Le Festival international du documentaire à Biarritz (Fipadoc) offre une immersion rare dans un quartier de la capitale congolaise. Dans «Kinshasa Beta Mbonda», des anciens voyous se transforment en percussionnistes convaincus et convaincants. Sous le regard de la cinéaste belge Marie-Françoise Plissart, la vie des «Kulunas» repentis se mue en musique. Entretien.
Kinshasa Beta Mbonda est une plongée très particulière dans le quartier populaire de Barumbu. Qu’est-ce qui a provoqué chez vous le désir de faire ce film ?
J’ai toujours rêvé d’improviser et créer quelque chose avec des gens qui inventent. D’autre part, j’ai toujours aimé d’aller à Kinshasa. C’est le lieu où des énergies fortes et très différentes ont pu se mettre ensemble : l’énergie de ces musiciens, ces anciens bandits, inventant des musiques et des jeux, et puis moi-même, venant de Belgique, de Bruxelles. Tout à coup, il y a ce mélange : eux et moi. C’était très passionnant et aussi très difficile.
Comment avez-vous trouvé ces anciens bandits devenus musiciens ?
Un ami les connaissait comme musiciens, mais aussi leur histoire. Comme il avait lu mes livres sur Kinshasa, il pensait que j’étais la bonne personne pour ça. Au début, j’avais très peur, parce qu’il est difficile de faire un film. On a pris beaucoup de temps pour se connaître. Et tout ce temps a permis d’avoir le film comme il est : avec une grande relation de confiance entre eux et moi.
Qu’est-ce qui a déclenché chez ces anciens malfrats la décision d’arrêter avec la délinquance et de devenir percussionnistes ?
Un des deux maîtres qu’on voit dans le film les voyait partir en banditisme. Il les a persuadés de faire de la musique. D’abord en allant dans leur sens en leur offrant à boire et à fumer. Ensuite, eux avaient envie de devenir musiciens en voyant le maître qui voyageait beaucoup. Il y avait une osmose. Et peut-être le maître avait aussi ce désir de transmettre ses connaissances. Il connaissait toutes les musiques du pays, il avait cherché des rythmes dans les villages, etc. Il avait envie de transmettre tout cela. Donc, il y avait un échange de désir.
Kinshasa est connue comme une ville qui bouge sans cesse et où il est très difficile de tourner un film. Comment avez-vous réussi à y faire des plans si posés et poétiques ?
C’est aussi une question de temps. Au début, dans les années 2000, quand j’y allais, cela m’avait terriblement énervée. Aujourd’hui, je comprends. Et puis, je les filmais eux, des stars. Donc, les autres gens autour n’avaient pas le sentiment d’être filmés. Bien sûr, je me suis tout de suite fait arrêter par la police. Je n’étais pas surprise. Avec le preneur de son, je lui ai tout de suite dit : «Vous allez lire la lettre d’autorisation pour le tournage. On va vous filmer.» Les policiers étaient contents d’être filmés. Cela a renversé la situation. Chaque fois quand j’ai rencontré ce policier que j’avais filmé, sans finalement le montrer dans le film, il était toujours enchanté de nous voir… Et je suis toujours restée dans le même quartier. Le premier jour, j’avais des huées… Puis, les gens se sont habitués. C’était comme si j’étais transparente.
Dans le film, les protagonistes chantent Kinshasa comme une ville pleine de problèmes et de douleurs. Mais sous le regard de votre caméra, la pauvreté se transforme en beauté, les pas en chorégraphie, les gestes de la vie quotidienne en musique. Une peau de vache, des capsules, une machine à laver, tout se transforme en rythme. Quelles images de Kinshasa avez-vous eu dans votre tête avant de tourner ?
Je n’ai pas du tout envie de filmer la misère. Cela ne m’intéresse pas du tout. La politique m’intéresse. Dans leur parole, dans ce qu’ils disent, tout est une grande plainte. Ils parlent de la catastrophe du pays. Moi, c’est eux qui m’intéressent. Ils sont magnifiques, beaux comme tout. Ce sont des gens importants, je les admire et j’avais beaucoup plaisir à les filmer. (…)
Les musiciens ont-ils vu le film ?
Ils l’ont vu, c’était très important. C’était la première chose à faire. Ils étaient enchantés. La productrice aurait également dû venir pour la projection, mais malheureusement elle a été arrêtée à la frontière pour des raisons administratives. J’ai demandé à chacun : quel est ton moment préféré dans le film ? Beaucoup ont parlé de la scène dans le cimetière, quand ils ont pleuré leur mort. Et parmi les dix qu’on voit à l’écran, il y en a un qui est déjà décédé, juste après le tournage. A Kinshasa, on meurt beaucoup. L’espérance de vie est de 46 ans.
A Kinshasa, après avoir été membre des «Kulunas», d’un gang violent, peut-on se défaire de sa mauvaise réputation en devenant musicien ?
Je pense que le regard sur eux a vraiment changé. J’ai eu le sentiment qu’il est tellement extraordinaire de faire un film, que leur passé a été mis de côté.
A un moment du film, un groupe de jeunes enfants imitent leurs aînés en improvisant une sorte de «baby-groove». Kinshasa Beta Mbonda, est-ce aussi un film sur la transmission ?
Absolument, et cette scène, je l’ai prise au vol. Ce n’est pas moi qui avais demandé aux enfants de faire ça. C’était un cadeau. C’est vraiment un film sur la transmission. C’est aussi leur force, la générosité. Ils ont très envie de faire tout ça. Ils parlent tous de la transmission, c’est leur moteur. (…)
Rfi