Sur les 7 films sénégalais qui ont été sélectionnés à la compétition officielle de la 26e édition du Fespaco, 4 ont été financés par le Fonds de promotion de l’industrie cinématographique et audiovisuelle (Fopica). «Une place dans l’avion» de Khadidiatou Sow qui a reçu 20 millions de francs Cfa, soit 60% de son budget, «Ordur» de Momar Talla Kandj avec 10 millions de francs Cfa, Cheikh Diallo et Angèle Diabang qui ont chacun reçu respectivement 25 millions de francs Cfa pour «Garmi» et «Un air de kora». Sur ces 4 films, 2 sont revenus du Fespaco avec des trophées. Un bilan jugé satisfaisant par certains. Mais avant le Fespaco, l’absence de long métrage fiction sénégalais de la compétition avait provoqué un tollé. Dans cette interview réalisée à Ouagadougou durant le Fespaco, Abdoul Aziz Cissé, le Secrétaire permanent du Fopica, dresse le bilan des 5 ans d’existence du Fonds, définit les challenges et rappelle surtout la nécessité de rendre ce fonds autonome et stable.

Le Fopica a soutenu cette année beaucoup de jeunes réalisateurs qui ont participé au Fespaco et qui ont valu au Sénégal quelques récompenses. Qu’est-ce qui explique le choix porté sur les jeunes ?
L’objectif principal du Fopica, c’est de structurer l’industrie cinématographique et audiovisuelle. Qui parle de structuration, parle de la préparation de la relève. C’est ce qui fait que le Fopica, depuis le début, a mis l’accent sur le financement des projets de jeunes au Sénégal. Que cela concerne les jeunes femmes ou les jeunes hommes. Et le résultat est en train d’apparaître. Il y a vraiment eu un appui financier de manière globale. Mais derrière aussi, il y a un appui, un accompagnement par rapport au développement de certains projets.

Pour rappel les films de Angèle Diabang, de Khadidiatou Sow, Cheikh Diallo et Momar Talla Kandj ont tous été soutenus par le Fopica et 2 ont été récompensés au Fespaco. Comment voyez-vous cela ?
Nous nous en félicitons. Le Sénégal est présent aujourd’hui massivement sur ce cinquantenaire du Fespaco et cette présence se remarque parce qu’il y a 13 films sénégalais présents à ce Fespaco. Et sur ces 13 films, 7 sont sur la sélection officielle et 6 sont dans des secteurs connexes. Et ces secteurs sont aussi des secteurs à compétition. Je peux citer le film Sandale man de Inna Thiam, Blanc sur noir de Samba Diao et il y en a beaucoup d’autres. Ça montre qu’il est en train de se passer quelque chose dans le cinéma sénégalais aujourd’hui.

Cette année il y a eu beaucoup de cacophonie. Cer­tains ne s’expliquent pas l’absence de long métrage fiction au Fespaco. En tant que Secrétaire permanent du Fopica, comment expli­quez-vous cela ?
Il y a deux choses pour expliquer cela. Effectivement, le Fopica a connu des ponctions entre 2017 et 2018. Mais ce n’était pas la première fois. Parce que depuis 2014, la première année de fonctionnement du fonds, il y a eu une ponction de 800 millions. Ce qui fait que nous qui avions pris la précaution d’anticiper et de lancer l’appel à projet en 2013, pour pouvoir être fonctionnels dès la mise en place du budget en 2014, on s’est retrouvé dans une situation où on a été obligé de décaler sur 2015, affin de pouvoir financer les projets. Nous avons donc fonctionné sur 2015, 2016 également. Et 2017, rebelote, ponction de 750 millions de francs Cfa, parce qu’il fallait financer la retransmission par la Rts des matchs de foot. En 2018, ponction aussi. Ce qui fait qu’on ne peut toujours pas publier les résultats de l’appel à projet qui a été lancé depuis 2017. Les résultats ont déjà été faits contrairement à ce qui a été dit. Les collèges de lecteur ont été mis en place et chaque collège de lecteur a fini son travail. Les résultats ont été compilés. Il se trouve juste que le premier comité de gestion est arrivé en fin de mandat en 2017. Donc, il fallait procéder au renouvellement de ce comité de gestion. L’arrêté a été signé, mais le comité n’a pas été installé. Ce qui fait que jusqu’à présent nous attendons l’installation de ce comité de gestion. Mais il faut reconnaître que le travail a été retardé par les ponctions qui ont fait que si l’argent n’est pas disponible, on ne peut pas publier les résultats.
Les cinéastes se sont beaucoup plaints de ce retard
Généralement, le travail se fait à temps. Mais tant que le budget n’est pas mis en place, on ne peut pas courir le risque de publier les résultats. Parce que ce sont des en­gagements financiers qui sont pris.

