Festival Rio Loco de Toulouse : Sous les flows de la Méditerranée
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Jeudi 13 juin, le festival Rio Loco de Toulouse (du 12 au 16 juin), édition Odyssea, mettait à l’honneur le rap des pourtours de la Méditerranée. Au menu l’Algérien TIF, le Marocain ElGrandeToto, mais aussi Rim’K ou Soso Maness. De quoi nouer des dialogues entre cultures et générations… Et cultiver la fierté de nouvelles voix hybrides.
«Il y a des Marocains ici ? Il y a des DZ (Algériens) ici ?» Avec tout son charisme, le rappeur de Casablanca et star internationale, ElGrandeToto, harangue la marée humaine, chauffée à blanc, massée depuis le début de l’après-midi sur la prairie des Filtres, au cœur de la ville rose, tous drapeaux (algériens, marocains…) dehors.Un parterre compact, jeune et flamboyant, qui hurle sa joie, sa rage de vivre et sa fierté. Peu après, c’est au tour du Marseillais de l’étape, Soso Maness, de s’adresser au public : «Ça va, le sang ? Toulouse, c’est chaud-bouillant, c’est une dinguerie !» Rio Loco, festival de quasi 30 ans, usuellement connu pour ses couleurs musiques du monde, faisait le pari du rap, ce jeudi 13 juin. Mais, se défendent en plaisantant Elvire Delagrange et Vincent Lasserre, les deux programmateurs : «Le rap est une musique du monde comme les autres !» Une sorte de punchline qu’ils développent : «Il faut casser ces barrières mentales qui ne parlent plus aux nouvelles générations. Entre rap, musiques urbaines et sons du monde, les frontières paraissent désormais artificielles.» Et le duo de citer, à juste titre, toutes ces influences traditionnelles, ces racines (rythmes, modes musicaux, langues…) qui colorent les expressions hip-hop de la planète. Une preuve en musique, ce soir, à Rio Loco, où le rap se révèle polyglotte, algérien, marocain, marseillais, marqué de chaâbi, de trap, etc.
Car, cette année, le thème du festival, si joliment intitulé, pour débrider les imaginaires et la poésie, «Odyssea», aborde les rivages des pourtours méditerranéens, avec des têtes d’affiche comme Olivia Ruiz, Barbara Pravi en hommage à Dalida ou encore Acid Arab… Comme l’expliquent Elvire et Vincent : «Ce qui nous a marqués dans ce territoire reste la vivacité des traditions orales et chantées, de la poésie, des jeux de langue et de mots…» Dès lors, comment négliger le rap ?
Un «devoir d’invention»
Pour cette soirée donc, le festival a fait résonner les voix hip-hop multiples de la Méditerranée, et a privilégié la diversité, en termes d’esthétique et de générations. Il revient à l’icône du hip-hop algérien, TIF, d’ouvrir le bal, avec son rap sensible, optimiste et engagé, mâtiné de chaâbi. Au sein d’un public qui hurle son plaisir, un fidèle des rives de la Garonne, un monument toulousain lorgne le concert d’un œil attentif et ne cache pas son enthousiasme. C’est Mouss, ex-Zebda, qui présentera dimanche, avec son jumeau Hakim et une kyrielle d’invité.e.s dont les Héritières et Karimouche, la création «Des deux côtés de la mer». Pour lui, TIF fait partie de ces petits frères dont il se déclare si fier : «C’est la relève de l’esprit Zebda : ce son hybride et tellement actuel, avec des origines DZ. Le lien entre la France et le Maghreb reste indestructible, éternel… et constructif ! Ceux qui, comme nous ou TIF, se situent entre deux cultures, ont ce devoir de créolisation, d’invention : il faut trouver sa voie, sa voix, au creux de ses identités multiples. Pour donner l’exemple aux autres. A la manière dont un Rachid Taha, en son temps, nous avait indiqué un chemin possible…» Et sur scène, sur ce plateau rap franco-algérien, c’est bien un vaste dialogue, collectif et généreux, qui se noue entre le rappeur et ses «invités» : l’Algérois Flenn, au flow précis et acéré, à l’univers mélancolique, flegmatique et doux ; le rap solaire, orienté vers le reggae de Djam (Ahmed Djamil Ghouli) ; ou le son old-school, mais toujours diablement efficace, du célèbre «Tonton» Rim’K. Avec ses tubes inusables sur tapis de derboukas, Tonton du Bled ou Partir Loin, l’ex-membre de Mafia K’1fry et du 113 prouve qu’il en a encore sous le capot… Et les jeunes du public, en retour, qu’ils connaissent leurs classiques et le rap de papa sur le bout des doigts. «Rim’K, c’est la base», assurent-ils. Au fil de son show, TIF s’engage, comme à son habitude, sans faillir, pour la Palestine. Un moment d’intensité rare, d’émotion, avec les drapeaux palestiniens brandis par tout son crew, présent sur scène pour un final le poing levé.
Les déflagrations du «caméléon»
Puis, c’est au tour du «caméléon» ElGrandeToto (voir ci-dessous), le rappeur marocain n°1, porte-voix d’une génération et homme de tous les records (artiste le plus streamé sur Spotify dans le monde arabe, Disque d’or en 2022, etc.), qui a collaboré avec Damso ou Hamza, d’investir la scène. Et c’est la déflagration sonore. Un mur du son massif et puissant, avec sa voix gutturale et ses tubes dangereux comme Pablo. Un flow imparable, qui mêle auto-tune sombre, influences traditionnelles et ego trip en darija, sa langue natale. Et aussi des langues et des horizons divers, allègrement mixés. Puis TIF, son ami, reparaît. «Maroc et Algérie, on est ensemble comme jamais !», clame ElGrandeToto en le serrant dans ses bras. Le rap réussirait-il là où la diplomatie a échoué ? La soirée s’achève avec le Toulousain Don Choa, ex-mousquetaire de la Fonky Family (Les bads boys de Marseille !), qui poursuit une carrière solo, avec un verbe toujours aussi agile et un rap conscient. Alors quand il rappe : «aïe, que tous les fascistes aillent se faire enc…», la punchline soulève un raz-de-marée d’adhésion sur la prairie des Filtres. Et lorsque Soso Maness (Zumba Cafew !), issu de Marseille, l’un des ports mythiques de la Méditerranée, clôt la soirée, la foule en extase de Rio Loco apparaît, ici, comme une utopie bien réelle : des jeunes (et de moins jeunes) fiers de leurs origines multiples et qui renvoient dans les cordes, avec un immense bonheur, ceux qui voudraient figer la France dans une seule -et trop simpliste- identité.
Rfi Musique