Il y a un jour, un enfant est venu devant moi. J’étais à l’arrêt bus. C’était un jeune, comme on en voit partout à Dakar. Sans rien demander, il a juste baissé sa culotte. Ses testicules étaient enflés. Ils avaient la taille d’une balle de tennis. Il n’a toujours rien dit. Il est reparti.
L’autre jour, nous étions au parc de Hann, un après-midi de dimanche, un enfant talibé est venu vers nous. Il avait la joue droite ravagée par une vilaine cicatrice. Quand on lui a demandé c’était quoi, il a dit c’était un abcès qui a mal guéri. Tous ces deux talibés avaient une dizaine d’années, environ. La souffrance des enfants s’inscrit dans un continuum.
Devant le lac du parc de Hann. Assis à un table-banc. L’eau, caressée par un léger vent, fait des ondes. Ce même frémissement qui me fait aujourd’hui défaut. Habitué que je suis à la détresse sociale. C’était un après-midi tranquille. Faut pas se faire de tracas.
Quelques étudiants, qui révisent, habitués au parcoeurisme. Quelques couples qui se promènent qui n’ont plus rien au cœur. Ils ne se tiennent que par leurs petits bouts de chou. Des sportifs. Des cigognes pour le décor. Il y a dans l’amour comme dans la mendicité deux choses en commun : ceux qui exploitent leur propre misère et ceux qui exploitent l’innocence des enfants.
Quand je repense à toute cette horde d’éclopés, de lépreux, de culs de jatte qui occupent les trottoirs, ces entrepreneurs de la souffrance. Ceux qui envoient les enfants mendier dans les rues. La combinaison des deux existe aussi. Et le vieil aveugle surgit tenant une main fébrile sur une béquille une autre sur l’épaule frêle de l’enfant. Un sac en bandoulière.
Et Laye Gaïndé dans cette histoire ? L’homme vit en partie de sa gloire. Il traîne dans le parc les dimanches avec des extraits de journaux photocopiés. Les papiers racontent qu’il est entré dans la cage du lion César en 1986. Il y est resté pendant 5 heures d’horloge. Les extraits de journaux sont censés être la preuve de l’authenticité de son exploit.
Il avait 26 ans à l’époque de son fait d’arme. Il est aujourd’hui sexagénaire.
Laye c’est un ancien technicien de l’élevage. Il ramassait la viande clandestine dans les abattoirs informels dans Dakar. Il collectait de la viande d’âne, de cheval, de carcasses d’animaux morts, toutes ces saletés qu’on nous passer dans nos intestins. Mais de quelle bête provient toute cette viande bon marché vendue en brochettes. Laye avait donc son boulot. Il a pris une retraite anticipée. C’est son droit. Certains boulots ne méritent pas qu’on aille jusqu’au bout. Il dit qu’aujourd’hui les temps sont difficiles pour lui. Il n’est pas le seul.
Revenons à l’exploit de Laye Gaïndé. Il dit qu’il est entré dans la cage du lion César pour exiger sa libération. Il voulait le conduire à la brousse ainsi que ses autres congénères. Revivre à l’état sauvage, c’est une tentation plus humaine qu’animale.
Qui des deux avait réellement perdu sa liberté ? Le félin en cage ou l’homme qui s’ennuie ferme dans son boulot.
Les couples s’évadent. Ils arrivent avec leurs enfants. La famille est la seule unité de personnes unies par les liens inconditionnels qui subsistent dans nos villes. Tous les garçons s’appellent Momo, les petites filles s’appellent «maman». La petite fille a des «pompons» attachés par des chouchous en couleurs. Il y a une féerie de couleurs sur sa tête. Le bonheur familial est sans doute la seule existence qui nous réunit encore.
Quel est le secret des couples qui durent ? C’est faire semblant. Sauver l’apparence. Un peu comme la surface de ce lac qui frémit à la caresse du vent. Un peu comme Laye qui cache sa misère dans sa gloire. En dessous, la lutte pour la survie est à l’œuvre.
Laye Gaïndé interpelle les passants. Il est à la fois le héros et le narrateur de son histoire, attestée par les journaux.
La petite fille aux pompons a voulu s’approcher du lac, la mère accourt et la retient : «Attention, il y a le crocodile là-bas.» Nombre de bêtes sauvages, chiens, lions, loups, rodent aux alentours du périmètre bonheur familial. Ils sont prêts à surgir pour attaquer l’enfant récalcitrant.
Comme si dans l’arrière-cour de chaque famille, il y a un bestiaire imaginaire de fantômes, garant de l’équilibre familial. L’envers du bonheur, c’est le mensonge. Ignorez les testicules gonflés de l’enfant talibé et pensez à ceux qui se promènent un dimanche au bord du lac sous le regard tendre de maman.
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1 Comments
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C’est cet article qui est un vrai délire… Quel torchon !