De Saint-Louis à Poponguine et Ndayanne, la mer avance et emporte avec elle, des pans entiers de ces quartiers de pêcheurs. Des familles vivent sous la menace constante des vagues. C’est ce que documente le court métrage de Mamadou Khouma Guèye, «Khar Yalla», projeté hier à l’ouverture du Festival international du film documentaire de Saint-Louis qui se poursuit jusqu’au 18 décembre prochain.Par Mame Woury THIOUBOU – Envoyée spéciale à Saint-Louis

  – Des sacs de sable érigés en barrière, un auvent en toile comme une faible défense face à la furie des vagues. Goxu bacc sur la Langue de Barbarie ressemble plus à une zone de conflit dévastée qu’autre chose. Ici, les populations ont perdu le combat contre l’océan. Malgré une farouche résistance, l’issue est déjà connue. Difficile à accepter certes pour ces familles dont des générations se sont succédé en ces lieux, vivant en harmonie avec l’océan et vivant surtout de ses produits. Mais aujourd’hui, l’océan est devenu ce monstre tueur qui, au bout de la nuit, fait tomber des maisons et abat des murs. C’est ce désespoir que vivent ces populations que filme le réalisateur sénégalais, Mamadou Khouma Guèye, dans Khar Yalla. Le court métrage de 25 minutes a été projeté ce mardi en plein air dans le quartier de Ndar Toute, en ouverture du Festival international du film documentaire de Saint-Louis. Khar yalla filme le mal-vivre et les inquiétudes d’une mère de famille, face à ce monstre impitoyable qui lui a déjà pris un petit frère, pêcheur disparu en mer. Entre quatre générations de femmes, le film ausculte ce phénomène écologique qui touche une bonne partie de la façade nord du pays. «On a un festival militant, Temeri boop cogn, qui questionne les difficultés des Sénégalais, des Africains, des humains tout court. Au départ, on voulait inviter des réalisateurs à venir filmer et on n’avait pas assez d’argent. On s’est dit, on va filmer nous-mêmes. La première édition, on avait parlé des questions écologiques. Et comme on habite à Guinaw Rail, un quartier de la banlieue qui a été souvent inondé, on s’est dit qu’on va parler de nous-mêmes. J’ai fait un film sur l’avancée de la mer et Demba Dia sur la centrale à charbon de Bargny», explique le réalisateur dont le film a suscité de vives réactions dans ce recoin de la Langue de Barbarie où les populations vivent au quotidien avec ce drame.
Le film évoque également ce quartier qui doit accueillir les populations déplacées et qui pose problème. Au détour d’une discussion filmé par le réalisateur, des antagonismes apparaissent. «Il n’y a pas une vraie discussion avec les populations», regrette le réalisateur. Boudiouck, à plusieurs kilomètres, est le lieu choisi pour accueillir les déguerpis de la Langue de Barbarie et où des tentes avaient été érigées pour eux. Mais Awa Guèye, le personnage principal, explique que pour des femmes dont le commerce tourne essentiellement autour du poisson, vivre à des kilomètres du littoral était devenu trop compliqué. Au point que certaines familles ont tout bonnement déserté ces lieux de recasement pour revenir rafistoler des bâtiments déjà branlants et y vivre. Et y avoir un destin fatal à l’image de ce vieil homme, retrouvé mort sous les décombres de sa maison aux côtés de son petit-fils. L’océan est omniprésent dans le film, en hors champ ou déroulant ses vagues sous le regard impuissant de la vieille grand-mère.
Mais qu’à cela ne tienne, revenir en ces lieux traduit également la peur du changement. «Il y a un problème de culture. A Ndayanne, j’ai rencontré des gens qui ne veulent pas du projet de nouveau port parce qu’ils font leurs bains mystiques au même lieu. Ce ne sont pas toujours des enjeux de développement pour les populations mais aussi, une peur de perdre un mode de vie et des traditions et culture», estime le réalisateur.

Une agression continuelle
De Dakar à Bargny et Saint-Louis, le drame est le même. Le littoral continue de subir l’agression des vagues. La parade est mince pour les populations. Empiler des sacs devant les maisons ou fuir. Ce que beaucoup refusent devant l’indigence des solutions proposées par un Etat observateur et qui compte sur les bailleurs étrangers pour apporter des solutions. La France, qui s’est engagée à construire une digue pour ralentir le phénomène, est perçue par le réalisateur comme une nouvelle preuve de ce néocolonialisme qui gangrène les relations avec l’ancien colon. «La France apporte de l’argent pour sauver sa ville Saint Louis. Il y a une lecture néocoloniale à faire », dénonce Mamadou Khouma Guèye. Pour lui, plus de volonté de la part des autorités pourrait faire avancer les choses. «Ce genre de film est important pour rappeler à l’Etat et aux bailleurs de fonds, qu’ils doivent dialoguer avec les populations avant toute chose. Si les gens quittaient leurs costumes et passaient des journées entières avec ces populations, forcément ils trouveraient une solution.»
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