Frantz Fanon que voici est, quoi qu’on en pense, l’un des grands penseurs qui ont marqué le 20ème siècle par la puissance du verbe. Chez Fanon, le verbe n’est pas seulement étincelant. La pensée est une question de parole et celle de Fanon a été suffisamment haute pour que l’on puisse la placer sur l’horizon du 20ème siècle aux côtés des plus puissants.

Il a été pour les militants africains ce que Jean Paul Sartre fut pour les intellectuels militants de son époque. Seule la sincérité dans l’engagement peut conférer une telle tonalité, une aussi grande influence surtout pour les études postcoloniales aujourd’hui. C’est à la faveur de cette discipline universitaire aujourd’hui très prisée par les uns et incroyablement combattue par les autres que Frantz Fanon a pris le chemin du retour, non pas comme un spectre, mais un revenant se réincarnant à travers les âges et les idées. C’est le phénomène de la revivification et de la réincarnation intellectuelle. Les intellectuels ne meurent pas. Il a contribué de façon décisive à la libération des Peuples opprimés en leur offrant une arme redoutable par les arguments incisifs développés dans ses ouvrages. A ce propos, Achille Mbembe a raison de dire que «l’œuvre de Frantz Fanon fut pour tous les opprimés une arme de silex». Il a même servi de référence aux militants noirs américains.

Ce psychiatre né en 1925 à Fort-de-France en Martinique, «citoyen» français qui a connu les affres de la guerre mondiale où il été fait prisonnier, a pourtant été l’ambassadeur du gouvernement provisoire de la République algérienne au Ghana. L’explication en est que Fanon est «un militant universel». N’a-t-il pas dit dans Peau noire, masque blanc : «Chaque fois qu’un homme a fait triompher la dignité de l’esprit, chaque fois qu’un homme a dit non à une tentative d’asservissement de son semblable, je me suis senti solidaire de son acte.»

Cette philosophie l’a taraudé toute sa vie durant, elle lui a fait rencontrer ses alter ego Lumumba et Nkwame Nkrumah. Fanon avait l’esprit chevaleresque, un preux militant qui a échappé à deux attentats au Maroc et en Italie, les autorités coloniales françaises voulant le supprimer. Ce Martiniquais qui a démissionné de son poste de médecin-chef de l’hôpital de Blida-Joinville a été expulsé d’Algérie en Janvier 1957 parce qu’il empêchait plus même qu’il ne gênait le projet colonial. Sa contribution la plus décisive aura été la déconstruction du paradigme colonial par les moyens de la psychiatrie. Une méthode étrange et inédite qui fait encore débat aujourd’hui. En introduisant la sociothérapie dans les méthodes thérapeutiques proposées par les médecins coloniaux pour «soigner» les malades de type nord-africain, il a contribué de façon systématique à renverser le préjugé colonial par la méthode scientifique. Terrible démarche que celle de Frantz Fanon ! Une approche franchement «mortelle». Cette contribution qui est une œuvre d’école est certainement l’idée principale qui faisait courir ce gentleman de la pensée : la colonisation aura été le système qui a réussi à détruire psychologiquement le colon et le colonisé. Quoi de plus normal que d’introduire la méthode du traitement mental face aux affres psychologiques de la colonisation qui a littéralement décérébré le nord-Africain par exemple.

Frantz Omar Fanon, le plus illustre des tiers-mondistes, s’est éteint le 6 décembre 1961 à Washington à l’âge de 36 ans seulement. Il a été inhumé au cimetière des martyrs de la guerre, près de la frontière algéro-tunisienne, dans la commune d’Ain Kerma, léguant à la postérité des ouvrages majeurs, entre autres, Les damnés de la terre et Peau noire, masque blanc.