Quel est le second élément d’explication ?
Le second élément d’explication est beaucoup plus lié au fait que pour la plupart de ceux qui ont beaucoup tiré sur le Fopica, en réalité, ce sont des gens qui avaient déposé des projets et dont les projets n’ont pas été sélectionnés. Il y avait une sorte de frustration. Il y avait quelque chose contre le Fopica et ils ont sauté sur l’occasion pour tirer. Mais tous les fonds de financement au monde sont confrontés à ce problème. En 2017, j’ai été au Cnc (le centre national de cinéma et de l’audiovisuel français) et j’ai rencontré la patronne de l’aide sélective qui s’appelle Raphaelle Garcia et la première question qu’elle m’a posé c’est : comment vous faites avec vos grands cinéastes qui déposent des projets et qui ne sont pas financés.

Donc ce n’est pas parce qu’on est un grand cinéaste qu’on va bénéficier de financement du Fopica ?
Le Fopica ne finance pas en fonction de la tête du porteur de projet mais en fonction de la qualité du projet. Et pour évaluer cette qualité, il y a toute une série de critères qui ont été mis en place. Et on fonctionne exclusivement sur la base de ces critères. C’est ce qui explique que les films qui sont déjà produits, ont cet accueil favorable du public. Parce qu’on se rend compte que la sélection n’a pas été faite par hasard ou sur la base d’un copinage comme certains l’ont dit. On essaye d’être rigoureux dans le travail qu’on fait parce qu’on sait que le cinéma sénégalais en a besoin. Ce cinéma est aujourd’hui à un tournant décisif de son évolution et il nous faut faire un effort sur nous-mêmes pour que chacun propose un bon projet, qui peut nous aider à faire avancer davantage ce cinéma. Mais on ne peut pas rentrer dans des compromissions ou des affaires de copinage. Si on le fait, le fonds disparaît et le cinéma sénégalais va de nouveau entrer en crise. Et cela, il faut l’éviter parce que nous avons fait une traversée du désert qui a duré plus d’une décennie.

Ailleurs le ministre de la Culture disait que ce n’est pas à l’Etat de financer les cinéastes. Et que l’Etat n’a pour rôle que d’appuyer ces cinéastes. Etes-vous de cet avis ?
Il a parfaitement raison. En réalité, il n’y a pas un seul fonds de financement du cinéma au monde qui finance exclusivement ou intégralement un projet de film. Tous les fonds qui existent au monde, donnent une partie du financement et demandent au porteur de projet d’aller trouver des financements additionnels ailleurs. C’est ce qui se passe au Sénégal et on nous a dit : oui le Burkina a donné de l’argent, pourquoi le Fopica ne l’a pas fait ? Mais le Burkina n’a pas financé intégralement les projets de film. Le Burkina a donné une partie conséquente c’est vrai, mais les cinéastes ont été obligés d’aller trouver des financements additionnels ailleurs. Aujourd’hui, le grand problème du cinéma sénégalais, c’est que le Fopica dans les lois qui l’organisent, à l’article premier, il est dit que le Fopica est destiné à financer des entreprises de production. Quand on parle d’entreprise de production, ça veut dire qu’on est dans une logique de professionnalisation et de structuration. On ne va pas installer les producteurs dans cette facilité en leur disant, amenez vos projets on finance intégralement. Parce que c’est leur rendre un mauvais service. La question, c’est comment il faut parvenir à professionnaliser ces producteurs pour qu’à chaque fois que le Sénégal apporte une première mise, qu’ils soient en mesure d’apporter les financements additionnels pour que les films puissent se faire.

