Il est temps de grandir. Pour les entrepreneurs sénégalais, en général, c’est toujours la faute à l’Etat si les choses ne vont pas dans le sens qu’elles veulent. Il est vrai que nos autorités publiques ont une forte tendance très fâcheuse, de tendre le bâton pour se faire battre. Sur beaucoup de points, les griefs exprimés hier par M. El Hadj Abdourahmane Diouf se justifient plus qu’amplement. Il suffirait de regarder le monstrueux moignon qui enlaidit aujourd’hui l’ancienne gare routière des Pompiers. Avec tous les avantages que l’Etat du Sénégal leur a offerts, les promoteurs marocains n’ont pas été en mesure, plus de deux ans après, d’achever leur chantier, alors qu’il était prévu pour durer 9 mois au plus. La raison ? Une mauvaise étude du marché, essentiellement.
En son temps, quand ce cadeau était fait à l’entreprise marocaine, beaucoup de voix sénégalaises s’étaient élevées, pour parler d’une opération d’enrichissement injustifiée, et déclarer que si l’on avait offert les mêmes avantages à des entrepreneurs sénégalais, ils seraient en mesure de faire mieux. Au vu de ce qu’est devenu le projet, tout le monde serait disposé à le croire. Néanmoins, cela ne justifie pas tout.
Le secteur privé sénégalais n’est pas lui non plus, exempt de tout reproche. Les entrepreneurs demandent que l’Etat leur fasse confiance et leur accorde les mêmes facilités qu’aux étrangers. Or, en eux-mêmes, ils n’ont quasiment pas de point d’entente. Pour parler du Cis, qui est l’un des derniers syndicats patronaux à voir le jour, on se demande ce qui peut justifier sa naissance. Un jour, son président, Babacar Ngom, mettait en avant le critère de nationalité pour faire la promotion de son «bébé», allant même jusqu’à dire que dorénavant, les adhérents pourraient discuter des points qui les concernaient, en wolof… ce qu’ils ne seraient pas en mesure de faire dans les autres structures, «noyautées par de non-Sénégalais». Mais s’il ne s’agissait que de cela, pourquoi ne pas avoir rejoint l’Unacois ? A notre connaissance, cette structure patronale remplit totalement les conditions voulues par Babacar Ngom et son équipe. Ou est-ce parce que, après avoir vainement tenté une Opa sur la Cnes, le patron de la volaille sénégalaise ne se voyait pas conquérir aisément la forteresse de Idy Thiam ? C’est juste une interrogation.
Mais pour ce qui est du débat sur les faveurs aux privés nationaux, bien qu’il n’est pas nouveau, il ne devrait pas non plus servir de prétexte pour mettre à l’index des sociétés bien établies sur place, qui entrent en compétition sur les marchés de l’Etat aux mêmes conditions que tout le monde, sous le motif fallacieux qu’elles seraient des filiales de multinationales étrangères. D’abord, tout le monde bénéficie de la protection de l’Etat, d’une manière ou d’une autre. Il n’est pas certain que la Sedima aurait atteint son envergure actuelle si l’Etat sénégalais n’avait pas défié le Brésil, les Usa, les Européens et l’Omc, en fermant son territoire à la volaille étrangère. De l’autre côté, si une société est reconnue de droit sénégalais, et emploie pour l’essentiel, des nationaux sénégalais, et va, sous le label sénégalais, à la conquête des marchés de la sous-région, sur quelle base voudrait-on l’exclure du Code des marchés ?
Et même dans le cas où son propriétaire serait étranger, comme dans le cas de la Compagnie sucrière du Sénégal, pourrait-on affirmer en gardant son sérieux que cette entreprise ne travaille pas pour l’intérêt national ?
Le vrai combat pour le secteur privé sénégalais, devrait être de se donner les moyens techniques et financiers pour être crédible devant l’Etat et les donneurs d’ordre. Vouloir jouer des connivences pour bénéficier du label national ne suffit plus. Dans les années 1970-80, ces considérations ont conduit à la faillite de l’essentiel du secteur bancaire national et à la disparition quasi-totale du tissu industriel sénégalais. Quarante ans après, on ne devrait plus retomber dans les mêmes travers.