Free Bachir Fofana !

Depuis le mercredi 25 juin, Bachir Fofana est privé de liberté par la volonté du président de l’Assemblée nationale. M. Ndiaye poursuit notre confrère pour des propos relatifs au marché d’acquisition de véhicules destinés aux députés de l’actuelle législature. Il est, depuis cette date, enfermé et empêché d’exercer le métier qui le fait vivre et subvenir aux besoins de sa famille. Depuis cette date en effet, le procureur et les juges ont décidé de prolonger son calvaire, avant de prononcer un verdict définitif annoncé pour le 9 juillet. C’est mercredi prochain que nous saurons si ses proches auront le plaisir de le voir ailleurs qu’à travers les murs de la prison.
Le Quotidien ne présage pas de ce que sera ce délibéré, mais ce journal, dans lequel Bachir Fofana anime une chronique régulièrement suivie, a pris la décision de l’animer jusqu’à ce que nous soyons tous, y compris ses lecteurs, définitivement fixés. Bachir n’a pas sa place en prison, mais chez lui et dans les rédactions. Néanmoins, si les juges décident de priver sa famille de sa présence, ses lecteurs, au moins, pourront garder de lui le souffle de vérité qui anime sa plume depuis son arrivée dans le journal Le Quotidien.
Par ailleurs, il est assez ironique de voir la promptitude avec laquelle les autorités actuelles, qui promettaient une ère de liberté de parole et d’action à tous les citoyens, se montrent tellement réfractaires à toute opinion contraire. On peut se demander, si le marché d’acquisition des véhicules était si limpide, ce qui a empêché l’autorité contractante de rendre publiques les conditions de sa passation. D’autant plus que Bachir Fofana n’a pas été le premier à en parler. Deux concessionnaires sénégalais, parmi les plus importants, à savoir Serigne Mboup de Ccbm et Mbaye Guèye d’Emg, avaient dès la première sortie télévisée de El Malick Ndiaye, avant l’annonce officielle de l’attribution du marché, dénoncé avec véhémence le fait d’avoir été écartés dans des circonstances opaques, au bénéfice de deux étrangers, que El Malick n’avait pas hésité à nommer publiquement. A notre connaissance, ces concessionnaires n’ont fait l’objet d’aucune remontrance ou poursuite judiciaire.
Et de la manière dont évolue ce dossier, on se demande si la plainte contre Bachir Fofana n’allait pas au-delà de l’incrimination qui lui est faite. D’ailleurs, dès sa convocation, son avocat était sorti pour déclarer que la convocation de son client émanait du procureur de la République, «qui s’était autosaisi». Or, plusieurs personnes avaient déjà en main la plainte des avocats de El Malick contre les journalistes Bachir Fofana et Adama Gaye. Ce dernier, dans un post, a voulu faire croire qu’il n’était pas concerné, car le plaignant, à le lire, était son «goro». Il a toutefois tenu à prendre des mesures barrières et mettre une distance règlementaire entre lui et la force publique actionnée par son «parent par alliance». Et il n’a pas eu tort si l’on voit comment est traité le cas Bachir.
Il a fallu qu’il soit privé de liberté pour que l’on voie son plaignant bénéficier d’un temps d’antenne complaisant et lénifiant sur la télévision nationale pour le charger à volonté, sachant qu’il ne pouvait lui apporter la réplique. Tout cela nous conforte dans l’idée que, au-delà de Bachir Fofana ou Abdou Nguer, tous les moyens seront mis à contribution par les actuels dirigeants au pouvoir pour, comme le dit leur leader, «effacer» la presse et tout ce qui s’en approche. Cela ne nous surprend pas et ne nous affecte pas. Au journal Le Quotidien, nous n’avions pas d’a priori favorable quant à ce que nous pouvions attendre d’eux. Il suffirait, pour ceux qui avaient des doutes, de se rappeler ce qui s’est passé dans la nuit du 24 février 2019, lorsque les médias publiaient les résultats de la Présidentielle au fur et à mesure des dépouillements.
Croyant sans doute arrêter la mer avec ses bras, le candidat Ousmane Sonko, flanqué de Idrissa Seck, s’est permis de menacer les télévisions qui annonçaient un dépouillement qui présageait, progressivement, une victoire du Président sortant dès le premier. Accompagnés d’un journaliste servile, ces deux candidats mauvais perdants, hébergés sur les ondes d’un groupe médiatique important, ont clairement mis «devant leurs responsabilités» les journalistes qui se risqueraient à annoncer des résultats victorieux pour Macky Sall.
Ce n’était pas un accident de l’histoire. Le leader de Pastef a longtemps indiqué que tous les médias qui ne partageaient pas ses vues «étaient inféodés au pouvoir et à l’argent», selon son expression favorite. Même ses victoires électorales ultérieures, saluées par l’ensemble des médias, ne l’ont pas vraiment amadoué ou poussé à revoir ses positions. Est-ce cela qui l’a incité à privilégier ses «lives» télévisés au lieu de tenir des conférences de presse ? Et même quand cela lui arrivait, il sélectionnait ceux qui avaient le droit de recueillir sa parole bénie. A la Rts, des journalistes n’ont pas oublié quand il écartait le micro de leur chaîne, indigne de véhiculer ses déclarations. Les choses ont, heureusement, changé avec l’arrivée au pouvoir de sa majorité. Mais la presse ne trouvera jamais grâce à leurs yeux. Les misères que le ministère de la Communication fait aux médias ou même au gendarme de la presse, le Cored, permettent de ne pas se nourrir d’illusions.
La presse sénégalaise a toujours été le mouton noir de notre démocratie, qu’il faut sacrifier pour expier les péchés des politiciens. Abdoulaye Wade, à une époque, n’hésitait pas à clamer qu’il n’avait pas d’opposants dans ce pays, sa seule opposition étant, à l’entendre, la presse nationale. On ne compte pas le nombre de journalistes qui ont été convoqués pour des propos ne plaisant pas au chef de l’Etat. Mais là où il lui a fallu 12 ans, le pouvoir de Diomaye est en train de pulvériser tous les records en moins de deux ans. Macky Sall, quant à lui, avait une autre méthode.
Le prédécesseur de Diomaye avait pensé amadouer la presse en faisant ami-ami avec tous les patrons de presse. S’il a pu «neutraliser» certains d’entre eux, plusieurs autres dont notamment les reporters, n’ont jamais été liés par ces accointances, et les journalistes et leurs organes ont toujours gardé leur liberté de pensée. Ils ne se gênaient pas pour afficher leurs espérances envers le nouveau pouvoir. Après tout, ne sont-ils pas de libres citoyens d’un pays libre, et plus encore, des électeurs jouissant de leurs droits ?
Nous sommes donc convaincus que personne ne peut museler les Sénégalais, et leur presse encore moins. Le discrédit qui semble tomber sur les journalistes n’est pas du fait, mais des comportements de politiciens qui n’ont jamais aimé que des journalistes couchés. Comme Bachir Fofana et d’autres, nous ne sommes pas de cette espèce, et ceux qui pensent maintenant nous tenir en laisse finiront par s’en rendre compte. Il est de leur intérêt d’accepter, avant qu’il ne soit trop tard, que les journalistes et leurs organes ne sont pas leurs ennemis. Ils aiment la vérité plus que tout, sans invective, mais plus que leur liberté, si c’est le prix à payer.
Par Mohamed GUEYE