On s’interroge aussi sur le fait que de grands cinéastes comme Moussa Touré par exemple n’aient pas bénéficié de financements conséquents du Fopica. C’est quelqu’un qui a reçu des distinctions et contribué à faire la renommée du cinéma sénégalais. Où se situe le problème ?
Peut-être que ça peut ressembler à de la provocation. Mais un cinéaste vivant n’est pas un grand cinéaste. Je reformule. Chaque projet est un recommencement. Ce n’est pas parce qu’on est un grand cinéaste, que forcément, le projet qu’on porte est un bon projet. Le projet est bon quand il est suffisamment développé. Quand on arrive avec un premier jet du projet, juste une écriture, il ne faut pas s’étonner que ça ne marche pas. Quand tu es en compétition avec des gens qui ont passé 10 à 15 ans à écrire et réécrire leur projet et que l’on fasse la comparaison, la différence saute aux yeux. On n’a pas voulu rentrer dans la logique de récompenser certains ou dans une logique de partage de gâteau. Nous sommes dans un processus, une procédure de sélection de projet. Chaque gestion, nous lançons un appel à projet public, par voie de presse et tous ceux qui sont intéressés viennent déposer. Si le projet n’est pas abouti, il ne peut pas être sélectionné. Généralement nous recevons plus d’une centaine de projets à chaque appel. Si le projet n’est pas abouti, mais que les différents collèges de lecteurs estiment que le projet est intéressant, nous asseyons d’accompagner le projet par une aide au développement. C’est ce qui a été le cas avec certains cinéastes qui ont déclaré que nous leur avons donné un financement de 3 millions de francs Cfa. Mais ce montant n’était pas destiné à la production du film. C’était pour lui permettre de mieux développer le projet affin de revenir avec un projet amélioré pour pouvoir entrer à nouveau en compétition. C’est cette compétition qui dérange parce que certains ne veulent pas entrer en compétition. Ils veulent juste venir parce qu’ils sont reconnus, qu’on leur donne l’argent. Mais si on le fait, c’est la meilleure manière d’hypothéquer l’existence du fonds. Parce qu’on n’aura pas des films de bonne qualité. Aujourd’hui la question, c’est de miser sur les projets et non sur les hommes.

Et pourtant il y en a qui ont reçu des financements pour leur long métrage fiction et qui ne sont pas parvenus à faire aboutir leur film. Ce qui fait même qu’on se retrouve cette année sans long métrage fiction dans la compétition du Fespaco ?
Les longs métrages fictions prennent très souvent du temps pour se faire. Parce qu’il faut boucler le budget. Et si on ne parvient pas à le faire, il faut lever suffisamment de financement pour pouvoir engager la production. Certains avaient déjà commencé à tourner. Avant le Fespaco, il y a au moins 4 projets qui sont revenus pour nous demander de leur faire une rallonge budgétaire pour pouvoir finaliser leurs films et les présenter au Fespaco. Mais à cause des ponctions budgétaires qu’on a connues en 2018, nous n’avons pas été en mesure de répondre favorablement à leur requête. C’est la raison pour laquelle le Sénégal n’a pas présenté de long métrage fiction. Mais les projets sont en train de se faire et un projet, comme un enfant, a sa personnalité. Et je pense que ce qui est le plus intéressant ou le plus raisonnable, c’est d’essayer d’accompagner ces personnes qui sont en train de porter les projets pour les faire aboutir. Parce que, par expérience, je sais que c’est extrêmement difficile de porter un projet de film. Je l’ai vécu et en même temps je vis avec eux au quotidien. Je sais les problèmes auxquels ils sont confrontés. Les aider à avoir un peu plus de sérénité peut être important pour l’aboutissement de projet de film de qualité.

Il y a eu un retard dans l’octroi des financements pour l’exercice 2018. Les résultats ne sont toujours pas publiés. Quand est-ce que les financements seront disponibles ?
Les collèges de lecteurs ont fini de faire leur travail. Nous attendons l’installation du nouveau comité de gestion pour que le travail de sélection puisse continuer. Mais il y a aussi la mise en place des crédits. Si les crédits sont mis en place, tout de suite, au bout d’un mois ou deux, les résultats pourraient sortir.

Aucune date n’est retenue pour la publication de ces résultats ?
Nous avons donné plusieurs fois des dates. Et nous n’avons pas été en mesure de respecter ces délais parce qu’il y avait des facteurs qui ne dépendaient pas de nous. C’est la raison pour laquelle on ne veut pas s’engager à donner de date. Mais ce que je peux dire pour rassurer tout le monde, c’est que tout le travail de sélection a été fait. Et nous attendons juste ces deux éléments : l’installation du nouveau comité de gestion. Et la mise en place effective des crédits pour publier les résultats.

