conseil constitutionnel, puisqu’on cherche à déshabiller des juges, il ne faut qu’aucune once de dignité ne leur reste, le Parti démocratique sénégalais s’est mis à la musique en balançant des accusations de corruption de magistrats. Les Libéraux, dans leur sens du théâtre et des formules assassines, ne cesseront de pilonner le Conseil constitutionnel, à coup d’accusations dont ils disent détenir des preuves irréfutables de corruption et des interférences coupables d’acteurs politiques dans la compétition électorale à venir.

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Le Pds a dicté dans un empressement fou, la cadence pour mettre en place une Commission d’enquête parlementaire et tirer cette affaire au clair. De la césure de l’inter-coalition Yewwi-Wallu, la nouvelle inter-coalition, longtemps avec des connivences tacites, Benno-Wallu voit de facto le jour. Entre frères libéraux, on sait se serrer les coudes ! Tous ceux dans la galaxie Benno bokk yaakaar qui trouvaient à redire sur le candidat désigné de leur coalition, les théoriciens d’un report et les zélés du Macky, pensant que le chef de l’Etat rêve de prolonger sine die son mandat présidentiel, trouvent matière pour jouer des tours. La découverte de cas de double nationalité et de fausses déclarations sur l’honneur aidant, la matière est assez solide pour décrédibiliser un processus électoral dont le départ n’est pas encore donné, qu’il porte en lui toutes les germes du contentieux électoral.

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L’histoire du report pour mettre de l’ordre a pris forme et le Parti démocratique sénégalais (Pds) offrira à toute une flopée d’acteurs politiques qui n’est pas prête pour aller à une élection présidentielle dans trois semaines, l’occasion inespérée en introduisant une proposition de prolongation de six mois du mandat du président de la République. L’acte est posé, au chef de l’Etat de l’assumer. On fermera les yeux sur les impacts sur son image, si un de la caste doit se sacrifier pour tous, autant que le chef endosse tout.

Le samedi 3 février, le Président Macky Sall s’adressera à la communauté nationale pour signifier l’abrogation du décret qui avait convoqué le corps électoral pour un scrutin au soir du 25 février. L’histoire, le temps et les révélations des différentes enquêtes annoncées nous édifieront s’il s’agit d’un coup de force finement mûri par des politiques, d’un acte de courage d’un chef qui a voulu limiter la casse, d’une tentative de sauver le modèle démocratique sénégalais en lui évitant une élection compromise d’avance ou d’un sombre glissement vers une autocratie qui ne dit pas son nom.

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L’Assemblée nationale fera le reste du travail en votant par 105 voix favorables contre une, la proposition de loi du Groupe parlementaire Liberté, démocratie et changement pour le report du scrutin présidentiel pour une période de 10 mois. Ce vote se fera après une intervention musclée de la Gendarmerie nationale dans l’Hémicycle après des heures de débat, une image qui fera le tour du monde et pour laquelle beaucoup de «chantres» de la bonne démocratie se sont offusqués. A ceux-ci, je dirais, pour ma part, préférer voir de députés chahuteurs, qu’ils soient de l’opposition ou non, recevoir les coups de force qu’il faut, plutôt que de faire revivre au Parlement l’épisode sauvage de septembre 2022, lors de l’installation de cette même Quatorzième législature.

Dans cette fresque de l’impertinence politique, il y a tout à dire sur le spectacle d’une lutte pour la démocratie et d’une sauvegarde de la République qui est vivace un peu partout dans le pays connecté, dans les rangs de notre diaspora et dans le regard des autres nations sur nous. J’ai aimé lire des dystopies, mais j’avoue que pour l’heure, je suis totalement investi dans celle qui se déroule dans notre Sénégal.

