Décidément, à toute chose, malheur est bon, les guerres et conflits ouvrent toujours des opportunités inattendues et de nouvelles fortunes. C’est le cas de l’Algérie. En effet, la guerre en Ukraine et le tarissement des livraisons de gaz venant de Russie font de l’Algérie la seule alternative pour l’Europe, notamment l’Italie et l’Espagne connectées via le gazoduc Medgaz, qui relie les trois pays par la Méditerranée, avec une capacité de onze milliards de mètres cubes par an. L’Algérie, dixième productrice mondiale de gaz avec 80 milliards de mètres cubes, s’est positionnée comme la principale fournisseuse de gaz alternatif aux pays du bassin méditerranéen où les produits de la Sonatrach -l’opérateur public du pétrole et du gaz- ont des avantages comparatifs absolus avec la proximité géographique des marchés européens riches, liquides et stables.
La renégociation des contrats de livraison avec l’italien Eni et l’espagnol Naturgy, dans des conditions favorables à l’Algérie, avec l’arrêt brusque des livraisons de gaz via Nordstream 2, a permis de réévaluer les contrats d’achat de près de 2 milliards d’euros, soit 1300 milliards de F Cfa, permettant ainsi à l’Espagne et l’Italie de stabiliser et sécuriser une fourniture de gaz suffisante pour l’hiver 2023. Jamais dans l’histoire des relations commerciales afro-européennes ou Afrique-Union européenne, un pays n’est parvenu à s’imposer comme l’Algérie l’a réussi grâce à ses hydrocarbures. L’avenir du gaz pour ce pays semble encore prometteur avec sa montée en puissance dans le gaz naturel liquéfié où ce pays développe des capacités extraordinaires en partenariat avec Total Energies et d’autres majors profitant ainsi du découplage pétrole et gaz (lien entre prix du pétrole et prix du gaz) et des pressions américaines pour libéraliser les échanges Gnl.
Le Gnl permet de lever la contrainte de transport même si son coût a longtemps freiné son développement. En 2000, le Gnl représentait 26% des échanges de gaz naturel contre 45% aujourd’hui, témoignant de l’émergence progressive d’un marché mondial du gaz naturel.
D’ailleurs, avec 2400 milliards de m³, l’Algérie voit sa stature diplomatique rehausser : le Président français, le Premier ministre espagnol, le président du Conseil italien, le secrétaire d’Etat américain, le ministre russe des Affaires étrangères, le Chancelier allemand considèrent Alger comme une destination incontournable dans la nouvelle diplomatie en gestation sur fond de convoitises des ressources énergétiques.
Le Sénégal et le Mozambique n’ont pas encore les capacités de production de gaz comparables à la Sonatrach algérienne, encore moins de gazoducs de transit, cependant les deux pays ont tous les atouts et avantages, avec leurs énormes réserves de gaz, d’être parmi les fournisseurs et exportateurs dominants de Gnl, bouleversant ainsi la configuration des équilibres des marchés du gaz liquéfié acheminé par des méthaniers pour fournir Européens et surtout Asiatiques. L’enjeu pour le Sénégal, l’Algérie et le Mozambique, c’est de disputer les parts du juteux marché asiatique : Chinois, Japonais et Coréens où la demande devrait quintupler dans les dix prochaines années pour maintenir la cadence industrielle et l’urbanisation exponentielle.
L’Europe deviendra un marché saisonnier dont la demande est stationnaire avec la transition énergétique et la décarbonation avancée de l’économie. L’Asie est absolument le marché à conquérir.
En 2018, la capacité de liquéfaction mondiale s’élève à 410 millions de tonnes/an, avec un taux d’utilisation de 78,8%. La capacité de regazéification est de 875 millions de tonnes/an dont une capacité de regazéification flottante de 87 millions de tonnes/an. 563 méthaniers assurent l’essentiel des flux de transport. Trois pays, le Japon, la Chine et la Corée du Sud, comptent pour plus de 50% de la demande mondiale de Gnl.
Le Mozambique, avec ses 1840 milliards de m3 de gaz naturel récupérable, et le Sénégal, avec 1500 milliards de m3, seront les futurs hubs gaziers sur le continent aux côtés des géants nigérian, angolais, libyen et algérien. Pour le Sénégal, il est urgent de booster l’intérêt et l’appétit des majors avec de nouvelles découvertes de même ampleur que Gta, d’où l’urgence de fouiller plus agressivement notre bassin sédimentaire, surtout en offshore.
Selon l’Agence internationale de l’énergie (Aie), le Gnl sera la source essentielle de croissance des échanges de gaz naturel. Le commerce mondial de Gnl devrait ainsi plus que doubler d’ici 2040, pour atteindre 729 Gm3 (soit plus que les échanges par gazoduc). La part du Gnl dans les échanges gaziers mondiaux serait alors de près de 60%, supplantant ainsi le transit du gaz via les oléoducs. Un tournant pour le marché complexe du gaz que l’Afrique en général, le Sénégal en particulier, ne peut pas rater. Le Qatar, l’Australie, les Etats-Unis et l’Algérie dominent déjà le marché du Gnl, le Mozambique et Sénégal doivent se transformer rapidement dans les activités de l’aval gazier pour rejoindre le cercle restreint et ultra lucratif du gaz naturel liquéfié. Notre pays, à l’instar des autres pays africains riches en gaz, a des atouts sérieux, il ne reste qu’une vision et une volonté politique pour nous imposer dans la nouvelle cartographie gazière mondiale.
Moustapha DIAKHATE
Expert et consultant en infrastructure
Ex-conseiller Spécial PM