Le Fopica existe depuis 2014. Qu’est-ce qui a été fait depuis ?
Le Fopica est un vieux fonds. Les gens ont l’impression que c’est un nouveau fonds mais il a été créé depuis 2002 par une loi votée par l’Assemblée nationale. Et en 2004, le président de la République a signé le décret d’application du fonds. Mais entre 2004 et 2014, l’Etat n’a pas mis un rond dans le fonds. C’est à partir de 2014 qu’il a décidé d’alimenter ce fonds et c’est à partir de ce moment que le Fopica a commencé à fonctionner. C’est donc vous dire qu’il est extrêmement important de se battre pour que ce fonds continue à exister. Parce que c’est grâce à lui que le Sénégal est reconnu dans le monde du cinéma et de l’audiovisuel à travers le monde entier. Et l’autre aspect, c’est qu’il y a des dimensions stratégiques pour ne pas dire politiques. Parce que tous les pays africains sont en train de nous observer et de voir ce qu’on va faire de cet instrument. Beaucoup d’entre eux n’ont pas un fonds comme le Fopica. Beaucoup d’entre eux sont en train de se battre parce que le Sénégal a réussi à faire fonctionner son fonds. Beaucoup d’entre eux sont en train de se battre pour mettre en place la même chose chez eux. Donc le Sénégal ne peut pas se permettre de laisser péricliter un pareil instrument. Nous sommes suivis par tout le monde. C’est une question d’honneur et de dignité de continuer à faire fonctionner ce fonds.

Depuis 2014 que ce fonds a été alimenté, combien de projets ont obtenu des financements ?
Nous avons eu 68 projets globalement. Et sur ces 68 projets, il y a eu 37 projets de films. Le Fopica n’a pas seulement pour vocation de financer des projets de films. Son rôle est de structurer l’industrie cinématographique et c’est la raison pour laquelle nous sommes obligés d’intervenir sur tous les maillons de la chaîne. C’est d’abord la formation qui permet l’émergence de cette nouvelle génération. C’est la production, la distribution, l’exploitation. C’est aussi les secteurs connexes comme la recherche sur le cinéma, l’innovation… C’est un fonds qui brasse large et qui pour le moment n’a pas assez d’argent par rapport aux missions qui lui ont été assignées par l’Etat du Sénégal. Mais nous nous battons aussi pour la diversification des sources de financement afin de mieux stabiliser le fonds.

Quels sont les challenges que se fixe le Fopica pour l’avenir ?
Notre principal défi c’est la stabilisation du Fopica. Au bout de 5 ans d’existence, nous nous rendons compte que le fonds n’est toujours pas stabilisé. Il est logé au Trésor public, le ministère des Finances effectue des ponctions chaque fois que bon lui semble. Nous avons le sentiment d’être en face d’une situation où quelqu’un est obligé de te donner de l’argent mais refuse que l’argent sorte de sa poche et se réserve le droit d’utiliser cet argent comme il le veut, quand il le veut sans même te demander ton avis. C’est une situation assez inconfortable. Parce que nous sommes confrontés aux attentes multiples des cinéastes du Sénégal et aux espoirs et aspirations des cinéastes africains qui voient que le Sénégal est en train de reprendre l’initiative et son rôle de leader dans ce secteur. Il ne faut pas que tout cet espoir tombe par terre. Il faut qu’on se batte pour stabiliser le fonds. L’autre défi c’est la diversification des sources de financement. Parce que jusqu’ici, c’est l’Etat qui donne de l’argent et ce que l’Etat donne, ne semble pas suffisant par rapport aux attentes et besoins. La question, c’est de trouver d’autres mécanismes qui permettent de renforcer et d’augmenter le volume financier pour permettre au fonds d’assurer la mission qui lui a été confiée par l’Etat du Sénégal. En réalité le fond de la question, c’est que l’argent est logé au Trésor public et fonctionne sur la base de l’année budgétaire qui est définie par l’Etat du Sénégal. Alors qu’un projet cinématographique ne peut pas fonctionner sur la base d’une année budgétaire. Je pense que la stratégie c’est de tout faire pour que l’Etat nous permette de pouvoir loger le Fopica dans une banque de la place ou à la caisse de dépôt et de consignation, ou ailleurs. Mais qu’on sorte le Fopica du Trésor public, parce que tant qu’il y sera logé, nous serons confrontés à ces difficultés. Et je le dis et le répète, le monde du cinéma a ses spécificités, les projets mettent plus de temps à se faire.