Faut-il rétablir la peine de mort ?

Une fillette de 12 ans violée puis lâchement assassinée par un bourreau sans cœur, un homme égorgé et jeté dans un caniveau, le corps gisant dans une mare de sang ; un autre poignardé à mort avant d’être enfermé dans une pièce où le corps était en état de putréfaction avancé ! Où sommes-nous ? Au Sénégal ? Cela ne lui ressemble pas. Pour un oui ou pour un non, on tue froidement ! Qu’est-ce-qui explique ces crimes abominables ? Question aux sociologues !
Il s’agit, selon toute vraisemblable, d’une crise du lien social qui se manifeste d’abord par la montée des incivilités, des actes de délinquance et du sentiment d’insécurité ambiante. C’est ce que Sébastien Roché (1996) appelle «la société incivile» et qu’il définit comme «ruptures de l’ordre en public, dans la vie de tous les jours, de ce que les gens ordinaires considèrent comme la loi». Aussi, cite-t-il pêle-mêle, «les dégradations, les odeurs, bruits, vitres brisées, impolitesse, insultes, actes de vandalisme, sacs arrachés, voitures brulées», les actes manifestant une véritable «crise de mécanismes sociaux d’apprentissage du contrôle de soi et du respect mutuel», «une crise du lien civil». En réalité, il s’agirait d’une régression du processus de civilisation qui se manifesterait par des manquements systématiques au code «des relations entre les personnes». Elle constituerait une menace, génératrice d’un sentiment d’insécurité «pour soi, pour le corps social, mais aussi pour le corps propre». N’est-ce-pas le cas aujourd’hui où l’on sent le danger partout ?
Cette dimension identitaire de l’incivilité serait, selon Roché, à relier à l’envahissement d’un sentiment de peur exprimant «l’impossibilité de vivre ensemble, de se faire confiance, de respecter les droits». Bref, un danger social ! Un risque personnel qui mettrait en cause les règles même de la vie sociétaire en jetant le doute sur la possibilité de ce lien social.
Toutes les analyses des statistiques de délinquance, criminalités, délits… s’accordent à reconnaître que la montée des indicateurs -infractions pénales, atteintes aux personnes et aux biens, plaintes enregistrées- se sont certes exacerbées, mais ne datent pas d’aujourd’hui. Elles ne peuvent donc simplement être imputées à la «montée des frustrations causées par la difficulté de gagner de l’argent, d’occuper une place dans la société ou de grimper dans l’échelle sociale».
C’est donc dans ce contexte, cet imbroglio, que se produisent les assassinats les plus horribles que la société sénégalaise ait connus depuis un certain temps. D’où le débat sur la peine de mort. Ce débat reste personnel : il s’agit de réactions instinctives. Mais, évidemment, les partisans et les adversaires se battent à coups d’arguments rationnels.
D’ailleurs, en France où la peine de mort est toujours en vigueur, les arguments restent généralement sur le plan des principes. Et, il faut aussi reconnaître que les sciences criminologiques fournissent peu d’éléments décisifs pour trancher la controverse.
Certaines théories ont même été reprises par les deux camps pour soutenir leurs thèses. D’autres théories, après avoir eu beaucoup de succès, ont été très discutées et même contredites, Ainsi, à la fin du siècle dernier, Césare Lombroso décrivait la morphologie du criminel-né de façon précise : «Crâne petit, visage pâle, regard cruel et dur, yeux enfoncés et obliques, sourire cynique, pommettes saillantes, irrégularités dans le fonctionnement des organes de sens et dans les fonctions de mouvement -gaucherie- anomalies constitutionnelles -effémination-masculinisation.» Et Lombroso affirme que, puisque cet homme-là est criminel en raison de sa constitution physique, il est à éliminer : peu importe l’infraction commise, puisque le criminel-né est irrécupérable pour la société. La théorie de Lombroso, psychiatre, eut un grand succès, qui retomba avec le développement de la psychiatrie.
La posture de Lombroso a entraîné l’apparition de deux positions nettement opposées : ceux contre l’abolition et ceux pour l’abolition. Pour les contre, interrogeons le contexte français qui inspire l’essentiel de nos textes législatifs et règlementaires.
