Quand les spectateurs créent leurs propres solutions au cinéma… «Watatu» parle de l’extrémisme islamiste, de la radicalisation d’un jeune diplômé à Mombasa. C’est plus qu’un film, c’est une expérience. Ce premier «forum-film» vient du Kenya. Le réalisateur, Nick Reding, a présenté «Watatu» au Festival international de programmes audiovisuels (Fipa) à Biarritz. Un ovni à mi-chemin entre des ateliers théâtre et du cinéma participatif. Et le public adhère à fond. Entretien.

Que signifie le titre Watatu ?
Watatu signifie «trois personnes», parce que c’est l’histoire de trois personnes : l’oncle Salim, son neveu Youssouf et le meilleur ami de Salim, Jack. Il y a aussi l’intervention de trois personnages dans la pièce de théâtre qui apparaît dans la deuxième partie du film. A ce moment, ce sont les spectateurs de la pièce de théâtre qui interprètent les trois rôles de l’histoire pour changer la fin de l’histoire.

Ce film ambitionne de trouver des solutions contre la radicalisation des jeunes par les mouvements jihadistes. Avez-vous trouvé une solution ?
C’est une question très difficile. Je pense que pour certaines personnes, il y a des solutions. La motivation des gens pour se radicaliser est très complexe. Lors de notre recherche à Mombasa, la plupart des gens se radicalisent à cause de la colère ou de la discrimination. Créer une occasion de parler de leur frustration s’avère être un outil très puissant. Cela aide à recadrer leur manière de provoquer un changement.

Youssouf est un jeune diplômé qui ne trouve pas de travail et se radicalise. Combien de Youssouf existent aujourd’hui au Kenya ?
Personne ne le sait. Selon nos estimations, 30% des jeunes hommes vivant sur la zone côtière soutiennent aujourd’hui une organisation radicale comme Mombasa republican council (Mrc), une organisation séparatiste radicale. Et ce n’est pas un grand pas de soutenir d’abord une telle organisation hors-la-loi et ensuite une organisation comme les militants islamistes des Shebabs.

Votre film est une histoire aussi écrite par l’audience. Comment cela fonctionne ?
Nous avons fait beaucoup de recherches auprès des jeunes partiellement radicalisés. Ainsi, nous avons écrit une histoire sur un jeune homme qui commettra un meurtre. Ensuite, nous montrons cette histoire – c’est la première moitié du film – sous forme d’une pièce de théâtre à un public autour de Mombasa. Nous leur posons la question : est-ce que l’histoire doit fatalement se terminer ainsi ? Puis, nous leur demandons des alternatives. Dans un forum-théâtre, ces propositions alternatives sont jouées avec les trois personnages de l’histoire. Résultat : ils réfléchissent comment la famille aurait pu s’engager différemment auprès du jeune homme. Ces interventions et les solutions proposées par le public sont ensuite devenues la deuxième partie du film. Tous les dialogues de la fin du film ont été écrits par les spectateurs.

Vous pratiquez le concept du forum-théâtre depuis 15 ans. Est-ce que ce film est un «forum-cinéma» ?
Oui, c’est une sorte de forum-film. Nous avons travaillé avec Adrian Jackson, le fondateur du Forum theatre. Il est venu au Kenya il y a huit ans, et nous a formés. C’est un moyen incroyablement puissant pour faire réfléchir les gens aux problèmes. Et il faut le rendre difficile. Quand vous proposez une solution facile et ensuite vous la démontez, les gens sont étonnés, curieux. Ils commencent à réfléchir sur la manière de mieux faire. Cela rend les gens actifs. Watatu est le premier forum-film qui existe. Cela transforme les spectateurs du film en spectateurs plus participatifs. Ils commencent à réfléchir : si j’étais à sa place, que ferais-je ? Il nous arrive que des gens crient pendant la projection du film pour dire aux personnages à l’écran ce qu’ils devaient faire. Cela fonctionne et je pense qu’on va faire d’autres forum-films.
Quelle était la réaction au Kenya par rapport au film ?
La réception était fantastique. La chose la plus importante : ce film raconte une histoire que tout le monde reconnaît. Chaque habitant de la zone côtière – peu importe s’il fait partie des chrétiens ou de la majorité musulmane – va dire : c’est notre histoire. Et les jeunes gens en colère ont le sentiment qu’ils peuvent exprimer leur frustration. C’est une manière de réussir : les gens s’engagent sur un sujet et trouvent leurs propres solutions.
Rfi.fr