C’est très souvent le désir de gagner leur vie qui pousse les gens à partir. La plupart des personnes qui quittent chez elles le matin en quête de travail considèrent cette démarche comme gratifiante. Lorsqu’elles quittent leur domicile, c’est dans l’espoir d’y retourner le soir. Nombre d’entre elles espèrent gagner ainsi suffisamment d’argent pour pouvoir nourrir leur famille. Mais toutes ces heures passées dehors à chercher de l’argent leur font souvent perdre la réalité de leur famille. La fille de 15 ans est enceinte des œuvres de l’ami du père. Elle avait faim, il l’a amenée au resto. L’argent nous fait courir.
Le lendemain de la dévaluation. Tout d’un coup, plus de chocolat dans le pain. Plus de Nestlé concentré (ce lait sucré doux et sucré comme la bave d’enfant qui tête) dans les tasse de café. Du sexaaw pour tout le monde. Le sevrage brutal. Forcément ça marque.
On ne célèbre pas cette année les 21 ans de la disparition de Djibril Diop Mambety. Revoir ces films comme Touki bouki, Hyènes, Le franc, éveille une certaine nostalgie. Cette forme de liberté qui flottait dans le Dakar des années 90… Les grands artistes emportent avec eux une époque, un monde. Le franc pose toute la douloureuse question du Cfa. Hyènes montre tout ce que les hommes sont capables de faire au nom de l’argent. Mambety est un balzacien. Le règne du tout-puissant dieu argent. L’argent peut-il tout remplacer ? La dignité, l’honneur, l’innocence d’une fille de 15 ans. Il n’y a plus le grand intellectuel sénégalais qui émoustille les foules avec ses pensées faciles. Bachir Diagne est un brillant penseur, mais il lui manque ces citations magiques, faciles à retenir. Ousmane Sow n’est plus. Il n’y a plus de grand écrivain qui émerge. Les groupes de musique n’ont plus l’aura des années 90.
Il n’y a de misère que solitude. La solidarité vient à bout de toute détresse humaine. Les échelles de mesure de la pauvreté ne disent rien sur le désarroi profond de nos sociétés. Les nuits de jeudi à vendredi, je regarde les jeunes danser au coin de la rue. Des rythmes inventés, des paroles mélangées d’arabe, de wolof, de louanges, de prières. Un hommage à un marabout obscur. La foi, c’est d’abord un défoulement. La foi est joie.
Les hommes trouveront toujours le moyen de se divertir. L’éclosion des «thiants» dans nos sociétés contemporaines apparaît ainsi comme la résultante de recherches d’occupation urbaines d’une part et d’une forte contrainte économique d’autre part. Le «thiant» moderne s’apparente ainsi, souvent, à une pratique ostentatoire, particulièrement mise en avant par les jeunes des banlieues à travers de véritables rituels, qui disposent de leurs propres codes, et réseaux pour exprimer en commun leur foi et combler leur désœuvrement. Selon la Banque mondiale, les jeunes représentent 60% de l’ensemble des chômeurs africains. Les difficultés d’insertion des jeunes et la problématique de l’emploi constituent une menace latente sur nos cités.
Abdou est chanteur de «thiant» depuis cinq ans : «J’ai fait tous les petits boulots possibles et imaginables pour ne pas tendre la main. Un moment, j’ai pu me faire embaucher comme ‘’siroumane’’ (chauffeur suppléant) d’un taxi qui appartient à un parent. C’était par moments très pénible. Un ami m’a proposé de venir chanter avec lui dans les ‘’thiants’’. J’ai accepté, mais je ne sais pas de quoi demain sera fait. Je ne me pose même pas la question.»
«Thiaw sakhir». Il y a une connotation purement sexuelle dans cette expression. Je crois savoir qu’il y a un objet sexuel dénommé ainsi, une sorte de cravache que les femmes utilisent dans leur intimité et qui se vend bien, à ce qu’il paraît. La posture cavalière donne à la femme une idée de domination… «Thiaw sakhir» est pour moi l’expression de la puissance féminine. Les femmes prennent le pouvoir.