Ne voit-on donc pas les tempêtes belliqueuses mâtinées à la camomille des identités furieuses et aveugles qui entourent le Sénégal ? Les mauvais vents qui tentent de dissiper les fraternités séculaires et de phagocyter les parentés ancrées qui se conjuguent, s’harmonisent et se délectent dans les délices des métissages féconds ? Des sangs si mêlés. Les déluges alimentés par des forces obscures et obscurantistes qui convoquent dangereusement les bêtises de la division enclouée dans des discours cyniques habillés d’alertes et d’activismes aux contours et aux détours diffus. Confus. Confits pour alimenter les petits esprits. Les petits d’esprit. Les esprits fragiles.
Le Sénégal est cette terre d’accueil, de la téranga. Chez nous, tendre les bras pour accueillir l’étranger, ce n’est point s’ouvrir aux malheurs du monde et… aux «bruits et aux odeurs» xénophobes. C’est l’ordinaire d’un sens de la sociabilité qui postule que «l’homme est un remède pour l’homme».
Et voilà maintenant que certains dans ce pays aiment s’amuser avec le feu, jouer avec les fumigènes de l’instabilité. Dans ce Sénégal, quelques individus en sont arrivés à ergoter et à s’égosiller sur de prétendus conflits ethniques avec un flegme inquiétant. Sidérant. Avec parfois des rhétoriques caustiques qu’ils cherchent à marteler comme un cantique. Un mantra prédicatif.
Un jeu simpliste, mais parfois amusant à certains endroits pour qui connaît et reste persuadé que le Sénégal garde encore de solides ressorts institutionnels et des accoudoirs religieux, culturels et coutumiers vigoureux pour conjurer les sordides et sournois desseins des prédicateurs de l’apocalypse. Un cousinage à plaisanterie si unificateur et réconciliateur ! Un patrimoine inoxydable ! De quoi faire peur à toutes nos peurs.
Ce bon peuple, si bruyamment silencieux, on dirait presque taiseux, observe, suit et traque, avec une intelligence raffinée, un bon sens inébranlable, les chicaneries de quelques animateurs de ces tournois… contaminés par la pandémie… numérique d’une bêtise humaine qui a élu cité dans les réseaux sociaux. Que le Sénégal réel, pas virtuel ou virtualisé, est bien loin de ce foyer de frayeurs divisionnistes, séparatistes et «ethnicistes», des ravages postulés par des vaticinateurs de l’obscurité et de l’obscurantisme !
Un foyer qui d’ailleurs n’aura pas – espérons-le ! – l’incandescence d’une braise dans ce pays de Léopold Sédar Senghor qui, dans sa vaste connaissance de l’histoire et la culture du Sénégal, qui fonctionne dans ses poèmes et ses essais, flétrit avec raffinement la toxicité de «l’entre soi» dans une République, contraire à l’art de vivre propre à «l’homo senegalensis».
Comme ses prédécesseurs qui ont joué chacun sa partition et selon son tempérament, à la consolidation d’une Nation sénégalaise, «unie et indivisible» et qui «le restera», il y a dans le message du 3 avril du président de la République, Macky Sall, des vérités qui doivent border nos convictions et ambitions, nous tous, convoiteurs d’une fraternité tissée par des liens de sang confondus : œuvrer pour un Sénégal «de pluralisme intégrateur, un pays de paix et de convivialité entre toutes ses composantes, un pays de téranga qui accueille et protège tous ses hôtes sans exclusive».

Interroger la rage de la jeunesse
Pour le reste, aussi bien dans son message du 8 mars que celui de la veille de la célébration de la fête de l’indépendance le 4 avril, le président de la République a choisi de parler aux jeunes. Non seulement de les entendre, mais mieux, de les écouter. Non seulement d’interroger leur rage face aux craintes de l’avenir, mais de prendre concrètement une batterie de mesures pour répondre à leurs difficultés d’emploi et d’insertion sociale d’où «s’originent» leur mal-vivre, leurs angoisses, leur furie et leur fureur.
Autant de facteurs et de raisons qui ont trouvé comme terreau fertile les malheureux événements du début du mois de mars. Des événements qui ont servi d’exutoire à un orage de frustrations et de peurs enfouies. Un orage réveillé par une nuée de durs effets socio-économiques consécutifs à une pénible pandémie qui continue de tournebouler et de tourmenter tous les pouvoirs à travers le monde.
C’est ainsi la meilleure manière de ne pas rester aveugle et sourd aux angoisses existentielles de la jeunesse. Une réponse responsable pour déconstruire les tentatives de radicalisation des jeunes par des sergents-recruteurs de la désespérance. Les tentations de thèses pour donner droit de cité dans les esprits à des partitions ethniques, des factures culturelles, cultuelles, régionalistes et autres particularismes potentiellement explosifs pour des valeurs qui ont toujours fermenté et alimenté «notre commun vouloir de vie commune», qui «constituent notre soupape de sécurité individuelle et collective» et «gouvernent notre démocratie, l’Etat de droit et la République».
Dans la jeunesse sénégalaise, il y a bien la majorité silencieuse. Il y a aussi, hélas, une minorité bruyante qui habite maintenant dans quelques coins électroniques du manoir… numérique, armée d’une pensée unique, univoque et unilatérale. Certes dans une démocratie, il faut des différences. Des divergences. Encore faut-il les situer dans un cadre républicain où il est autorisé même l’audace de penser mal. Maladroi­te­ment. C’est à la jeunesse sénégalaise de savoir inventer des espaces de fécondité pour être des acteurs de leur vie. C’est à elle de faire peur à ses peurs. Pour ceux qui cherchent à frayer un chemin d’avenir pour la jeunesse sénégalaise, surtout en ce temps de pandémie, qu’ils méditent donc ce viatique de Victor Hugo dans Les Misérables : «Tenter, braver, persister, persévérer, être fidèle à soi-même, prendre corps à corps le destin, étonner la catastrophe par le peu de peur qu’elle nous fait, tantôt affronter la puissance injuste, tantôt insulter la victoire ivre, tenir bon, tenir tête ; voilà l’exemple dont les peuples ont besoin, et la lumière qui les électrise.»
Soro DIOP