Formalisation de la médecine traditionnelle : Tout est dans les tiroirs

A quand l’intégration de la médecine traditionnelle dans le système national de santé ? C’est cette question que se posent les acteurs du secteur, avec à leur tête Abdoulaye Ndao, président d’honneur de la Fédération nationale des praticiens de la médecine traditionnelle. Avec la 23è Journée africaine de la médecine traditionnelle célébrée hier, il renseigne que 85% des Sénégalais ont recours aux praticiens de la médecine traditionnelle pour leurs soins. Vous avez célébré la 23è Journée africaine de la médecine traditionnelle. Pouvez-vous nous expliquer ce que représente cette médecine pour vous ?
La médecine traditionnelle est un souffle de Dieu confié aux peuples, un héritage sacré qui soigne le corps, éclaire l’âme et fortifie la communauté. Elle dépasse les simples plantes et recettes : c’est une alliance entre la création et l’homme, entre la sagesse des anciens et les besoins des générations futures. Protéger nos savoirs, c’est honorer un dépôt divin, préserver notre souveraineté et reconnaître les praticiens comme les véritables gardiens de ce trésor vivant.
Vous êtes le président d’honneur de la Fédération nationale des praticiens de la médecine traditionnelle, mais également le président de l’Association des médicodroguistes, phytothérapeutes, herboristes et opothérapeutes traditionnels du Sénégal, ambassadeur de paix universelle et fondateur d’Awada Naturothérapie. Votre parcours dans ce domaine est impressionnant.
Pouvez-vous nous en parler ?
Héritier d’un savoir sacré transmis par mes ancêtres, j’ai choisi de le développer et de le partager, convaincu que la guérison touche non seulement le corps, mais aussi l’âme, l’esprit et la communauté. Mon parcours m’a conduit à occuper plusieurs responsabilités au Sénégal et à représenter notre pays sur la scène internationale.
Depuis 2003, la Journée africaine de la médecine traditionnelle est célébrée chaque année. Quel bilan faites-vous ?
Depuis 2003, chaque année, un thème est choisi, des discours sont prononcés, des réflexions profondes sont partagées. Mais une question fondamentale demeure : quand allons-nous traduire toutes ces réflexions en actions concrètes pour intégrer réellement la médecine traditionnelle dans nos politiques nationales de santé ? Depuis 2003, tout ce qu’il fallait dire a été dit, mais l’essentiel de ce qu’il fallait faire a été négligé.
Pouvez-vous donner des exemples précis ?
Le projet de loi sur la réglementation de la médecine traditionnelle dort à l’Assemblée nationale depuis 2017. Les cinq centres d’expérimentation clinique inaugurés depuis 2003 n’ont pas eu de suite. Le système de référence croisé entre cliniciens et praticiens de la médecine traditionnelle, pourtant une initiative unique de collaboration, est resté inachevé. Des initiatives pionnières se sont arrêtées en chemin. Pourtant, 85% de la population sénégalaise recourent encore aux praticiens de la médecine traditionnelle, preuve de leur importance sociologique.
Quelles sont vos attentes concrètes pour la médecine traditionnelle au Sénégal ?
Nos attentes sont simples mais essentielles : faciliter l’obtention de l’Autorisation de mise sur le marché (Amm) pour nos produits ; enregistrer les médicaments traditionnels normalisés dans la liste nationale essentielle ; mettre en œuvre la politique nationale de la médecine traditionnelle et son plan stratégique ; associer les praticiens à toutes les étapes de planification et d’exécution des politiques de santé ; créer des institutions dédiées à la médecine traditionnelle, comme cela existe au Ghana, au Bénin, au Mali ou en Côte d’Ivoire.
Beaucoup semblent réduire la médecine traditionnelle à la phytothérapie. Qu’en pensez-vous ?
Réduire la médecine traditionnelle à la simple transformation de plantes revient à étouffer sa véritable essence et à nier l’identité des praticiens. Elle comprend également l’art du diagnostic endogène, basé sur l’observation, l’intuition et les connaissances spirituelles ; des approches thérapeutiques non médicamenteuses : massages, ventouses, rituels de purification ; la dimension spirituelle et holistique de la guérison ; les savoirs alimentaires et diététiques ; la transmission des valeurs culturelles et sociales liées à la santé.
Quels autres enjeux doivent être pris en compte selon vous ?
Nous devons protéger nos savoirs face au risque de biopiraterie et reconnaître les praticiens comme de véritables acteurs économiques et industriels, porteurs d’innovation, de souveraineté et de développement. Il ne s’agit pas de folklore, ni d’un héritage du passé à contempler, mais d’une source de guérison, d’une source de souveraineté et d’une véritable voie d’avenir pour la santé et l’économie de notre pays. La médecine traditionnelle ne doit pas être dépossédée de ses gardiens naturels : les praticiens. Nos savoirs sont des richesses vivantes capables de bâtir des filières économiques, de créer des industries équitables et de contribuer à une santé publique inclusive.
Que pensez-vous de la réglementation et de la protection des praticiens ?
La pharmacopée et l’Amm sont importantes, mais elles ne doivent pas devenir un domaine réservé à ceux qui détiennent déjà la documentation. La médecine traditionnelle est une source de souveraineté et doit rester entre les mains de ses gardiens naturels. L’absence de cadre juridique favorise aujourd’hui le charlatanisme et ternit l’image de notre médecine. Soyons clairs : la santé ne doit pas être un fonds de commerce et le médicament ne doit pas devenir une marchandise au détriment de la vie humaine. Il est urgent de créer un système de régulation et de concertation efficace.
Quelle est la situation actuelle de la Cellule de la médecine traditionnelle au Sénégal ?
Son manque de dynamisme ces dernières années donne l’impression qu’elle n’existe presque plus. Pourtant, elle a déjà démontré son utilité en impulsant, coordonnant et accompagnant les initiatives structurantes. Il est urgent de la réorganiser pour qu’elle retrouve son rôle stratégique dans la valorisation de nos savoirs et dans l’intégration harmonieuse de la médecine traditionnelle au système national de santé.
Quel message souhaitez-vous adresser à l’Etat et au gouvernement ?
En ce jour symbolique, j’interpelle solennellement le Président, le Premier ministre et l’ensemble du gouvernement. Comme je l’ai fait avec leurs prédécesseurs, mais jusqu’ici sans réponses satisfaisantes. Le peuple sénégalais continue de croire en la médecine traditionnelle. Il est temps de lui donner la place qu’elle mérite : une médecine vivante, efficace et enracinée, capable de coexister avec la modernité pour le bien-être de tous.
Celui qui trahit la médecine traditionnelle trahit la mémoire de ses ancêtres. Celui qui la protège honore le pacte sacré entre l’homme, la nature et Dieu.