La campagne présidentielle victorieuse de Nicolas Sarkozy en 2007 a-t-elle profité de financements libyens ? L’ex-chef de l’Etat a été placé en garde à vue hier, pour la première fois dans ce dossier sur lequel les juges enquêtent depuis cinq ans.

L’ancien Président est entendu depuis hier matin par les policiers de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (Oclciff) à Nanterre, près de Paris, a indiqué à l’Afp une source proche de l’enquête, confirmant une information du Monde et de Mediapart.
A l’issue de cette garde à vue susceptible de durer jusqu’à 48 heures, il peut être remis en liberté, présenté à un juge en vue d’une éventuelle mise en examen ou convoqué ultérieurement.
Cette mesure coercitive est possible dès lors qu’il existe «une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner» qu’une personne a commis une infraction punie d’une peine d’emprisonnement, d’après les textes.
Le député européen, Brice Hortefeux, un très proche qui fut ministre de l’Intérieur pendant le quinquennat Sarkozy (2007-2012), est pour sa part entendu en audition libre, a indiqué une source proche du dossier.
Contactés par l’Afp, les avocats de MM. Sarkozy et Hortefeux n’avaient pas réagi dans l’immédiat.
Cette nouvelle étape marque un coup d’accélérateur dans ce dossier tentaculaire instruit par des magistrats du pôle financier depuis 2013.
Les juges s’intéressent à des flux financiers impliquant des protagonistes liés au régime de l’ancien dictateur libyen, Mouammar Kadhafi. D’anciens dignitaires de Tripoli et l’intermédiaire franco-libanais, Ziad Takieddine, ont évoqué la thèse de versements au profit de la campagne de Nicolas Sarkozy. D’autres responsables de ce pays les ont démentis et l’ancien chef de l’Etat a toujours rejeté ces accusations.
L’enquête, ouverte notamment pour détournements de fonds publics et corruption active et passive, a été élargie en janvier à des soupçons de «financement illégal de campagne électorale», selon une source proche du dossier. Cette décision fait suite à un rapport des policiers anticorruption de l’Oclciff, daté de septembre, qui pointait la circulation d’espèces dans l’entourage de Sarkozy du­rant la campagne 2007.
Interrogés par les enquêteurs, Eric Woerth, trésorier de la campagne présidentielle, et son adjoint chargé de la distribution des enveloppes, Vincent Talvas, ont répondu que l’argent provenait de dons anonymes, pour un montant global entre 30 000 et 35 000 euros, une justification contestée par d’ex-salariés de la campagne.
L’affaire a éclaté en 2012 après la publication par Mediapart d’une note attribuée à Moussa Koussa, ex-chef des services de renseignements extérieurs de la Libye, laissant penser à un financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy.
Depuis, les enquêteurs s’interrogent sur plusieurs opérations suspectes, notamment un virement de 500 000 euros perçu par l’ex-Secrétaire général de l’Elysée Claude Guéant en mars 2008, en provenance d’une société d’un avocat malaisien. Il a toujours affirmé qu’il s’agissait du fruit de la vente de deux tableaux, sans convaincre les juges qui les ont mis en examen notamment pour blanchiment de fraude fiscale en bande organisée.

Trois valises avec 5 millions d’euros
«Il n’y a pas d’élément dans le dossier qui justifie aujourd’hui une telle mesure spectaculaire de gar­de à vue. Après cinq ans d’enquête, on n’arrive toujours pas à prouver qu’un seul centime d’argent libyen a été versé à Nicolas Sarkozy», a regretté l’avocat de Claude Guéant, Philippe Bouchez El Ghozi.
Dans les rangs politiques, le patron des députés Les Républi­cains, Christian Jacob, a dénoncé mardi un «acharnement incompréhensible» contre l’ancien Prési­dent.
L’enquête avait déjà connu une accélération en novem­bre 2016 avec les déclarations fracassantes à Mediapart de l’homme d’affaires Ziad Takied­dine, qui a assuré avoir remis à Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Inté­rieur, et à son directeur de cabinet, Claude Guéant, -qui ont farouchement démenti-, trois valises contenant 5 millions d’euros en provenance du régime Kadhafi, entre novembre 2006 et début 2007.
Les juges s’interrogent également sur la vente suspecte en 2009 d’une villa située à Mougins (Alpes-Maritimes) à un fonds libyen géré par Bachir Saleh, ancien argentier du régime.
Les enquêteurs soupçonnent l’homme d’affaires, Alexandre Djou­hri, d’être le véritable propriétaire et vendeur de ce bien, qu’il a cédé à un prix «très surévalué».
La justice française souhaite interroger MM. Saleh et Djouhri. Le premier, actuellement en exil, a été blessé par balles fin février en Afrique du Sud. Le second a été arrêté à Londres en janvier et sera fixé sur son éventuelle extradition en juillet.
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