Lire la chronique – L’enfant gâté de la République et son univers dystopique

On aura vu de petits bourgeois dakarois se mettre dans les habits de révolutionnaires par procuration pour goûter à un semblant de vie dangereuse. La civilisation connectée aidant, quelques-uns de nos «Che de claviers AZERTY», ont pu goûter à des lacrymogènes, courir dans des rues dakaroises en narrant tous leurs faits d’armes et transformer leurs profils sur les réseaux sociaux, miroir permanent du narcissisme d’une époque, en un essai réel de la vie d’insurgés. Beaucoup ont pu descendre du confort condescendant et de l’atmosphère consanguine d’une élite dakaroise pour se frotter à des enfants du peuple (peut-être que la coupure d’internet y est pour quelque chose), pour partager cause commune un moment, au lieu de se regarder en permanence en chiens de faïence.

Ils auront néanmoins plus de courage que certains compatriotes de la diaspora qui se sont transformés en chiens de guerre à haut débit, pour demander du sang et des têtes guillotinées, inviter aux casses et pillages, et surtout témoigner d’une haine totale qu’ils ont pour un pays natal que trompe un faux amour fait d’excès de zèle, et la convocation de grands principes pour lesquels ils ne se battent guère. Quel conseil et quel cri d’alerte une personne, qui contribue à casser le consulat de son pays parce que son leader politique a des soucis avec la Justice, peut-elle nous donner pour nous inviter à défendre une «démocratie» qu’un «autocrate» voudrait mettre à genoux ?

Lire la chronique – Notre propension à créer des monstres

Les générateurs d’image par Intelligence artificielle n’auront également pas chômé avec des fresques des plus glauques, tapissées le long des fils d’actualité, pour se conformer à l’injonction martiale de s’indigner. Des messages génériques seront partagés de façon mécanique dans notre entourage sans aucune distance et aucun recul lucide : qui n’agit pas, est complice ! Il faut se montrer ferme et se faire entendre, ce rendez-vous n’est pas à rater. La rengaine de nos guerriers de la justice sociale est bien connue. Karim Wade, depuis son doux exil qatari où il peut se permettre le luxe de faire dérailler un système électoral avec des députés aussi prompts au service que des tueurs à gage, ne ferait pas mieux. Espérons que ce grand prince nous gratifie également d’un «retour du roi» digne de son rang. On n’ose pas penser qu’après ce report, prétexte sera trouvé pour se faire de nouveau disqualifier (ou s’auto-disqualifier ?)

Lire la chronique – Un cirque, des «singes» et du chaos

Dans une logique de pressions des pairs, on a vu un appel à de l’indignation gagner certains de nos athlètes, des célébrités, des artistes et quelques amuseurs publics. On leur enjoint d’avoir une opinion et de s’indigner. Beaucoup d’entre eux tombent malheureusement dans ce chantage affectif. C’est en s’indignant que l’on serait légitime au public. J’aurais aimé leur lire les mots de Comte-Sponville : «Ne te soumets qu’au vrai, qui ne se soumet à personne.» On peut leur concéder que nul ne veut être en marge de son groupe social d’appartenance et lorsque tout autour d’une personne conspire à véhiculer un certain état d’esprit, l’individu, surtout sur un piédestal que lui offre une célébrité et une reconnaissance tenue du public, ne peut se tenir à l’écart. A défaut de se prononcer, les gens se font honnir, insulter et bannir du cercle de personnalités commodes, s’ils ne sont juste pas taxés de vulgaires vendus à la solde du pouvoir.

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On ne peut oublier dans cet épisode les leçons de l’étranger et leurs remontrances, comme pour les commentaires de la presse d’ailleurs, je dis toujours que ça ne tracasse que ceux qui leur offrent une once de résonance dans leur esprit. Un pays doit savoir être dans ses difficultés et ne compter que sur lui-même pour se soulever et résoudre des crises.

Le bruit ne fait jamais de bien et le bien ne fait jamais de bruit, donc je reste convaincu que le temps nous édifiera sur le scrutin avorté du 25 février 2024. Dans mon esprit, je me suis déjà projeté sur la nouvelle date du 15 décembre, en espérant la chance d’y être (parce que la vie peut être si fragile). Cela, pour honorer mon devoir de citoyen dans cette si douce dictature qu’on aura peinte des plus vils tableaux ces derniers jours, et avec la force de tous.
Par Serigne Saliou DIAGNE – saliou.diagne@lequotidien.sn