Jeudi 4 janvier 2018, fête du 36e anniversaire de l’Ecole nationale des officiers d’active. Une belle cérémonie au terme de laquelle Le Quotidien a tenté d’infiltrer les mystères de la célèbre et énigmatique académie de formation de l’élite militaire sénégalaise et africaine. Bienvenue au sanctuaire d’honneur du «Xel», du «Jom» et du «Fit».
En arpentant le pont qui enjambe le grand canal ceinturant la face sud-ouest de l’ex base aérienne du camp militaire de Thiès, le visiteur s’interroge sur le mystère que cache l’imposant portail qui se dresse en face de lui, surmonté d’une enseigne lumineuse aux couleurs bleu ciel, sur laquelle peut se lire l’inscription : «Ecole nationale des officiers d’active». Là, les rues sont désertes. Le chemin de l’honneur, jalonné de gros caïlcédrats et prolongeant l’entrée principale de la base, est étrangement vide. Un parcours qui apparaît comme unique témoin silencieux de ce temple du savoir. Nous sommes au cœur de la base des forces de la zone militaire n°7. Un univers qui concentre, entre autres, l’Ecole de l’armée de l’air (Eaa), l’Ecole d’application d’infanterie (Eai), les Bataillons des commandos, des blindés, le Centre d’entraînement tactique.
La rigueur de la tenue et de la posture, l’air grave des hommes de garde trouvés au poste de police non seulement invitent à la discipline, mais renseignent sur la solennité des lieux. Le silence et l’ordre qui y règnent ne sont perturbés que par le gazouillis des oiseaux, du haut des arbres, et autres rapaces qui profitent du calme et de la qualité du micro climat de la base aux allures d’une forêt classée. Ou encore, par l’écho de «Gloire aux jambaars» entonné par des élèves officiers en ordre serré et à l’allure chevaleresque. Tout près de ces arbres, trois bâtiments où logent les élèves officiers d’active meublent le décor. Au centre du dispositif, la cour de la devise encadrée par deux cases fait face au poste de commandement de l’école. Le réfectoire, la piscine, une attraction pour les populations locales dépourvues d’air marin, le stade de foot, le repaire de la Compagnie de support donnent aux lieux une âme. Plus loin, des salles d’instruction, de cours, l’amphithéâtre, la bibliothèque, un garage mécanique, une buanderie, un service de casernement, entre autres, complètent le décor. De l’autre côté du Carré d’armes, l’avenue des Chemins de l’honneur sépare l’école de la zone vie des cadres et du domicile du Commandant de l’école.
Un produit très prisé
L’Enoa est une académie militaire d’enseignement supérieur dont le label d’excellence est reconnu au-delà de nos frontières. Créée par le décret numéro 81-689 du 8 août 1981, elle ouvre ses portes le 4 janvier 1982. Une date qui marque, selon son commandant, colonel Boubacar Koïta, «une étape importante dans l’histoire de la formation militaire au sein des forces armées». En fait, au lendemain de l’indépendance, les premiers cadres officiers, en nombre limité, provenaient de l’Armée française. La politique de formation aussitôt entreprise, d’abord axée sur les Ecoles françaises, devait s’étendre par la suite à d’autres pays tels que Madagascar, Maroc, Côte d’Ivoire, Grande Bretagne et Egypte. Saisissant l’occasion offerte par la déconcentration des formations militaires du Cap Vert sur l’ex-base aérienne de Thiès en 1981, l’Ecole sera installée dans les anciens locaux du Centre national d’éducation populaire et sportive (Cneps). En effet, les jeunes officiers d’active de l’Armée de terre sont désormais formés dans un moule sénégalais et d’une manière adaptée aux réalités et besoins du pays. Ainsi, explique colonel Koïta, «du statut d’école nationale à sa création, l’Enoa passera d’Ecole nationale à vocation régionale de 1998 à 2007, en partenariat avec la France, avant de redevenir exclusivement nationale en 2008».
«881 officiers armés»
L’Ecole nationale des officiers d’actives a formé, en 36 ans, 881 officiers originaires de 17 pays africains, dénombre le commandant de l’école. Il s’agit du Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Cap Vert, Congo, Côte d’ivoire, Djibouti, Gabon, Gambie, Guinée, Madagascar, Mali, Niger, République Centrafricaine, Tchad, Togo et Sénégal. La mission principale de l’Enoa est de former en deux ans des officiers d’active destinés à l’encadrement des formations des armées, de la Gendarmerie nationale et de la Brigade nationale des sapeurs-pompiers. Elle participe aussi au perfectionnement des officiers en cours de carrière et à la formation des officiers de réserve. La formation des Elèves officiers d’active (Eoa) qui vise à conférer une compétence professionnelle générale comporte quatre volets essentiels, les prédisposant à l’exercice de leurs futures responsabilités de chef de section. Il s’agit de l’instruction militaire, tactique et technique, de la formation militaire générale, de l’entraînement physique et sportif et de la formation civique, morale et à l’exercice de l’autorité. De plus, les élèves officiers bénéficient d’un enseignement académique délivré par des professeurs des Universités de Dakar et de Thiès, lequel est complété par une série de conférences de haut niveau animées par des cadres civils et militaires. En plus de cette formation très exigeante, la vie de l’Eoa est jalonnée d’intenses activités académiques de formation au métier d’officier, dont les stages parachutiste et commando, de mise en œuvre d’explosifs, d’immersion en corps de troupe, de conduite automobile, d’équitation, etc. Une formation qui s’appuie sur de très fortes traditions, lesquelles, au-delà de leur rituel, de leur symbolique, constituent le ciment de la cohésion et le lien ombilical entre promotions.