L’opinion publique est, dans l’ensemble, favorable au maintien, au rétablissement de la peine de mort. Il suffit de suivre les réactions des personnes interrogées quand un crime est annoncé : «Ku raye dagne laa wara raye !»
En tout cas, en France, tous les sondages récents prouvent que le maintien de la peine de mort est souhaitable. La meilleure démonstration en a peut-être été donnée par les jurés de la Cour d’assises de l’Oise en 1975 : «Le Peuple parle comme les dieux. Il faut déchiffrer ses oracles. Ce que le Peuple a voulu dire en réclamant la mort pour quelqu’un qui l’avait donnée, c’est ceci : assez de désordre moral et social. Assez de confusion intellectuelle. Il y a le mal et il y a le bien. Depuis vingt ans, ceux qui parlent, ceux qui pensent, ceux qui gouvernent, manifestent une honteuse complaisance au mal. On ne montre d’intérêt que pour les crapules et les criminels. Nous ne voulons plus de ces beaux sentiments dont ne pâtissent que les honnêtes gens. Nous ne voulons pas que la France devienne une caserne de brigands, ce qui ne manquera pas si nous vous laissons faire, vous autres les belles âmes», écrit Jean Dutourd.
Mais, la France n’est pas seule dans ce cas. Ainsi, la Californie a rétabli la peine de mort après un referendum positif en 1972. En Grande Bretagne, selon un sondage fait en avril 1973, 82% des Britanniques étaient favorables au rétablissement de la peine de mort. En Suisse, un sondage effectué en mai 1976 indique que 50% des adultes sont favorables au rétablissement de la peine capitale.
Normal ! La société, pour se défendre, doit avoir la peine capitale dans son arsenal de peines. «C’est parce que la vie est le plus grand des biens que chacun a consenti à ce que la société eût le droit de l’ôter à celui qui l’ôterait aux autres», affirmait Diderot.
Le Coran reconnaît la peine de mort et, dans les pays islamiques, elle a toujours été pratiquée : c’est un moyen de sauvegarde de la société.
De même la Loi juive prévoit la peine capitale pour tout criminel qui verse le sang d’un innocent, mais son application est soumise à de nombreuses conditions.
L’Ancien Testament et le Nouveau Testament prévoient aussi la peine de mort pour un certain nombre de crimes : «Quiconque aura répandu le sang, que son sang soit répandu.» Saint Paul justifie la peine capitale : elle est nécessaire pour préserver l’ordre social, par la peur qu’elle inspire aux criminels. Elle est régulièrement appliquée aux Usa, en Chine, au Japon et en Iran.
Cependant, tous les citoyens du monde ne sont pas du même avis. Albert Camus est de ceux-là. Il explique : «Il n’y a pas de justes, mais seulement des œuvres plus ou moins pauvres de justice. Vivre, du moins, nous permet de le savoir et d’ajouter à la somme de nos actions un peu du bien qui compensera, en partie, le mal que nous avons jeté dans le monde. Nul d’entre nous, en particulier, n’est autorisé à désespérer d’un seul homme, sinon après sa mort qui transforme sa vie en destin et permet alors le jugement définitif.
Philosophiquement, on dirait que l’homme vit en société, mais il est seul au moment de sa naissance et au moment de sa mort.
Aussi, la société ne peut-elle pas sous prétexte de vengeance se conduire comme un vulgaire assassin. Et, si la guillotine permet d’éviter la contagion du crime, pourquoi ne pas exécuter le tuberculeux, les victimes du choléra et du Sida… pour vaincre les épidémies ?»
Alors, on peut conclure, toujours avec Albert Camus : «Toutes les statistiques sans exception, celles qui conservent les pays abolitionnistes -Sénégal- comme les autres, montrent qu’il n’y a pas de lien entre l’abolition de la peine de mort et la criminalité. Cette dernière ne s’accroît ni ne décroît. La guillotine existe, le crime aussi, entre les deux, il n’y a pas d’autre lien apparent que celui de la loi.»
Pour ma part, au rythme où vont les choses, le rétablissement de la peine capitale est une nécessité.
Yakhya Diouf
Inspecteur de l’Enseignement élémentaire à la retraite