De fortes «traditions» d’école
Les traditions de l’Enoa qui puisent leurs composantes dans la civilisation négro-africaine, non seulement marquent l’intégration des futurs officiers dans la communauté militaire, mais visent à tremper les âmes et à marquer les consciences à l’art militaire. En plus de leur fort coefficient symbolique et de leur caractère fonctionnel, lesdites traditions ambitionnent de construire un patrimoine partagé qui fournit le substrat d’une culture professionnelle vivace. Et sous couvert du principe de continuité, la perpétuation de la mémoire de l’Enoa constitue un enjeu éthique, fonctionnel et identitaire de l’école. Dans cet esprit, l’âme de l’école doit être entretenue et redynamisée par quelques symboles unificateurs tels que la sacralisation du souvenir et du devoir de mémoire. Et pour conserver l’image de marque de l’école, les activités d’initiation doivent garder toute leur valeur éducative et pédagogique dans le but de forger les forces morales des élèves officiers d’active. Aussi, leur permettre de contribuer à rehausser le prestige. En réalité, les traditions revêtent une importance primordiale dans le développement de l’humilité, de l’esprit de dépassement et de discipline, préalables indispensables à l’exercice des responsabilités à faire face. En résumé, les traditions d’école qui recouvrent de nombreux rites et activités, parmi lesquels : l’entrée dans le bois sacré, la remise du sabre et des attributs, le parrainage, la turne, la remise du bracelet, la présentation du drapeau, le match traditionnel, la remise d’épaulettes, etc. visent non seulement à enraciner les élèves officiers dans l’histoire commune, mais aussi à fonder l’esprit de promotion qui préfigure l’esprit de cohésion des unités et prépare à l’avenir, en affermissant les esprits et les volontés. Dans cette perspective, elles constituent le principal support de la formation, car relevant à la fois de l’éthique, de notre histoire, ainsi que du style et du rayonnement de l’école. Aussi, au-delà de son caractère autoréférentiel, le recueil des traditions à l’Enoa joue surtout un rôle intégrateur de sauvegarde du culte du sacré et d’une mémoire commune dans une dynamique de promesse de continuité. Loin d’être réductible à un simple conservatisme, ces activités de tradition traduisent la vitalité de l’Enoa d’une part, et de l’autre elles portent une attention particulière à la mémoire et à la tradition à travers des rituels vivaces et omniprésents. Dans cet esprit, la symbolique de l’Enoa est constituée d’abord de la tenue traditionnelle dite tenue «Jambar» qui, par son originalité, traduit l’ancrage de l’école aux traditions guerrières africaines. Il y a ensuite la devise de l’école qui, gravée en lettre d’or sous le mât des couleurs, se compose d’un idéogramme entrelaçant la lettre grecque «Phi» et une flèche symbolisant les valeurs de «Xel», le savoir ou la sagesse ; de «Jom», le sens de l’honneur et, enfin de «Fit», le courage. Ces valeurs sont la pierre angulaire de l’étoffe de l’homme d’action et de réflexion. Du haut de son piédestal, le Guerrier traditionnel ou Grand Jambar ne veille-t-il pas jalousement sur la cour de la devise. Œuvre d’art de grande facture, dont l’entretien périodique incombe aux élèves de première année, ce «Combattant» incarne l’homme d’honneur et de serment dont les valeurs ne doivent jamais quitter l’officier issu de l’Enoa, tel que chanté par le célèbre poète-écrivain, Mbaye Gana Kébé, fidèle ami de l’école : «Homme d’honneur et de serment qui ne recule ni devant la salve nourrie ni devant le lion rouge sibi, homme fermement accroché aux vertus cardinales, qui se veut pilier superbe, rempart magnifique, lorsque tout tremble et s’écroule alentours.» Enfin, le Bracelet Jambaar, remis aux jeunes le jour du sacre par leurs anciens de vingt ans porte sur sa face externe le symbole de l’école et sur celle interne reste gravé le nom de l’officier. D’autres symboles font partie du patrimoine culturel de l’Enoa, comme la Cour de la devise où se dresse le sanctuaire dédié à la mémoire composé de deux cases réservées aux promotions et aux traditions, ainsi que la salle d’honneur, creuset unique des traditions de l’école qui, à travers un style muséographique innovant, ambitionne d’être le principal dépositaire de l’histoire de l’institution, le ciment de la cohésion et le lien entre promotions. Le visiteur du jour, assurément, reste impressionné par la sacralité des avenues nobles comme l’avenue des Chemins de l’honneur que seuls les initiés sont autorisés à arpenter, les Puits et Bois sacrés dont l’inviolabilité est strictement, jalousement préservés par l’officier des traditions nommé Kocc.
Enoa : Un exemple d’intégration africaine
L’Enoa se présente aujourd’hui comme un véritable pôle d’intégration africaine et de coopération militaire régionale et internationale. Ce, du fait de la constance de la confiance des pays amis du Sénégal qui continuent de lui confier la formation de leurs officiers. C’est ainsi qu’elle entretient avec l’Académie américaine de West Point et le Collège militaire royal du Canada un partenariat d’échanges d’expériences et de programmes de formation, matérialisé par des séjours d’immersion d’élèves dans les académies respectives de ces derniers pays. L’Enoa organise également des séminaires de formation civique ou militaire au profit d’universités et instituts, et d’enseignement supérieur (Ena, Ufr/Santé, Ecole militaire de santé, séminaire des sous-lieutenants, etc.). En plus d’être le principal creuset de formation de l’élite de nos Armées, l’Enoa reste un pôle moderne de formation militaire qui rayonne aussi bien en Afrique que dans le monde. Elle constitue un exemple de réussite et de fierté nationale.
L’Enoa face à la montée en puissance enclenchée depuis septembre 2014
Eminemment trôné sur l’estrade, le bracelet traditionnel de l’Enoa à la main, avec la tenue de cérémonie bien soignée, le commandant de l’Enoa, colonel Boubacar Koïta, d’un style simple, abordant le thème du 36e anniversaire, «L’Enoa face à la montée en puissance», d’expliquer : «Ce thème est la marque du réalisme de cette journée. Il devrait nous conduire à identifier les défis majeurs inhérents à la modernisation de notre outil de formation destiné à former l’élite militaire africaine selon des normes standard.» Dans ce cadre, l’officier supérieur de rappeler que «des vieilles installations du Cneps, l’Enoa n’a cessé de grandir et de se moderniser lentement et sûrement». A cet effet, poursuit colonel Koïta, «des efforts considérables ont été consentis par le commandement pour la construction de sa renommée». Ainsi, «conçu au départ pour recevoir des effectifs variant de 25 à 30 élèves officiers d’active, l’Enoa recrute désormais, et cela depuis 2014, des promotions qui évoluent entre 50 à 60 élèves officiers afin de pouvoir répondre aux besoins des Armées en termes de ressources humaines dans le cadre de la montée en puissance». A cela s’ajoutent, poursuit le commandant de l’Enoa, «l’arrivée régulière de formation extérieure venant de la police, des eaux et forêts, de l’Ecole nationale d’administration et surtout des promotions de Dago qui subissent désormais un an de formation au sein de cette école afin de les mouler et de les préparer à leur futur statut d’officier». De même et pour faire face aux capacités limitées des infrastructures héritées de l’ancien Cneps, de nombreux bâtiments vont être construits au fil des années, renseigne colonel Boubacar Koïta qui cite la construction de la bibliothèque de l’école, un troisième bâtiment d’une capacité de 60 places qu’occupe aujourd’hui la 37e promotion, entres autres infrastructures. Des efforts louables, mais insuffisants, selon colonel Koïta, qui plaide l’amélioration des installations, «au regard de l’évolution des moyens et de l’environnement pédagogiques dans l’enseignement militaire de haut niveau et des ambitions de l’Enoa qui se veut un pôle d’excellence». Dans ce cadre, explique-t-il, «le chef d’état-major général des Armées (Ndlr : Le général de corps d’armée Cheikh Guèye) a inscrit la modernisation de l’Enoa au rang des priorités. C’est ainsi qu’un plan Marshall au profit de l’Enoa a été décliné», a révélé Boubacar Koïta, tout en assurant que de nouvelles infrastructures sortiront de terre dans un avenir «très proche». Ainsi et d’espérer que la «vision futuriste du Cemga va transformer l’Enoa en la dotant d’équipements et d’infrastructures ultra modernes dignes de grandes académies militaires». Dans cette perspective et pour accompagner cette «noble volonté», le commandant des corps de l’Enoa, Boubacar Koïta, exhorte «l’ensemble du personnel de l’établissement à donner le meilleur de soi-même et d’accompagner le commandement dans la matérialisation de cette volonté, afin de permettre à l’Enoa de consolider sa notoriété et son prestige tant au plan africain que mondial». Il a terminé par magnifier le renforcement de la coopération entre l’Enoa et les académies de grands pays qui sollicitent l’échange, l’expérience et l’expertise. Il s’agit de l’Allemagne, le Brésil, le Canada, les Etats-Unis, la France et bientôt de la Chine.
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